D’après « La vie, mode d’emploi « de Georges Perrec
Joséphinepar Mamlair (Image : La Salle d'attente de Daumier)
Joséphine attend patiemment de passer chez le docteur Ravinas.Elle a rendez vous à 15h, mais a préféré venir dès 13h car elle est éprise du docteur.Ainsi, entre les chassés croisés des patients qui sortent et rentrent,elle a loisir d'observer furtivement le docteur entre deux portes.
Joséphine est une femme plantureuse de 63 ans,à la poitrine débordante de générosité.Au son des 13 heures du carillon de l'église d'en face elle s'est installée dans cette salle d'attente aux murs fatigués par les ans.
Épuisée d'avoir fait ses courses sous le plein soleil de juin,elle s'est affalée sur une chaise en bois,ses sacs du marché posés en vrac sur le grand tapis rouge de la salle.Ainsi faire une halte de deux heures chez le docteur Ravinas est une bénédiction du bon Dieu : on y trouve des toilettes, un lavabo pour s'abreuver et de quoi se reposer à la fraîche. En effet, dans l'angle nord de la salle d 'attente, trône même un vieux divan rouge carmin.
Qu'à cela ne tienne Joséphine ôte ses sandales et s'allonge pour retrouver la circulation de ses jambes alourdies par la chaleur. Bien reposée,elle continue à prendre ses aises en pic-niquant,après avoir déplié une belle serviette de lin à carreaux rouge et blanc. Mi allongée mi assise telle une belle romaine,elle grappille quelques cerises rouge vermillon et abricots dorés venus du Roussillon proche.
Joséphine en propose à Monsieur Danjou, le patient du prochain rendez vous, mais austère et semble t il perdu dans ses pensées douloureuses, il ne daigne pas ouvrir la bouche pour ce péché mignon.
Alors Joséphine se met à chantonner légèrement en dépliant le cadeau qu'elle va offrir tout à l'heure au docteur :c 'est un petit livre d'occasion mais en bon état qu'elle vient de trouver ce midi sur le marché.Le titre en est " le discours amoureux et la poésie".Elle a pris soin d'y rajouter un beau noeud rouge pourpre pour y donner un peu plus de valeur.
Mamlair
Salle d’attente du Dr Dindeville, pendule arrêtée à 1h45
par Dep
C’est surtout le silence assourdissant de l’absence de Tics et de Tacs qui remplit ma tête de cette angoisse du silence extérieur qui me hante depuis … aussi longtemps qu’il m’en souvienne.
Quelque chose de non naturel, quelque chose de terrifiant. Comme si tout ceci, cette pièce raffinée, ces beaux objets utilitaires précieux, n’étaient là que pour souligner leur inadéquation à l’histoire en cours, car il y a une histoire qui se déroule dans cette salle d’attente du bon Dr Dindeville, ne serait-ce que la mienne !
J’ai le sentiment d’être en marge, ce vieillard desséché de toute substance vitale, aux doigts pourtant encore si agiles, qui biffe, annote et sourit parfois tout en lisant les oeuvres littéraires de ses élèves. Raskolnikov, oui, lui, perdant la tête peu à peu, à force de culpabilité, pourtant sa haine lui avait brièvement donné tous les droits et surtout de vie et de mort face à cette cloportique et haïssable concierge.
Maintenant cochés sur les copies qu’il corrige, les sentiments, jugements, avis et autres manifestations de ces jeunes inconnus, apôtres de la littérature qu’il leurs fait apprécier, lui insufflent une deuxième jeunesse, non pas physique mais à travers ce léger sourire qu’il arbore , une légèreté mentale et l’oubli de sa déchéance physique. Ah … le pouvoir de la transmission du savoir, du sentir, du ressentir !!!
Et moi ?
Que fais-je là ?
J’ai en moi autant de haine que ce Raskolnikov, autant de compassion que la plus sainte des figures évangéliques, autant de solitude et d’indifférence que l’humanité souffrante et silencieuse;
Dindeville… ce nom me semble absurde. Existe-t’il ?
Cette porte s’ouvrira t’elle ? Sur quel visage, quelle aura, quelle personnalité ?
Et pourquoi devrais-je attendre, moi, dont, je le sais, les moments sont comptés par l’inexorable tic tac silencieux de cette antichambre de la connaissance de soi !
Ce silence m’oppresse .
Les revues accumulées devant moi sont trop sérieuses ou trop imagées. Mon cinéma intérieur se déroule devant mes yeux et m’empêche de lire ou même de m’intéresser à quoi que ce soit.
Pourquoi ce silence ?
Pour qu’elle raison arrêter le temps à une heure quarante cinq ou treize heures quarante cinq ?
Qui décide de l’arrêt de la vie, du temps de vie, du temps ?
Qui ?
La porte s’entre ouvre sur la réponse espérée peut être…
Mais après ?
Dep