Un jour se réveiller dans la peau de "l'autre"Un cauchemar ? Non, pas forcément, "la vie d'à côté" aussi...
photo Ian Mac Kell
La vie d'Olga par Bia
Je me réveille, je me sens bien. Une nouvelle journée devant moi pour vivre pleinement cette vie merveilleuse qui est la mienne.
Ces pensées qui surgissent me rendent tout à coup perplexe. Est-ce bien moi cette personne positive qui accueille la journée comme un cadeau? Je m’étire, je touche mon corps, rien ne semble diffèrent et pourtant…
Les volets demi clos laissent rentrer la lumière du jour dans la chambre, j’entends la cloche qui sonne huit heures, des pas dans les escaliers et une voix d’homme qui s’approche.
‘Olga, ma chérie tu m’as demandé de te réveiller, voici ton thé, as-tu bien dormi ?’
‘Très bien Ilya, merci, je dois me dépêcher, mon éditeur m’attends à 10heures’.
Je saute du lit tandis qu’une jeune fille rentre dans la chambre en coup de vent et ouvre mon armoire, ‘maman, je peux prendre ta chemise blanche ?’ Je n’ai pas la force de lui dire non, elle repart contente.
Sous la douche je repense à la critique du Monde sur mon roman tout juste sorti et au cours de critique féministe que je dois donner demain : ‘L’invention des femmes de la part des hommes, Defoe Flanders, Flaubert Bovary, Tolstoï Karenina’. J’ai encore du travail pour le préparer. Ilya est reparti dans son bureau, je parie qu’après avoir regardé les cours en bourse il va glander toute la journée.
Papa fête ses 90 ans bientôt, je veux lui organiser une belle fête. Maman ne sera d’aucun aide, je demanderai à Hedi de s’occuper d’elle. Ensemble elles feront les courses et ça la calmera, c’est ce qu’elle aime le plus : acheter…
Je repense aux années à Cambridge et à l’opposition de maman qui trouvait inutile que je fasse des études poussées(c’était sa propre définition). A quoi bon puisque le mieux était de faire un bon mariage…
C’est une des rares fois ou j’ai vu papa se fâcher. ‘Olga ira à l’université, un point c’est tout ! Comment peut-on être aussi arriérés au 20 ème siècle. Ca avait clôt la conversation une fois pour toute.
Je sors de la douche, je me regarde dans le miroir, qu’est-ce qui se passe ? C’est bien moi Bia et pourtant tous mes points de référence sont différents, mes pensées, mes expériences, mes souvenirs, ma vie, qui suis je?
Mon deuxième mari, Ilya a succédé à un bref et tumultueux mariage avec un bel étudiant en science politiques soudanais, connu lors de mes études universitaires. Pour embêter maman je l’ai épousé (papa qui ne voulait pas me contrarier avait juste dit :’ bon ça fera un premier mari acceptable) Notre mariage n’a duré que trois ans pendant lequel nous avons eu deux enfants, Iman et Samuel.
Grâce à papa qui a pris les meilleurs avocats, j’ai pu garder les enfants et faire en sorte que mon ex mari me laisse tranquille. Il est entré en politique au Soudan et s’est remarié. Je ne lui ai jamais confié les petits de peur qu’il les garde.
Les enfants et moi avons déménagé en banlieue, à Wimbledon, pour être près de mes parents et j’ai entamé des études de journalisme. Des piges par-ci et par là jusqu’au jour ou le Guardian m’a embouchée pour tenir la rubrique littéraire hebdomadaire. J’ai commencé à écrire mon premier livre et à donner des cours de littérature et féminisme à l’université.
Il y a dix ans, à une réception, j’ai rencontré Ilya, rejeton d’oligarque russe atypique.
Fils de Marie Weizmann, médecin arrêtée sur ordre de Staline dans l’affaire des blouse blanches et libérée après sa mort. Au lieu d’immigrer en Israël comme elle l’aurait pu, elle avait épousé un oligarque russe proche du régime. Son père avait amassé une fortune colossale, chose qui avait déplu, et toute la famille avait réussi avec beaucoup de mal à émigrer en Angleterre. Je crois qu’Ilya n’a pas travaillé un seul jour de sa vie.
Ce qui m’a séduit en lui a été sa douceur, sa bonté et sa connaissance des fonds marins, auquel il sait donner vie dans des longs monologues qui m’enchantent.
Une semaine après notre rencontre nous vivions ensemble et deux mois après j’étais enceinte de Vassili. Natasha a suivi un an après. La maison est vivante et j’adore ca.
Les petits sont partis à l’école avec Hedi et Wonder le labrador que nous lui avons offert pour ses huit ans, me tourne autour. Il a toujours faim celui la ! Je le laisse sortir et Ruby en profite pour rentrer miaulant de faim. Elle a passé la nuit dehors.
Je m’assois pour boire un café devant la fenêtre donnant sur le jardin. Les feuilles tombent sur la pelouse, rouges et jaunes virevoltant dans le vent.
Je suis totalement entière, pas de craquelures en moi. La vie a été généreuse en tout, quelques frayeurs et obstacles mais juste ce qu’il faut pour que je ne devienne pas arrogante.
Je suis Olga, celle que j’ai toujours rêvé d’être. Qu’elle est belle la vie !
Bia
Kaléidoscope de Dep
Une journée d'errance, de temps agréablement "tué" selon l'expression consacrée et certes si malhabile... Comme si le temps suicidaire par définition puisque courant vers le néant, avait besoin d'une aide assassine quelconque !
Une journée que traditionnellement et hebdomadairement je passais en solitaire, flâneuse, rêveuse, et pétrie d'autosatisfaction qui me mettait sur le visage cette expression à gifler de pauvre tarte bien nourrie et bien baisée !
Premier arrêt la librairie, Solange connait exactement mes goûts et en ce moment je nage dans l'étrange, le surnaturel, dans des nébuleuses irisées nimbant la galaxie de la planète Kin Dza Dza
Après les polars scandinaves poissant mes nuits de leur mal de vivre et auto-critiques se voulant athées mais suintant de protestantisme austère malgré tout, je m'envole à présent vers des mondes inconnus, et pour cela je vais au Flore passer ma journée littéraire en filles avec moi et moi-même !
Je vérifie mon reflet dans le cristal des verrières et rassurée, entre dans le brouhaha joyeux.
Les bruits du milieu de la journée sont cinglants, presque stridents, couteaux, fourchettes, porcelaines s'entrechoquent et déraillent en un concert cacophonique digne de la Parade de Mickey.
Je commande mes œufs au plat et le carafon de bon rouge comme on accueille un ami, sûre de l'agréable moment à venir que nous partagerons. La faune est inchangée, quelques écrivains en gestation de chef d’œuvres, quelques philosophes ayant perdu le fil de leur pensée depuis longtemps, quelques vieux satyres fatigués et cuvant, ne présentant plus aucun danger pour les proies éventuelles, arthrose de la hanche et du genou obligent.
Tout est en place et cela me rassure très agréablement.
Je me plonge dans ma lecture et décolle galactiquement.
Les bruits alentours ont changé, un certain calme vient feutrer les conversations plus féminines, des arômes de thé de chocolat me chatouillent les papilles, je lève les yeux et reçois en plein plexus le regard le plus vert, le plus, jaspé le plus kaleidoscopique qui soit.
Quelle éléctricité charge ces pupilles !
Je me sens troublée et en rougis. Très différent de mon comportement cela, très différent.
L'homme au rayon vert me fascine, me capte dans son halo qui balaye les lieux tel un phare de haute mer. Je me laisse finalement happer pourquoi ne pas voyager sur l'orbite de ce projecteur ?
Au fond de ces yeux là je me sens tourner, tête en bas, en haut, je tourne sans arrêt et ne veux d'ailleurs pas que cela s'arrête, ce tourbillon m'enivre, je me sens couler dans une léthargie hypnotique et je flotte.
Les bruits ambiants semblent à nouveau se transformer. Le son du verre se fait plus apéritif, les senteurs se fond plus pétillantes et provoquent les narines. J'ai soudain besoin d'un verre, un armagnac oui c'est cela, pas d'heure pour un armagnac.
Des femmes de tous âges autour de moi, attendant leur rendez-vous, leurs maris, leurs amis, certaines me lancent des regards provocants, je déraille ! Mais réponds par un sourire quand même. L'homme au regard qui tue a disparu. A sa place une belle blonde au buste sensuel et au regard oblique, russe, polonaise, slave sans aucun doute.
Mon deuxième armagnac avalé je me dis qu'une promenade sur le boulevard me ferait le plus grand bien, ces siestes les yeux ouverts auraient tendance a m'engourdir les pensées.
Je me sens libre, d'une légèreté absolue, je me sens en pleine possession de moi même, une envie d'aventure me pousse vers l'extérieur, en sortant je veux à nouveau vérifier ma silhouette dans les vitres et ne vois qu'un homme à belle allure se refléter et moi ? Dehors l'air est tiède, enivrant, entêtant, plein de promesse. Pourquoi ce soudain sentiment d'excitation sans raison précise ? À quoi donc puis -je m'attendre avec tant d'anticipation de joie ?
Une femme connue marche vers moi sur le trottoir, je reconnais sa robe, son parfum, son allure conquérante et interrogatrice, je la regarde intensément, elle sourit de tout son humour, me dépasse et entre au Flore sans se retourner. Mais... Mais cela ne peut être voyons, cela ne peut vraiment pas être. Je ne peux sortir et rentrer simultanément du même endroit... Serais-je déjà arrivée dans la galaxie de la planète Kin Dza Dza en ayant perdu en chemin mes attributs féminins ?
Peut être voyage -t'on plus léger en mode masculin.
Peut être le genre n'est-t'il qu'un état d'esprit.
Peut être peut on à volonté transmuter d'un état à l'autre.
Peut être ne le saurais-je jamais.
Peut être...
Dep
CHA ALORS de Coco
Plongée dans une profonde et délicieuse léthargie, je songe vaguement à entrouvrir une paupière. Je flotte dans un cocon de douceur et de quiétude, je sens la chaleur du feu qui me caresse et sa musique crépitante m’enveloppe tendrement. Pourtant ma curiosité naturelle m’amène à ouvrir un œil discrètement. Ouf, tout va bien, Il est là contre moi sur notre vieux canapé vert et son souffle profond me soulève et me berce délicatement. Je suis chez moi, je suis en sécurité et je m’étire dans un soupir de bien-être. Il sera bien temps d’aller courir dehors plus tard. Le bruit de la pluie caracolant sur la fenêtre et les rugissements du vent augmente encore cette merveilleuse sensation de confort. Profitons du moment présent et ça je sais si bien le faire.
Soudain une grosse bûche se fend dans un craquement sinistre sous les assauts répétés des flammes et vient troubler la quiétude ambiante. Mon confortable matelas émerge laborieusement de sa sieste en ronchonnant. Il faut entretenir le feu. Je tente de m’accrocher à son grand pull-over mais il est le maître absolu et il se lève en m’arrachant un grognement déçu. Je sais qu’il fait ça pour moi, pour que notre maison soit confortable et j’aime le regarder recharger amoureusement le feu, poser au centre une énorme bûche et rassembler adroitement les petites bûches incandescentes du bout de sa pince. Autrefois il aurait été un grand chasseur mais il a oublié. C’est un homme tranquille et ça me va, il est fait pour moi.
Quand il se rassoit à mes côtés et allonge ses longues jambes pour poser ses pieds sur la table, je ressens une envie irrépressible de me lover sur ses genoux. Je sais que je n’aurai pas attendre pour que ses grandes mains calleuses viennent caresser mon corps alangui. C’est devenu une habitude, une délicieuse habitude et je plonge à nouveau dans une somnolence ourlée d’un plaisir bien mérité.
Soudain dans le faisceau de mes cils je crois apercevoir une ombre fugace qui traverse la pièce et disparaît sous la commode. Je bondis et mon coussin piaille. Fausse alerte, je l’ai surpris mais je dois veiller sur lui moi aussi. C’est mon rôle et mon devoir.
Bientôt ce sera l’heure exquise du dîner et j’entendrai dans la cuisine le bruit rassurant des casseroles. Je ferai en sorte de ne pas me précipiter mais je me dirigerai vers mon repas nonchalamment et dignement, après m’être soigneusement gratté l’oreille pour bien montrer mon détachement. Je sais que je pourrais bien facilement gagner moi-même ma pitance en attrapant un mulot grassouillet dans mon vaste territoire extérieur âprement défendu jour après jour mais c’est si bon d’être gâté et surtout je ne manquerais pour rien au monde le tendre rituel des croquettes quand, avec des miaulements de chaton famélique, je peux me frotter contre les jambes de mon seigneur et maître au risque de le faire tomber pour lui prouver mon éternelle reconnaissance.
Dieu que c’est bon d’être un chat chez moi.
Coco
Un autre corps par Passerose.
La nuit avait été très agitée, entrecoupée de cauchemars enfouis aussitôt dans l’inconscient et puis un sommeil profond m’avait envahie jusqu’au réveil tardif dans la matinée.
J’avais du mal à ouvrir les yeux, pourtant je savais que je ne dormais plus. Mon corps était lourd et engourdi. J’avais du mal à remuer mes jambes et mes bras. J’avais dû beaucoup transpirer car ma chemise de nuit était trempée ainsi que mon oreiller. Que m’arrivait-il ? Il y avait un silence pesant dans la pièce où je me trouvais mais j’entendais mon cœur battre.
J’essaye encore d’ouvrir les yeux ; avec beaucoup d’effort, je parviens à en entrouvrir un, je ne reconnais pas ma chambre. Ou suis-je ? Un mince filet de lumière me parvient d’une porte entrebâillée ; je tente de me soulever mais je ne peux pas. Que m’arrive-t-il ? Suis-je paralysée ? J’essaie de me souvenir de la veille, je ne me souviens de rien. Mon autre œil s’entrouvre. Je m’habitue à la pénombre. Je discerne des meubles que je ne reconnais pas. J’essaie de bouger un petit peu. J’ai mal partout, surtout à la tête. J’entends des voix dans une pièce à côté, je ne comprends pas ce qu’elles disent, c’est une langue étrangère que je ne connais pas.
J’essaie d’appeler, aucun son ne sort de ma bouche, je ne peux pas parler. Je parviens à me soulever et je m’assois dans le lit. Je regarde mes mains – elles sont noires – ainsi que mes bras et mes jambes. Je suis noire. Je ne suis plus moi. Que m’est-il arrivé ? Je tourne la tête vers la droite et aperçois un miroir. Je me regarde. Je suis noire, mes cheveux sont noirs, courts et frisés, mes yeux sont noirs et globuleux, ma bouche est épaisse et mon nez écrasé. Je suis transformée.
Je panique, je m’affole. Je pince mon bras, je ressens une douleur comme si c’était moi. J’essaie de me lever, avec beaucoup de mal, je parviens à me tenir debout. Je suis immense et très maigre. J’essaie de faire un pas, je m’écroule ; je n’ai plus de force, mon corps ne répond plus. J’attends un petit moment, je tente de réaliser ce qui m’arrive, c’est complètement fou. Avec un effort surhumain je réussis à me remettre debout. Je dois m’appuyer contre le mur pour ne pas retomber. J’ai la tête qui tourne. Je voudrais crier mais je ne peux pas, aucun son ne sort de ma bouche. J’ai soif, il faut que je boive, j’ai l’impression de ne plus avoir de salive.
Je longe le mur et arrive jusqu’à la porte entrebâillée d’où venaient la lumière et le bruit des voix.
Je pousse la porte.
Que vois-je ?? Mes enfants et petits enfants à table en train de prendre leur petit déjeuner.
Bonjour maman, bonjour Grany – ça va ? As-tu bien dormi ? Regarde, il fait un temps super – on part faire du vélo – on t’a laissé du café et un croissant – Faut-il racheter du pain pour le déjeuner ?
Je suis ahurie, hébétée, je ne comprends plus rien. Je suis décontenancée. Je reconnais les enfants, on est à la campagne, ce sont les vacances de Pâques. Je suis Pascale, je suis blanche, je peux marcher, je peux parler.
Que m’est-il arrivé ? Est-ce mon rêve qui s’est prolongé alors que je pensais être réveillée ?
Je suis heureuse, je cours embrasser les enfants mais je leur raconterai mon rêve un peu plus tard.
J’ai faim, j’ai soif, je revis, je me retrouve, je me reconnais, je suis Pascale la blanche pas si immense et maigre que ça, j’ai les cheveux raides, les yeux bleus, le nez droit et une bouche en forme de cœur et j’ai envie de rire et de chanter.
Passerose