Après lecture d’un texte de Georges Perec extrait de "La vie mode d’emploi "
rédigé sur le thème de l’escalier,
l’exercice consiste à décrire à son tour un escalier, réel ou imaginaire.
Un escalier Tout était clair et lumineux dans cet escalier. Il prenait tout naturellement sa place dans le vestibule dont les dalles en pierre de Bourgogne coupées aux angles, étaient ponctuées de cabochons en marbre noir. Par les hautes verrières, le jour coulait à flot.
Les marches en pierre blonde, au nez arrondi, les murs plaqués de marbre blanc, la moquette bleu pâle retenue par les barres de cuivre parfaitement astiquées invitaient à monter. Au rez-de-chaussée, la première marche accueillait en une douce courbe le début de la rampe en fer forgé peinte en vert clair qui, jusqu’au deuxième étage, accompagnait de ses volutes les larges degrés conçus pour les robes amples et longues d’autrefois.
Le silence paisible du lieu, lorsque tous les habitants étaient bien rangés, chacun à son étage, semblait cependant peuplé de chuchotements, de rencontres. Soudain, un frôlement furtif passa le long de mon bras. Je me retournai vivement. Mais non, personne, rien. Et pourtant j’aurai bien juré que…
Poussée par la curiosité je poursuivis ma progression vers le haut.
La surprise était bien là, telle que je l’attendais. Après deux envolées somptueuses, pures et élégantes, le palier du second étage était fermé par trois portes. Deux d’entre elles desservaient ostensiblement des appartements occupés : Monsieur X. et Monsieur Y. y avaient apposé leur nom.
C’était la troisième porte qui m’intéressait. Elle s’ouvrit facilement, faisant suite à l’escalier d’honneur.
Les murs sombres encadraient un escalier en bois ciré qui brillait doucement, recouvert d’un tapis bien fatigué. J’eus alors l’impression étrange de pénétrer dans la demeure de Dorian Gray. Qu’allais-je découvrir ?
Un peu oppressée je vis, en haut de la première volée de marches, un immense tableau de près de deux mètres de côté : il représentait une jeune femme des années 1920 au piano. De toute sa hauteur, elle dominait les lieux, tout en semblant vouloir les ignorer car elle était peinte de dos. Sa chevelure blonde relevée en un souple chignon laissait apparaître la nuque, vulnérable ; sa robe noire soulignait une silhouette gracile. La main droite sur le clavier faisait vibrer en silence l’atmosphère de fin d’été du tableau tandis que la main gauche levée paraissait prête à plaquer un accord.
Le grand tableau passé, sans que l’on ait trop osé en quitter la contemplation, on se trouvait soudain face à une superbe marine aux flots tumultueux placée sur l’autre mur.
Puis l’escalier poursuivait sa course vers le puits de lumière qui le surplombait.
Et là, tout en haut au cinquième étage, l’unique porte, verrouillée, refusa de s’ouvrir. Quels mystères pouvait-elle bien tenir cachés ?
Fredaine
L’escalier du 25 boulevard de Courcelles par PasseroseL’immeuble haussmannien de mon enfance du 25 boulevard de Courcelles avait un escalier recouvert de tapis rouge et vert foncé mais aussi un ascenseur avec des grilles noires et des portes à battants. On y rencontrait évidemment tout le monde. Et puis un ascenseur ça tombe en panne, on empreinte forcément l’escalier. S’il est au 5ème étage, il faut le faire descendre. Quand on le prend et que quelqu’un arrive, par courtoisie on l’attend avec un sourire. Quand l’ascenseur est pris, on l’attend en bavardant avec ceux qui rentrent ou qui sortent. C’est ainsi que je connaissais tout le monde. Il y avait le petit Denis qui habitait en dessous de chez nous, il avait l’air bien gentil et très poli, mais moi je savais que c’était un petit monstre. Par la fenêtre, je voyais et entendais sa mère se mettre dans des états épouvantables pour se faire obéir du cher petit. Il ne voulait pas manger, il sautait partout, il courait dans tous les sens mais ne pleurait jamais. Au 5ème étage, il y avait les de « quelque chose », famille nombreuse de 4 ou 5 enfants très bien élevés. Le père très grand, très élégant avec chapeau et gants, m’en imposait. C’est le seul que je n’attendais pas quand je le voyais déboucher du porche. Si j’étais déjà dans l’ascenseur, je m’empressais d’appuyer sur le bouton du 3ème. Si l’ascenseur n’était pas là, je ne l’attendais pas et montais quatre à quatre l’escalier.
Au 4ème étage, c’était un couple de personnes âgées qui ne sortaient pas beaucoup, cheveux blancs, toujours habillés en noir. Je les voyais dans leur cuisine tous les deux, c’était gris et triste.
Mais, toujours au 5ème étage, de l’autre côté de la cour, il y avait une grand-mère qui logeait son petit fils pendant la durée de ses études. Je ne sais pas ce qu’il étudiait. Mais je me souviens de l’effet que me faisait ce jeune homme. Je le surveillais à son insu bien sûr. Il était grand, mince, un peu dégingandé, brun avec des yeux très noirs. Il avait quelque chose de doux dans le visage qui me chavirait. De temps en temps je le croisais dans le hall, il avait l’air toujours pressé avec son porte document sous le bras. Il me disait bonjour avec son sourire très doux. J’étais aux anges, timide, rouge et répondais à son salut avec une toute petite voix mais le cœur bouillonnant. Quelquefois, nous prenions l’ascenseur ensemble, alors c’était l’événement de la journée. Le trajet dans les hauteurs me semblait à la fois court et interminable. Il ne disait pas grand-chose, moi j’avais la tête baissée, je regardais mes pieds. L’ascenseur s’arrêtait à mon étage, le 3ème ; et là, je relevais la tête avec un effort désespéré et j’essayais de le regarder dans les yeux – c’était ce que j’avais décidé la veille, si je le rencontrais – mais lui, invariablement, avait le regard ailleurs et je n’arrivais pas en général à capter son attention. Il me laissait passer avec un au revoir rêveur dicté par la stricte politesse mais sûrement pas par l’intérêt qu’il me portait. Il ne me restait plus qu’à l’épier de ma chambre qui donnait également sur la cour. Je me tordais le cou pour l’apercevoir vaguement à sa table de travail. Quand il ouvrait sa fenêtre, je me cachais.