Il s'agissait de faire l'inventaire d'un meuble (commode, armoire, table de nuit ou coffre, et d'esquisser par le biais de son contenu le portrait de son propriétaire, le récit de sa vie...
Une armoire à Montréal Les portes d'abord, blanches, genre Ikea, peintes avec une peinture mat à bas pris qui se salit en un rien. Deux posters en noir et blanc les décorent accrochés avec des punaises jaunes. L'un décrit une bande dessinée de Tom et Jerry, l’autre un couple de rats s'embrassant. Un jeune habite ces placards, c'est évident. Portes coulissantes, ouvrant sur un intérieur somme tout bien organisé. Une étagère haute sur toute la longueur, une tringle en dessus. Sur l'étagère, à droite des cartons vides, tout pour du matériel électronique, huit exactement. A gauche des valises, souples, dures, deux sacs à dos. Pendus aux tringles deux organisateurs en tissus composés de compartiments et de tiroirs. La commode dans la chambre est partie pour faire place aux vinyles. A même le sol sur la gauche sont posés deux boîtes en plastique blanc avec couvercle, dans l'une les vieux cahiers d 'université, dans l'autre des instruments musicaux ethniques, cadeaux que parents et amis lui ont rapportés de voyage.
Sur les boîtes est posé l'intérieur souple d'une valise avec chaussettes et boxer shorts ( suite au départ de la commode démontée et mise à la rue pour faire place aux vinyles...)
Toujours par terre, à droite, un sac bleu Ikea pour le linge sale se partage la place
avec un aspirateur et une raquette de tennis. Collé au mur presque invisible une
chaise pliante. Au fond de l'armoire, à côté des boîtes un ballon de basket et un ventilateur électrique, une pair de vieux sandale Birkenstok et un sac bleu ikea vide, la boîte de la bouilloire et une sacoche en cuir.
Les chaussures sont sur des petites étagères en bois toujours à droite en dessus de l' ensemble d'étagères et tiroirs accrochés à la tringle. Le compartiment en tissu du haut est occupé par des prises multiples et une petite boîte à outils jaune, celle du milieu est vide et celle d'en bas contient une trousse de voyage et une tondeuse Remington.
Dans le tiroir d'en haut des sacs en tissus pour les courses, signe d'appartenance à la tribu qui les collectionne, le tiroir du milieu est vide, celui d'en bas contient une boîte avec du cirage et tout ce qu'il faut pour les chaussures.
Les vêtements sont pendus sur des cintres fins en métal plastifié, des chemises, une
dizaine, des t-shirts aussi sur cintre, deux vestes et quelque blouson sportif.
Je découvre que la parqua 'essentielle' que je viens de lui offrir ne l'était pas
vraiment, il y en a une en très bon état mais apparemment il ne la mettra plus, est ce que je la veux?.....
Les pantalons sont pliés sur une des étagères, tous plus au moins troués sauf « le bijou », un jeans brut qu'il ne faut surtout jamais laver.
D'autres t-shirts, sa passion, bien pliés et empilés prennent deux rayonnages sur quatre, les deux dernières en bas contiennent pulls, chapeaux et écharpes.
Voici l'armoire d'un garçon de 24 ans qui a quitté la maison depuis 6 ans.
Pas mal, vraiment pas mal.
Cosima
L’armoire de Tantine. Ah ! Tantine….Elle s’appelait Marie-Louise, elle était la sœur aînée de ma mère, donc ma tante.
Née au début du XXe siècle dans le Périgord. Elle était comptable de son état et ne s’était jamais mariée. C’était une vieille fille pas aigrie. Elle travaillait à Paris. Comme elle était seule, elle était très souvent à la maison chez mes parents. Nous passions nos vacances ensemble, tous les dimanches elle venait déjeuner et parfois restait coucher. C’était une femme de petite taille, boulotte, timide, discrète et d’une bonté à toute épreuve. Elle était en admiration devant mon père et elle ne savait pas quoi faire pour nous faire plaisir à ma sœur et moi. On ne peut pas dire qu’elle était belle mais elle était aimable.
De ses origines périgourdines elle avait le goût des bonnes choses et elle était gourmande. Elle savait acheter les bonnes truffes, choisir les foies gras qu’elle préparait à la perfection. C’était une excellente cuisinière, le plat le plus simple avait chez elle une saveur incomparable.
Elle habitait boulevard Raspail dans un petit appartement au 6ème étage sans ascenseur donnant sur le cimetière, la vue était donc dégagée et son balcon était encombré de plantes un peu bizarres, certaines ressemblaient à des petits artichauts.
Mon grand bonheur c’était lorsque Tantine m’invitait à passer le week –end chez elle. Je devais avoir 9 ou 10 ans et je prenais le métro toute seule avec ma petite valise en toile. Je descendais à la station Denfert-Rochereau, toujours impressionnée par le lion qui trônait sur la place. J’étais très fière d’être invitée toute seule. Elle me faisait des petits plats d’une succulence extrême. Je me souviens de pigeons aux petits pois frais, de potages à la tomate (ce n’était pas du Liebig), des bouillons blanchis (ail revenu dans du beurre, eau, œuf cassé dedans et vermicelle), des crèmes au caramel. Je sais maintenant pourquoi ces plats étaient si délicieux c’est parce qu’elle les préparait avec amour et gourmandise. Le rituel était de prendre l’apéritif comme les grands, j’avais droit exceptionnellement à un petit verre de Porto ou de Muscat de Frontignan, c’était la fête.
Son appartement comprenait une petite cuisine avec une salle de douche, une salle à manger, un salon et une chambre où nous dormions toutes les deux dans le même lit qui était très doux avec des draps brodés qui venaient peut-être d’un trousseau destiné à un mariage qui n’avait jamais eu lieu.
Le mobilier était massif, trop important pour les pièces qui n’étaient pas très grandes. Le buffet, la table et la commode étaient en palissandre ou acajou des années 1950, sûrement très à la mode maintenant.
Et dans la chambre il y avait une armoire énorme en palissandre aussi. Pour moi c’était la caverne d’Ali Baba. Il n’y avait pourtant rien d’extraordinaire dans cette armoire mais j’en garde un souvenir émerveillé. Il faut dire que chez mes parents je n’avais pas le droit de fouiller dans les affaires des grands. Mais Tantine, pendant qu’elle faisait la cuisine, me permettait d’ouvrir l’armoire et de fouiller dedans.
J’y trouvais des dentelles, des cols en fourrure, des lettres à l’écriture illisible, des napperons et des gants faits au crochet, des chapeaux, des tissus en soie brodée et des bijoux. Ah les bijoux, j’ai peut être commencé à les aimer à cette époque. Je ne m’en souviens que d’un seul : un pendentif en or en forme de croissant de lune avec une pierre presque noire, Tantine me disait que cette pierre était très rare et « portait bonheur », mon imagination allait bon train. J’aurais aimé qu’elle me la donne mais ce ne fut pas le cas et je ne sais pas ce qu’elle est devenue. Elle a peut-être « porté bonheur » à quelqu’un d’autre. Je me souviens aussi de l’odeur dans cette armoire que je retrouvais à chaque fois que je venais. Je pense que c’était un parfum de poudre que les femmes utilisaient sûrement à cette époque, c’était une odeur de douceur assez désuète que le renfermé et le temps avaient distillé mystérieusement.
Passerose
L'armoire d'une grand mère
Dans la vaste salle à manger de mes grands-parents, une impressionnante armoire normande surplombait la table familiale face à de larges tapisseries brodées de scènes de chasse. Ses moulures sculptées en chêne sombre évoquaient des fruits et des fleurs tarabiscotées. Ce grand appartement parisienreluisait, le moindre bibelot soigneusement épousseté, les tapis lustrés et chaque coussin bien en place. Mais cette armoire contenait un vrai capharnaüm, elle servait de refuge à toutes ces choses indispensables etencombrantes qui s’entassent au fil des ans dans un espace confiné à l’abri des regards.Nous n’avions d’ordinaire pas le droit d’y fouiller mais ma grand-mère était souvent amenée à l’ouvrir devant nos regards curieux et, si je ferme les yeux, je revoisencore chaque objet plus ou moins insolite qu’elle contenait.
Sur l’étagère du haut, hors de notre portée, trônait la précieuse machine à coudre vert bronze de ma grand-mère et sonpanier piqué de velours rouge qui débordait de bobines de fil et de rubans de toutes les couleurs et un autre plus petit, brodé d’un tissu fleuri,contenant un amas de boutons dépareillés, uncoussinpiqué d’aiguilles et d’épingles,de jolis ciseaux et une collection de dés usés par des heures de couture laborieuse. A côté sommeillaient les pelotes de laines blanches, roses ou bleu ciel piquées de leurs longues aiguilles avec souvent l’ébauche de quelque paire de chaussons ou d’un petit gilet.
A l’étage en dessous s’entassaient pêle-mêle les couronnes des galettes des rois, les turlupins d’anniversaire et les déguisements : la fée rose à la baguette étoilée, le pompier au casque rutilant, le polichinelle avec sa collerette et son chapeau pointu et, mon préféré, la mariée hongroise avec sa coiffe ornée de longues nattes blondes. Tous ces souvenirs avaient le privilège de côtoyer les précieux chapeaux de ma grand-mère, le petit rond et noir avec son voile chic et sobre pour l’église et les enterrements et ses deux chapeaux de cérémonie, le premier à larges bord rose parme avec de longs rubans écrus, et le deuxième blanc cassé,orné de fleurs d’hibiscus aux larges feuilles vertes. Elle le portait sur le côté et il encadrait si bienson beau visage toujours souriant.Une longue boite jaunie par le temps et les manipulations servaient d’écrin à son voile quelque peu défraichi mais toujours fascinant pour ses petites filles qui le lui empruntaient parfois. Je l’avais même déchiré un jour en trébuchant dessus avec mes petites jambes.
L’étagère du bas, la plus spacieuse accueillait nos dessins d’enfantset les albums de coloriage qui nous gardaient si tranquilles,la grande boite de peinture avec son petit verre débordant de pinceaux de toutes tailles, les crayons de couleur, les craieset leurpetit tableau noir mal effacé par une éponge trop sèche.Les jeux de société,plus ou moins complets, y avaient également trouvé refuge : le « Jeu des Petits chevaux » que j’adorais, le « Monopoly » source de tant de disputes enfantines autour de la rue de la paix, le Mikado, le Cuedo et les autres. Nos livres d’enfants, les collections de« Bécassine », de « Caroline », les « Tintin », les « Spirou » et la Bibliothèque rose avec « Le Club des cinq », « Fantomette » et les aventures de mon idole « Fifi Brindacier » tenaient compagnie à l’importante collection des« San Antonio » de mes oncles qui contribua plus tard à m’éclairer un peu sur les choses de la vie et les richesses de la langue française. Je n’oublie pas le gardiende tout cet édifice, un pauvre petit ours borgne et galeux qui avait probablement fait la guerre et nous fixait sempiternellement de son œil valide.
Quand la lourde porte se refermait en grinçant le cliquetis familier de la clé dans la serrure m’arrachait toujours un long soupir.
Coco
Et voici l'inventaire si particulier de Dep...
Tout est confus dans mes souvenirs. Tant d'années ont passé laissant sur nos corps et nos coeurs les traces de la vie, du plaisir, des peines et parfois quelques nostalgies du temps où nous étions une famille entière, intacte, au complet.
Papa est mort dans un accident de voiture, confusément je me souviens de la pâleur de ma mère, de toute cet escadron de policiers, de ces discussions et conversations étouffées derrière les portes fermées, et moi, 9 ans essayant d'écouter, de comprendre les mots inconnus, choc, anormal, logiquement inexplicable, objet contondant... Mille expressions à déchiffrer et à enrichir mon vocabulaire d'enfant.
Le temps a passé, la vie aussi, maman a fermé la maison, nous avons déménagé et aujourd'hui 20 ans après, c'est moi qui vient vider ce qu'il reste de nous en ce temps là, ce que maman avant sa mort n'a pu trouver la force de faire.
En arrivant devant cette vieille bâtisse moussue un flot d'arômes de printemps encore humide m'enveloppe. Je secoue les velléités d'émotion et me dirige vers le garage/atelier de papa, qui est resté intouché depuis l'accident. Pourquoi maman n'a-t'elle jamais voulu se débarrasser de cette maison, n'y étant jamais revenue après ?
La porte arthritique grince, la serrure se défend comme une possédée, j'insiste, elle se rend. Miracle la petite lampe à pétrole accrochée au mur accepte de diffuser sa maigre luminosité et le décors s'anime.
Je suis seule, pas de témoin devant ce que fut l'antre de mon père.
Les vieux vélos et tricycles accrochés aux parois, à peine rouillés car graissés si soigneusement, vielles vestes coupe vent, duffle coat, bottes de caoutchouc craquelées,déssechées, casquettes de pêche, de chasse, cannes à pêche, paniers d'osier diffusant une odeur putride recouverts de moisissure, une vie de loisirs tranquillement ennuyeux devant mes yeux. Quelques malles ne contenant rien, cantines auxquelles aucune barre de fer ne prêtera jamais plus sa garantie de secret bien gardé, un panorama sur le monde d'un homme tranquille. Quelle était la place de ma mère dans cette vie là ?
S'est-elle jamais lassée de la partager ? Ont-ils jamais eu des orages, des nuages, des coups de tonnerre ?
Maman s'est enfermée dans un silence si opaque que je n'ai jamais eu la force de percer.
La chaudière derrière un battant sans poignée dans un coin attire mon regard. J'ouvre en grand . Au sol, des ustensiles de cheminée, de poêle attirent mon regard. Je les tire vers moi. Un bruit sourd... quelque chose est tombé de l'arrière de la chaudière. A quatre pattes je rampe et essaye de l'extirper car cela me semble être enveloppé de chiffons. Après beaucoup d'efforts j'arrive à le saisir. Un paquet de forme allongée, lourd, et soigneusement emmailloté. Je retourne à la lumière de la lampe, sur les murs que je distingue mieux à présent, des étagères sur lesquelles mes vieux déguisements d'enfants moisissent depuis vingt ans. Ils ont tout gardé.
Assise par terre je commence à dépiauter l'objet. Cela ressemble à un crochet de poêle en plus épais. L'acier en est recouvert de trace sombres d'un brun rougeâtre et croûteux. Pour la biologiste que je suis cela ressemble à du sang séché ! C'est absurde. Je sors fumer et réfléchir. Un scénario macabre envahit mon esprit. Les mots étouffés derrière la porte : objet contondant, inexplicable blessure pour un accident de voiture, aucune connaissance d'ennemis...?
Maman... Maman oui certainement elle, qui avait réglé définitivement ses comptes d'épouse, pourquoi ? Que s'est -il passé entre ces êtres mystérieux que sont nos parents ? Une réponse dont l'inventaire de ce lieu ne m'aura donné que la conclusion.
Dep