Ecrire la mer Texte de Corinne-Olga Bunzl
Les réfugiés
Une chaleur moite et écrasante nous accompagnait depuis des semaines, semaines dures ou nous avions partagé en soute l’étroite vie à bord.
Nous étions six, plus le capitaine qui parlait un patois incompréhensible et nous cuisinait le poisson, la plus part du temps du requin, qu’il pêchait assis à la proue du bateau.
Il ne savait pas nous dire quand nous arriverions et, au petit matin du quarante neuvième jour de navigation quelle ne fut pas ma surprise en voyant sur la ligne d’horizon apparaître la terre ferme.
La mer était déchaînée ce jour là et le vent froid ; nos vêtements légers nous faisaient grelotter, nous qui arrivions du sud totalement "impréparés".
Le changement de latitude s’était fait sentir une semaine auparavant, subitement les nuits étaient devenues glaciales.
La terre approchait enfin, un promontoire sauvage, couvert d’une végétation basse où des oiseaux virevoltaient en poussant des cris. Une petite cale attira notre regard et nous nous dirigeâmes vers elle.
Depuis des semaines nous naviguions vers le nord, vers la Bretagne, pour fuir la guerre qui avait éclaté contre les envahisseurs venus de l’autre coté de la méditerranée.Notre ville avait été mise a feu et a sang et par miracle nous avions réussi à partir avec le petit bateau sur lequel nous nous trouvions.
Nous espérions rejoindre la pointe plus occidentale du continent et de là, continuer toujours plus à l’ouest, vers la sécurité et la paix.
Pour l’heure il fallait faire une halte, se ravitailler.
Sur la petite plage de sable fin nous nous reposâmes pendant une heure avant de monter d’un pas hésitant la pente marquée d’un étroit sentier.
Nous étions entourés d’une végétation luxuriante et parfumée, le ciel peu à peu se calma et arrivés en haut de la falaise nous nous retournâmes pour faire face à la mer. Des ilots à perte de vue donnaient au paysage une beauté féerique accentuée par la lumière changeante et intense.
De cette hauteur nous observâmes l’ile à nos pieds, sur le versant opposé nous pouvions voir un village de maisons blanches posé au bord d’une baie.
Nous étions partis précipitamment et nous n’avions pas beaucoup d’argent sur nous. Que faire ? Apres consultation nous décidâmes de descendre.
La vue d’une église nous donna de l’espoir, peut être les bas nous serons accueilli…
Nous nous enfonçâmes dans un sentier large et plat qui par un long détour nous mena jusqu’aux portes du village. De petites maisons entourées de végétation, des rosiers sauvages de sureaux, des pommiers de plein vent fermaient les faubourgs, il s'en dégageait une air serein. Nous avions très faim.
Le sentier continuait ensuite vers la grève d’un fleuve se jetant dans la mer toute prés, nous marchâmes sur l’estran en direction d’une route qui semblait entrer au cœur du bourg.
Personne dans les rues, chants d’oiseaux, pas la moindre présence humaine. Nous étions inquiets. Et si la guerre était arrivée jusque là ?
La route nous mena le long d’un marais, sur ses eaux calmes des canards et leurs petits.
Nous faisions une pause et nous contions nos sous avant de reprendre notre chemin vers les maisons alignées en face. Arrivés sur une place nous remarquâmes que les magazines étaient ouverts. L’un de nous pris l’argent et alla acheter du pain. Il revint sous peu avec un grand sourire. Dans le magasin on lui avait demandé en Anglais d’ou il venait et on l’avait rassuré en le dirigeant vers une grande maison à l’écart de la place. Un nombre important de réfugiés étaient arrivés avant nous et la ville avait décidé de les accueillir en attendant qu’une solution soit trouvée pour les loger dignement ou pour les aider à repartir, comme dans notre cas.
Soulagés, en mangeant le pain encore chaud nous nous dirigeâmes confiants vers notre abri temporaire, notre angoisse s’estompant peu à peu, seul le souvenir des nos proches laissés derrière nous empêchait nos estomacs de se dénouer et nos esprits de s’alléger.