Journal de bord ou "calendrier des marées de l’âme" comme le dit Thoreau J’ai envie de raconter la promenade de ce matin comme un tableau que je peindrais avec des mots ; les mots ont une couleur, une consistance et une musique aussi. Nous empruntons le Crevelin qui est une rivière alimentée par la mer, elle est asséchée à marée basse comme ce matin. Un cavalier s’éloigne sur le sable humide éclaboussé de l’estran ; des promeneurs de chiens arrivent de l’autre côté ; quelques bateaux sont échoués et penchent du côté où ils doivent pencher ; les salicornes poussent librement et elles ont un goût de sel et de mer. Nous prenons le sentier du Nick bordé de tamaris échevelés par le vent, nous aussi nous sommes échevelées par le Nordé. Le chemin est de sable et de pierres bordé de troènes à l’odeur entêtante, d’églantines, de mûres en fleurs, de pruniers sauvages, d’ajoncs déjà défleuris et de fougères vigoureuses. Nous atteignons prestement la pointe du Décollé surplombant une falaise de 40m de haut dégageant une vue sur la plage, les maisons de granit et d’ardoises brillant au soleil, et la mer houleuse et dansante faisant onduler les petits bateaux amarrés. Une quantité de rochers sortent de l’eau, ils formaient jadis des îles rattachées à la terre mais en l’an 800 un raz de marée les a balayées. Le phare des Jardins, l’île de Césambre, le Homet, le fort de la Conchée édifié par Vauban, le fort d’Harbour s’étendent devant nous en majesté chahutée par les flots ; les amers pointent leur nez pour indiquer aux marins la présence de rochers dangereux.
Puis nous nous enfonçons dans la lande en espérant un peu nous perdre ! On ne parle pas, on écoute le vent dans les arbres et les oiseaux ; le bruit du vent ressemble à celui de la mer se fracassant sur les rochers. Les arbres ont les courbes des vagues à force d’être balancés par le vent. Il y a de multiples traces de petits lapins.
Nous sommes dans une vraie jungle bretonne impénétrable avec des lianes enchevêtrées. Nous nous arrêtons devant un pin déraciné aux formes tentaculaires. Le terrain est sablonneux avec du mica scintillant au soleil. Deux touffes de petits pavots orange recolorent le sentier.
Rencontre joyeuse d’une classe de printemps parisienne ; les enfants recherchent les korrigans et nous interrogent pour savoir si nous en avons rencontré. Beaux enfants aimables, ouverts, curieux et bien élevés !
Passerose
La mer la nuit. La mer dans la nuit est le miroir de l’âme.
O gouffre obscur comme j’ai envie d’aller vers toi, que tu me prennes dans tes bras et me porte dans tes profondeurs ténébreuses et mystérieuses.
Ta noirceur est un velours qui roule et se déroule. Seules quelques vagues argentées ourlent ta surface, mais c’est ton extrême profondeur qui m’attire - le silence des grands fonds – j’imagine la légèreté du corps flottant entre les eaux, embrassé d’une douce caresse amoureuse. Je m’envole et je tombe vers toi. Prends-moi et guide-moi vers ton immense royaume pour que je me repose enfin.
Ecume, écume, écume des jours, écume à la blancheur nacrée, insaisissable, légère tu t’envoles au gré du vent ; tu festonnes la plage inlassablement, tu es mousseuse comme du savon, tu es douce et inexistante. Accumulée par le vent tu deviens coton ou blancs d’œuf battus en neige et tu te déplaces aérienne en te désintégrant. Durcie par les technologies humaines, tu deviens objet d’art aux couleurs d’ivoire ; tu es pérennisée et ne t’envoleras plus mais tu deviendras la pipe préférée d’un fumeur qui te culottera avec amour jusqu’à la fin de sa vie en réfléchissant aux mystères de l’existence. Tu deviendras d’un blond vénitien intemporel et tu seras unique.
La pluie de l’attente
Ecrire sur l’attente. L’attente est une absence de vie, c’est un sas, on est en stand- by.
La journée commence doucement. J’entends la pluie tomber sur le toit, fine, régulière. J’ai essayé de dormir le plus longtemps possible pour gagner du temps, pour rester dans cet espace de temps entre le conscient et l’inconscient où tout est encore indistinct, irréel – c’est le refuge de l’entre deux mondes : le rêve et la réalité ; c’est un moment que j’apprécie particulièrement. Les pensées sont floues comme à travers une brume de résistance, on ne veut pas encore penser vraiment, on est étale, passif entre deux rêves déjà presque oubliés. Gagner du temps, oui parce que la journée risque d’être longue.
Mais maintenant j’ai les yeux bien ouverts. Je me lève, il est tard, je vais vers la fenêtre. Il pleut effectivement, la plage est déserte, le ciel se confond avec la mer. Beige de sable et gris de ciel-mer sont les seules couleurs de mon vis-à-vis. Globalement il fait triste et humide mais à l’intérieur de moi il y a pourtant une petite lueur de joie, c’est celle de son retour…. Cette petite lueur est claire et chaude mais elle est fragile et j’ai peur de l’anéantir si j’y pense trop ; il faut la laisser essayer de grandir toute seule avec le destin pour seul tuteur. S’il doit venir, il viendra – s’il ne doit pas venir, il ne viendra pas. Ce raisonnement pragmatique est ma seule bouée.
Oui, la journée risque d’être très longue. Il doit d’abord me téléphoner pour m’annoncer l’heure approximative de sa venue ou pour me dire qu’il ne peut pas venir !...
Je suis prête à toutes les éventualités, mais c’est l’Attente qui commence, cet espace-temps qui est une absence de vie, un sas, un stand-by où l’on flotte péniblement au risque de se noyer si cela dure trop longtemps. Je vais, je viens, je tourne et retourne dans ma chambre, je vais voir si mon téléphone est bien allumé, s’il est bien chargé. Je vais à la fenêtre, le ciel se confond toujours avec la mer, la pluie continue de tomber régulièrement ; je vais me faire un café, je prends un cigare, et oui j’ai recommencé à fumer, on est moins seule quand on attend avec un cigare, le geste, le goût un peu âcre, la fumée grise accompagnent bien l’ambiance extérieure, on est en phase.
Les prénoms de sable…. Le temps a passé, il continue de passer. Attendre dans ma chambre, je n’en peux plus. Les cigares se suivent et se ressemblent trop, le café devient imbuvable. J’ai décidé de sortir, je prends ciré et téléphone. L’air me fait du bien, je respire à pleins poumons l’air iodé, la pluie n’a pas cessé, elle est fine et tiède, elle caresse ma peau et l’hydrate doucement ; je me laisse faire, j’enlève mes chaussures et foule amoureusement le sable lourd et humide. Je prends conscience que l’attente n’exclut pas de goûter les sensations qui nous sont offertes. Puisque tant qu’on attend, il y a de l’espoir alors rien n’empêche de faire un peu semblant d’être heureuse !
Je marche, je longe la mer dont les vaguelettes viennent me chatouiller les pieds. En regardant le sol, j’aperçois des lettres écrites sur le sable, je m’approche et j’essaie de déchiffrer… à ma grande surprise je lis PASCALE ET JACQUES.
Et si le Nick était une île…Thème : imaginer l’arrivée sur une île inconnueLa nuit avait été rude, il y avait bien eu des creux de 7 à 8 mètres, mais l’embarcation, un cotre de 10 mètres, avait bien résisté – rien n’était cassé sauf nous qui étions épuisés ! Paul avait été une fois de plus un marin d’exception.C’est le matin, le temps est plus calme et le soleil pointe à l’horizon. Nous décidons de faire une escale bien méritée. Nous apercevons à bâbord une petite île au milieu de plusieurs autres. Il paraît qu’il y a bien longtemps elles étaient toutes rattachées à la terre mais en l’an 800 un raz de marée d’une violence incroyable les avaient disloquées et balayées. Celle que nous voulons atteindre figure sur la carte et se nomme Nick. L’endroit est dangereux et jonché d’amers et de balises pour nous indiquer les endroits à éviter. Nous apercevons aussi le phare des Jardins, l’île de Césambre, le Homet, le fort de la Conchée édifié par Vauban et le fort d’Harbour. Nous avons vraiment bien étudié la carte. Nous avançons prudemment vers une petite plage pour un accostage sauvage. Tout va bien. Paul déroule l’ancre, le fond est bon. Je dégage le canot, prends mon sac à dos avec thermos de café et biscuits pour le petit déjeuner. On arrive doucement sur la petite plage de sable fin. Quel bonheur d’être sur terre. Je tangue encore un peu et le roulis de cette nuit habite encore mon corps. Paul est plus fatigué que moi, avec sa barbe de 8 jours il a les traits tirés mais semble très heureux.
Après une pause réconfortante, nous décidons d’explorer cette île. Elle s’étend sur 8 hectares, il n’est pas mentionné qu’elle soit habitée. Elle est surplombée par une falaise d’au moins 40 mètres. La végétation paraît luxuriante. Elle est survolée par une quantité d’oiseaux : des mouettes, des albatros et d’autres que je ne reconnais pas, c’est peut-être une réserve ?
Nous prenons un sentier qui serpente jusqu’au sommet de la falaise. Il est sableux, pierreux, étroit et dangereux mais on y va. Ce sentier est bordé de tamaris échevelés par le vent, de troènes à l’odeur entêtante, d’églantines, de mûres en fleurs, de pruniers sauvages, d’ajoncs déjà défleuris et de fougères vigoureuses.
Nous atteignons assez rapidement la pointe dite du Décollé surplombant la falaise, je suis un peu essoufflée. Nous découvrons une vue magnifique dominant la ville de Saint-Lunaire avec ses maisons de granit et d’ardoises brillant au soleil. La mer est houleuse, dansante faisant onduler les petits bateaux amarrés. C’est superbe.
Nous nous enfonçons alors dans la lande au risque de nous perdre. Nous sommes silencieux, nous écoutons le vent dans les arbres et les oiseaux qui sont très bavards ; le bruit du vent ressemble étrangement à celui de la mer se fracassant sur les rochers. Nous nous regardons, nous sommes émerveillés.
Nous sommes dans une vraie jungle bretonne impénétrable avec des lianes enchevêtrées. Heureusement que Paul a pris son sécateur, il pense vraiment à tout ! Nous passons devant un pin quasiment déraciné aux formes tentaculaires. Nous continuons d’avancer péniblement et, tout d’un coup, le sentier s’élargit et nous débouchons sur un espace que l’on peut appeler clairière. Elle est ensoleillée et parsemée de touffes de coquelicots orange. Au milieu trône une cabane en bois bien dégagée de la végétation environnante. Un tuyau sort sur le côté en guise de cheminée. Nous nous avançons quelque peu étonnés. Paul pousse la porte et nous entrons. Une odeur de moisi et de feu de bois nous envahit. C’est une vraie maison avec un lit de camp et sac de couchage, une table en bois, 2 chaises, un poêle, une bassine, des bidons d’eau, une lampe à pétrole, un réchaud à gaz, un miroir, un peigne, du savon, une serviette. Sur la table il y a un bol avec une cuiller, un pot de Nescafé, une assiette, un verre et une bouteille de vin rouge entamée. Il y a contre le mur une étagère avec une Bible, du tabac, une pipe en écume et la photo d’une jeune fille blonde.
Je regarde Paul, il acquiesce : oui quelqu’un vit ici.
Nous ressortons de la maison et inspectons les alentours. Nous crions : il y a quelqu’un ? Personne ne répond. Qui peut bien vivre ici ? Un braconnier, un évadé de prison, un original à coup sûr, un clochard, un ermite. On ne sait pas très bien quoi penser. Comment est-il arrivé là ?
Cette clairière, avec cette petite maison, c’est un véritable oasis au milieu de cette jungle presque étouffante. Nous décidons de repartir bien que notre curiosité soit à son comble. Nous retrouvons le sentier que nous avons emprunté tout à l’heure et nous entendons un sifflement venant des taillis. Nous apercevons alors une grande silhouette venant vers nous. C’est un homme souriant qui vient à notre rencontre. Il a une vieille casquette, un pantalon de velours, des bottes en caoutchouc, une veste usée de para ; il porte un sac sur l’épaule d’où dépasse les oreilles d’un lapin et un fusil en bandoulière. Son visage est buriné, bronzé et barbu, son regard est clair et chaleureux. Il ne paraît pas surpris de nous voir. Il nous salue poliment et nous demande en français ce que nous faisons là et comment nous avons trouvé sa tanière. Nous lui parlons de notre périple. Il nous invite à boire du vin dans sa cabane et nous nous racontons nos vies.
Passerose