Un atelier sur le thème des souvenirs d'enfance avec des textes extraits des Mémoires d'Alexandre Dumas. 1 - L'acte de Naissance, 2 - Autour d'un plat 3 - premier émoi
Les souvenirs de Dep
Ma naissance
J'ai voulu tuer ma mère et ai échoué.
Avant de respirer les volutes opaques et bleutées des cinq paquets de cigarettes qu'elle disait fièrement avoir absorbé la nuit du 13 août au 15 à 3 heures du matin, heure où normalement mon forfait aurait dû être consommé.
En Turquie à l'époque, même à Istanbul, ville cosmopolite et en ce temps là, nid d'espionnage ayant transité de l'espionnage de guerre à celui de guerre dite froide, les notions d'hygiène ne s'étendaient pas plus loin que les toilettes corporelles et l’asepsie plutôt aléatoire.
Pour éviter de faire de moi un bébé assassin, après m'avoir jetée sur un tas de linges, l'assemblée médicale s'est penchée sur le corps exsangue de la jeune femme embrumée qui gisait en se disant certainement que son instinct l'avait prévenue de se méfier des enfants.
Je devenais dès lors l'incarnation de ses cauchemars, ce petit morceau de chair pouvant déjà faire tant de mal.
Je dû la vie à ma grand-mère maternelle, celle au fume cigarette en or télescopique , qui quelques heures plus tard en pénétrant sur les lieux de l'attentant manqué, remarqua que le paquet de linges ensanglantés bougeait et que j'étais une fille.
C'est vivant s'écria t'elle, entendue par les infirmières et Papa qui s'illumina, il n'y aurait que maman momentanément hors service !
Oui, je crois que cette tentative de meurtre ratée influença nos existences à toutes deux. Elle, se méfiant à jamais de tout ce qui pouvait venir de moi et moi craignant toujours de lui devoir tous mes déboires...
Finalement bien commode d'avoir une justification à tous mes manques à venir.
Dolmadakia
La cuisine de ma maison d'enfance se changeait en Palais des délices tout les mois, car dans une effervescence de ruche les femmes de la maisonnée virevoltaient dans des effluves d'oignons caramélisés, de pignons rôtis et d'herbes mystérieuses qui, ajoutées au riz et aux raisins secs, faisaient de la confection des feuilles de vignes farcies un rituel initiatique auquel j'ai commencé à sacrifier avant de savoir marcher, dans les bras de ma nurse arménienne qui entrait et sortait mille fois de la cuisine sous le prétexte de " faire goûter à l'enfant " la sauce délicieuse qui compôtait au fond de ces plats de métal rectangulaires et immenses où les petits paquets de feuilles de vigne préalablement ébouillantées se tenaient en rang serré tels des soldats , dorés, luisants, dégoulinants d'huile parfumée.
J'engloutissais parait-il ces délicatesses orientales au grand désespoir de mon père suédois qui essayait vainement d'inculquer des notions de diététique occidentales à une maisonnée de femmes qui quoiqu'orientales n'en étaient pas moins filiformes et dénuées de tout tabou culinaire.
Si elle assimile ce qu'elle avale pourquoi la priver ! Voilà la devise des dames de la maison.
J'ai bien sûr appliqué cette devise par la suite à tous mes recès, mais le mystère Eleusiaque de cette immense pièce à fabriquer du Bon dans les bras d'Archalouz, l'huile dégoulinant sur mon poing d'enfant crispé sur ce petit paquet de saveurs pour adultes reste en toile de fond de mes gammes gastronomiques.
Les feuilles de vignes farcies d'aujourd'hui proviennent de boites que j'ouvre en y plongeant mon nez à la recherche des souvenirs et ne sont pas tièdes !
Elles sont bien différentes sûrement comme moi mais nos ADN sont jumeaux.
Mario
J'étais la plus âgée, 6 ans et demi, la plus grande et la plus bruyante du jardin d'enfant ainsi que la classe s'appelait encore à l'époque chez les Dames de Sion.
La classe était mixte.
Je le remarquais tout de suite et m'appliquais à l'impressionner en étalant mon savoir de lecture acquit à la maison sur des manuels aux dessins de différents petits personnages.
Le gros René, Lili, des pleins et des déliés et les "s" inaudibles car plus petits et plus fins.
" Lili a vu le rat " dis-je et en rougissant regardais dans sa direction fièrement le coeur battant. Mario, lui, hésitait et butait à chaque mot. J'aurais tant aimé lui faire cadeau de mes connaissances ,l'éblouir et partager avec lui cette précieuse connaissance.
Mario est parti au milieu de l'année, son père diplomate italien envoyé en poste je ne sais où mais je le savais loin de mon coeur tout plein de lui, sa petite et frêle personne que, je réalise à présent, j'aimais. Sinon pourquoi croyais-je à chaque longue traînée blanche d'avion dans le ciel qu'il était entrain de regarder par le hublot en essayant de m'apercevoir dans la cour pendant la récré ?
Pourquoi d'ailleurs ai-je toujours un pincement au coeur les après midi roses et bleus de la belle saison en levant les yeux vers ces sillages si rares à présent qui sont la condensation des larmes d'un amour d'enfance, un amour tout simple, pur, intemporel et probablement éternel.
Dep
Les souvenirs de ValérieLa Callas
Le 2 février 1961 à 6 heures du matin, la sage-femme distraite laissa la marque de ses doigts sur mes fesses violettes. On me rapporta que le cri que je poussais me valut le surnom de « la Callas ». Diva de 5kg et 60 cm, je continuais à travailler ma notoriété, chaque fois que j’avais faim, que mes couches en tissu, fermées avec une épingle à nourrice étaient mouillées et que je voulais être prise dans les bras. L’hôpital eut rapidement pitié des occupantes de la maternité. L’équipe médicale renvoya ma mère, son petit bagage et son nourrisson à la maison.
Dès les premiers jours, à chaque bain, je poussais des hurlements. Alerté par le voisinage inquiet, tout le corps social défila auprès de ma mère pour l’interroger sur ses méthodes d’élevage : police, gendarmerie, assistante sociale, médecin. Rien n’y fit, ma voix de cantatrice gagna en force.
Plus tard, ma voix se fit plus discrète dans une vie de femme sage. Maintenant que cette existence se termine, la mort ne me fait pas peur. Mon enterrement est payé, la concession réglée et ma tombe prête. Sur la pierre est gravé le nom de ma marraine à la voix de rossignol. Et je veux que mon dernier souffle soit une vocalise virtuose, le tout dernier cri de « la Callas ».
Le marbré du dimanche
Chaque dimanche, le déjeuner se terminait avec un marbré.
Le peu de famille qui consentait à se réunir autour de la petite table du salon, exaspérée d’être à l’étroit, en était à sa n-ième dispute. Les sujets ne manquaient pas : l’après-guerre, le gouvernement d’alors, l’éducation des enfants, les mérites de la dernière 4L.
Ma mère, imperturbable, déposait le marbré au milieu de la table, distribuait les assiettes au milieu des cris et des invectives. Elle servait le café avec le dessert. S’installait alors un silence, apprécié de tous.
Au lieu de manger en même temps que les convives, je prenais le temps d’admirer et de respirer les parfums du quatre quart encore tiède. Pendant que les autres s’étouffaient et volaient des morceaux sur le plat, je voyageais dans les spirales du chocolat et de la vanille entremêlés.
Il me semblait que ce gâteau prêchait la paix à ma famille. Oncles, tantes, grands-pères, grands-mères, la bouche pleine, étaient vaincus. Sitôt la dernière miette avalée, ils s’engouffraient dans la dispute suivante.
A ma grande surprise, le son, les cris, les paroles assassines m’étaient inaudibles. Je prenais le temps d’apprécier la souplesse de la tranche avant d’en prendre un morceau à la main, les fourchettes à dessert étaient inconnues à la maison. Dès ma part finie, le silence salvateur perdait la bataille.
Mais dans ce moment particulier où tout s’était tu, je regardais les bouches se déformer, les doigts pointés, les yeux exorbités et j’en riais sans pouvoir m’entendre.
A jamais, le marbré reste lié au ridicule des conversations stériles et du bonheur d’en être dispensé par la magie d’un gâteau.
Car scolaire en hiver
Habiter à dix kilomètres du collège m’obligeait à prendre le car. En hiver le voyage était beaucoup plus long qu’en été. Mais pour moi, c’était le rendez-vous à ne pas manquer. D’une manière générale, mes camarades me laissaient indifférente : peu cultivés, superficiels et violents à l’image de la bêtise parentale.
Mais attendre à l’arrêt du car, le matin, dans la neige et le froid c’était supportable parce qu’IL était là, assis au milieu de collégiens gesticulants. Dans le car bondé, la place à côté de lui était libre et cette place était pour moi.
Au début de cet arrangement tacite, nous ne nous disions rien, tous entiers au plaisir de se toucher juste de l’épaule et du bras. Le trajet n’était jamais assez long.
J’arrivais au collège, il fallait bien descendre. Je ne savais pas ce qu’IL faisait dans la journée. Ma vie de collégienne était bien remplie, j’adorais apprendre et je buvais les paroles de mes professeurs.
Le soir n’arrivait jamais assez vite et plus la nuit était avancée, mieux c’était. En sortant du collège, je m’efforçais au calme en marchant. Dans le car du retour, le chauffeur répondait avec lassitude à mon « bonsoir » prononcé distraitement, mon regard était déjà ailleurs. IL était là, la place à côté de lui m’attendait. Je m’asseyais dans un soupir profond, encore plus heureuse si je portais mon jeans préféré.
Le retour souvent ralenti par la neige fondue faisait battre mon cœur. Le froid n’était ennuyeux que par l’épaisseur des vêtements qui nous séparait.
Cela dura le temps de l’hiver et puis, un jour, il se mit à parler. Le mystère y perdit de nombreuses plumes. Bientôt, la place cessa d’être vacante.
L’année suivante, j’allais au lycée dans une autre ville avec un autre car.
De nouvelles sensations m’attendaient.
Valérie Wéber
Les souvenirs de Pascale
Acte de naissance
Mes parents habitaient à Boissy Saint Léger dans le Val de Marne (ville des orchidées) C’était encore la 2ème guerre mondiale, mais Maman avait envie d’avoir un deuxième enfant. Celui-là ou celle-là, elle s’en occuperait elle-même, parce que pour l’aînée, ma sœur Nicole née en 1931, Maman travaillait avec Papa ; comme les femmes modernes, elle partait tôt le matin à Paris où mon père avait une société de tissus d’ameublement, et rentrait tard le soir. Toute la journée et toute la semaine, c’était ma grand-mère paternelle qui s’occupait de ma grande sœur. Elle ne voyait vraiment sa fille que le week end.
Le deuxième enfant fut donc conçu et fit son entrée dans le monde un 22 juillet 1941 à 6H30 du matin à la clinique de Villecresnes dans le Val de Marne…..et bien c’était moi ! J’ai questionné ma sœur sur cet évènement. Elle m’a appris qu’elle ne s’était même pas aperçu que Maman était enceinte ! Ayant déjà une « descente d’organes » pas traitée, Maman après ma naissance a dû porter un corset jusqu’à la fin de sa vie alors qu’elle aurait très bien pu se faire opérer.
Encore une fille a dû penser mon père qui désirait un garçon pour reprendre son affaire plus tard !
Maman était aux anges. Elle ne travaillait plus et elle allait pouvoir s’occuper de moi à plein temps ainsi que de sa fille aînée. Quelle joie pour nous trois.
J’ai des photos d’une petite fille aux cheveux bouclés châtains, genre anglaises, l’ondulation n’était pas naturelle car j’ai toujours eu les cheveux raides comme la justice. Je devais avoir 2 ou 3 ans et c’était le jour de mon baptême et de communion de ma grande sœur. J’étais joufflue, l’œil déjà coquin, j’avais une petite robe blanche.
Le moka au café
A toutes les grandes ou moyennes occasions, le moka au café était le dessert de prédilection et la spécialité de Maman.
Elle le préparait elle-même. J’assistais souvent à l’évènement. Je la regardais casser les œufs, les mélanger avec de la farine et du sucre pour faire la génoise ; c’est surtout la crème qui m’intéressait, c’était une onctuosité savoureuse, beurrée, très sucrée et parfumée à l’extrait de café. J’attendais la fin de la préparation pour passer mon doigt sur les bords de la casserole pour recueillir avec gourmandise les restes de crème que la cuillère en bois n’arrivait pas heureusement à atteindre, je sentais sur ma langue les petits grains de sucre en poudre pas encore fondus, c’était succulent.
La génoise cuite et la crème au café achevée, Maman procédait au montage du gâteau rectangulaire avec un socle de génoise, une couche de crème, une autre épaisseur de génoise, une nouvelle couche de crème et la génoise finale ; tout le gâteau était ensuite recouvert généreusement ou plutôt tartiné de tous les côtés avec le restant de la crème.
Pour la décoration, Maman disposait méticuleusement des grains de café en sucre contenant un sirop de café au goût très subtil… et le gâteau attendait patiemment au réfrigérateur l’heure de la dégustation.
Ce moka au café était, certes, délicieux mais quelque peu écœurant après un dîner où entrée, poisson, viande et légumes, salade et fromages devaient être absorbés préalablement. Mais c’est un souvenir dégustatif d’enfance incomparable pour moi qui ponctuait tous les repas de fête en famille ou avec des amis. C’était un moment privilégié de joie et de convivialité. Quelquefois il servait de bûche de Noël avec une décoration adéquate. Il remportait toujours un vif succès et Maman était à juste titre très complimentée et très fière.
Le premier émoi
J’avais 11 ou 12 ans pas plus. Il s’appelait Franck. C’était le frère d’une camarade de classe. J’étais à l’Institut de la Madeleine et lui à Fénelon en face rue du Général Foy. Quand les sorties de classe correspondaient, on se retrouvait avec les garçons dans la rue et on flânait un peu avant de rentrer chez nous ; je l’avais remarqué dès le premier jour. Il y avait chez lui quelque chose qui m’interpellait et m’attendrissait, je ne savais pas quoi exactement. Je le trouvais beau, les cheveux en brosse châtains, des yeux rieurs très bleus, un visage régulier à la peau très fine qui devait être très douce, il était assez grand mais pas plus que les garçons de son âge 13-14 ans. J’aimais qu’il soit dans mon champ de vision, j’aimais m’approcher de lui, le toucher presque mais je n’osais pas.
A chaque fois que je le voyais, il y avait une espèce de chaleur qui descendait en moi et que je ne savais pas expliquer ; ce n’était pas un trouble mais une émotion que je ne connaissais pas encore. Ce que j’aimais, c’est qu’il soit là, c’est tout. Il avait l’air très gai et ne semblait pas trop gêné avec les filles contrairement à ses camarades. J’essayais d’attirer son attention, en vain, je crois qu’il ne m’a jamais vue réellement ; je devais être transparente pour lui ! Il ne se souvient certainement pas de la Micheline de l’époque devenue Pascale quelques années plus tard.
Pascale Grilliat