1 - "Vous êtes loin, au bout du monde quel paysage avez-vous emporté sur votre terre d'accueil ou d'exil"
Katmandou - la mer par Valérie WeberOn ne respire plus. La neige et la terre ont tout emporté. Les maisons sont tombées, les jardins balayés, les routes effacées. L’entropie s’est rendue maîtresse des lieux. Seul le ciel garde la trace des étoiles, inchangée. Le soleil se lève toujours à l’est. Mais quand le reverrons-nous ? Cela fait quelques jours que nous sommes coincés sous un bout de tôle qui servait de toit à la baraque à livres de Katmandou. Nous, c’est Pierre, Tania et moi. Pierre est en train de mourir, Tania ne dit plus rien, ne bouge même plus. Ils sont loin déjà. Il n’y a plus que moi pour tourner les pages. De l’air nous arrive de temps à autre, il reste très peu d’eau. Je lis la chevelure de Baudelaire et je pense à l’eau qui coule dans les rivières, à gros bouillons et dans lesquels j’aimerais me trouver en ce moment. Trop faible, je ne sens plus la faim, mais j’ai soif. Il me semble que je pourrais boire la mer entière. La mer, qu’on voit danser, le long des golfes clairs, a des reflets d’argent.
La mer sauvage bleu vert du Nez de Jobourg, dominée par les falaises où nichent les goélands et les cormorans huppés. La mer de bonne famille de l’île d’Oléron. La mer du Nord grise des pierres de la ville d’Ostende. La mer-océan noire fracassée sur la plage sombre d’Essaouira. La mer discrète de l’île grecque d’Evia (Eubée) ignorée par les touristes. L’océan-mer pacifique et terne, indifférent aux corps bodybuildés des californiens hédonistes. La mer étirée sur Omaha beach et plongée dans le brouillard des jours de novembre. La mer sur la presqu’ile de Gien, bleu lapis-lazuli, à l’eau diamantée de méduses.
J’ai fermé les yeux, endormie par la lumière, c’est l’été. Je traverse l’ombre odorante de la pinède du centre de l’île de Porquerolles, une brise tiède s’enroule sur mes jambes nues. J’écarte les bras et j’embrasse la mer, elle est partout, je m’enroule dans ses plis blanc-bleu.
J’ouvre les yeux et je prends la goulée d’air qui vient, peut-être la dernière.
Valérie Weber
Ma campagne par Pascale Grilliat
J’ai fait dernièrement un voyage en Chine. J’ai connu le dépaysement du nombre, de l’immense, d’une culture différente, de l’insolite, du contraste omniprésent de la beauté et de la laideur, de l’ancien et du moderne même de l’avant-garde, une impression à la fois attachante, étonnante et déconcertante où l’on a du mal à se situer parce que l’on côtoie continuellement la différence et que les repères n’existent plus. Il faut s’en créer d’autres et on a pas le temps en 17 jours ; mais on découvre, on explore et on s’enrichit de cet inconnu qui nous surprend et nous séduit malgré tout. On s’investit pour essayer justement de comprendre toute cette différence. Mais, si loin de France, c’est à ma campagne percheronne que je pensais quelquefois et je visualisais très bien dans ma mémoire le paysage qui me comble de joie et que je savais être éperdument heureuse de retrouver après ce voyage. Il faut quitter ce que l’on aime de temps en temps pour mieux l’apprécier ensuite.
Quand j’arrive sur mon chemin de terre, c’est une bouffée de liberté qui m’envahit et le chemin est suffisamment long pour que j’aie le temps de goûter pleinement cette impression. Je suis en voiture et j’ai envie de détacher ma ceinture de sécurité pour me sentir encore plus libre mais les constructeurs de voiture en ont décidé autrement puisque lorsqu’on la détache, un couinement insupportable retentit dans l’habitacle ! J’avance lentement dans le chemin et j’aperçois le mur de verdure, c’est la haie de charmes qui cache un peu la maison en ne laissant apparaître que le vieux toit en tuiles. Je me gare sur le parking en gravier. Je suis à Passe Rose, le lieu dit des roses trémières qui dépassent les roses. Je suis en plein champ : à droite, à gauche, devant et derrière. Au printemps c’est vert de blé ou jaune de colza, en été c’est blond de blé mûr ondulant au gré du vent comme la mer ; une année c’était même bleu de lin comme la Méditerranée.
La maison est là, elle m’attend avec mes deux chats qui viennent m’accueillir en général, ils ont senti ou entendu que j’arrivais. La mare est là aussi miroitante, immobile ou frisée par la brise.
Je monte le perron et j’ouvre la porte. J’aime retrouver cette forte odeur de feu de bois. J’ouvre les volets et j’ai l’impression que la maison revit.
Le paysage change selon les saisons. Le grand peuplier me donne la direction du vent. L’espace s’étend autour de moi avec majesté et simplicité. C’est mon havre de paix, mon refuge. C’est là que je me ressource, que je me retrouve pleinement dans la solitude, le calme et le silence – le vrai silence que l’on écoute vraiment. C’est le contraste que j’aime par rapport au bruit et la foule de la grande ville. A chaque problème que j’ai pu rencontrer depuis que j’ai cette maison, c’est toujours là que j’ai aimé revenir pour m’apaiser, faire le point et me ressourcer. Quand je ne pourrai plus y venir pour des raisons de santé, je garderai en mémoire et dans mon cœur ce paysage là auréolé de bonheur simple et authentique. Je serai en exil de ma campagne percheronne tant aimée.
Ce temps viendra mais j’en aurai bien profité et ce sera l’un de mes plus beaux souvenirs, un lieu de vie de mon histoire de vie avec les enfants et les amis.
Pascale Grilliat
Le paysage que je tiens à transporter partout avec moi est l'image du marché de France et de Navarre par Catherine BecquartQuoi de plus plaisant , perdu dans le désert de Gobie, d ' IMAGINER
Savourer un radis rose ou noir avec une pointe de beurre salé sur un croûton de pain frais ?
Quoi de plus renversant, perdu dans le désert du Sahara, IMAGINER
Une ribambelle de cerises rouge- vermeille atteignant sans peine votre bouche goulue?
Quoi de plus enjouant, perdu dans le désert brillant de Bolivie,
Aveuglé par le sel miroitant l'horizon blanc
IMAGINER assoiffé, un plateau de fruits juteux et onctueux?
Quoi de plus désarmant, perdu dans le désert blanc d’Égypte
IMAGINER un panier de légumes verts et rouges, jaunes et oranges ?
Le mal du pays c'est le repas généreux
L'IMAGINAIRE goûteux vous sauvera
Les marchés de France et de Navarre
voici de bonnes roues de secours imaginaires
Face à la beauté mémorable du voyage.
Catherine Becquart
2 - " vous êtes dans le moyen de transport qui vous éloigne de l'endroit où vous avez vécu toute votre vie et vous vous dirigez vers un nouveau lieu qui sera votre : terre d'accueil, d'exil, d'asile. Racontez ce qui vous passe par la tête au cours de ce voyage, vos états d'âme, vos craintes, vos espoirs".
Le fils perdu ou Katmandou (encore !) par Pascale Grilliat
Les jeux sont faits. J’ai décidé de partir. Je pars. Je suis dans l’avion. Je ne sais pas quand je reviendrai et si je reviendrai.
Je vais à Katmandou essayer de retrouver mon fils qui faisait un traking près de l’Everest au moment du tremblement de terre du Népal. Je n’ai pas de nouvelles. Il fait partie de ces français que l’on ne retrouve pas, mais moi je sais qu’il est vivant quelque part. Tout le monde m’a déconseillé de partir bien entendu ; « c’est trop dangereux pour une femme seule, ça ne servira à rien », ce sont les rengaines que j’ai entendu maintes et maintes fois ; mais moi je ne peux pas rester ici sans rien faire dans mon appartement à attendre des nouvelles qui ne viennent pas, d’ailleurs à la télévision on en parle même plus, c’est terminé alors que, pour moi, tout commence. J’ai appelé je ne sais pas combien de fois les numéros conseillés mais aucune réponse. Donc je vais sur place pour voir par moi-même.
Et puis tout le monde sait, lorsque j’ai décidé quelque chose c’est incontournable, il faut que je le fasse. Certes, ce n’est pas un voyage touristique, c’est un voyage de recherche de la chair de ma chair, vous comprenez cela. C’est vital, c’est crucial, c’est obligatoire et évident pour moi. Maintenant on peut atterrir à Katmandou, après je verrai où j’irai.
Je sais que je vais voir des choses horribles, je m’attends à tout mais je sais que le « spectacle » dépassera tout ce que je peux imaginer. C’est comme la fin d’un monde. Je me renseignerai, je questionnerai, je chercherai, je m’investirai et je trouverai les traces de mon fils, je le ramènerai vivant…..ou mort – mais je saurai.
Il est peut-être blessé, perdu dans un camp de sauvetage, hébété, ne comprenant pas ce qui lui est arrivé, ne pouvant pas communiquer, il est peut-être amnésique et ne sait même plus qui il est. Il était parti avec 2 copains dont on n’a pas de nouvelles non plus. Je suis chargée de les retrouver aussi bien entendu. Si j’en trouve un, les deux autres ne seront pas loin.
C’est une quête que j’entreprends, la plus belle qui soit : retrouver mon fils coûte que coûte. C’est un projet fou mais qui m’aide à vivre ou plutôt à survivre. Je ne peux plus supporter cette attente, cette incertitude. J’ai besoin d’agir, je dois aller là-bas, c’est ce que je fais.
J’ai la volonté et l’espoir qu’il faut pour me soutenir. Je crois en la vie
….de mon fils. Je ne baisserai pas les bras, j’irai jusqu’au bout de cette volonté et de mon amour. Il est vivant, je le sais, je le sens ; les mères savent ces choses-là. Je ne l’abandonnerai pas.
Pascale Grilliat
Je dois m'exiler pour raison climatique par Mamlair
Avant, c'était avant.Je regardais sur le petit écran ce qu'on appelait déjà "les réfugiés climatiques". Je me disais "je ne connaitrais jamais cet écueil de mon vivant; pas possible!
C'est pour les îles du pacifique...loin,très loin d'içi...ou bien pour les générations à venir.
Cette mer que j'ai tant aimé, voilà que je la vomis et lui crache mon venin amer. Elle m'a tout pris. Moi, petite vieille de 92 ans, elle a balayé en une seule nuit ce qui m'était cher .Je n'ai rien pu prendre de mes quelques petites affaires car il ne restait plus rien à prendre. Tous les objets des uns et des autres flottaient alentour.
La mer m'a tout pris,et comme un raz de marée, ne reste sur mes lèvres que ce gout d' iode prononcé.
L' hélicoptère, pour la première fois de ma vie, est venu me soulever de la lucarne de mon toit, où l'eau de mer atteignait déjà mon sein. J ai aperçu depuis le hublot ce que je ne voulais pas voir : ma maison disparaissait sous les flots en furie...L 'hélicoptère me transportant faisait un vacarme tonitruant. Je l'entends toujours ainsi que la mer débordant de partout. J' entends toujours le pilote, se retournant sur mon île, dire "ça y est; l'île de sein est submergée, elle n'existe plus" .
Moi, petite vieille de 92 ans, femme de marin ayant toujours vécu à l île de sein, comment est ce possible de vivre après cet exil forcé?.
Vais je devoir mourir à la vie qui me reste ?
Je n'ai plus, ni papiers, ni livres, ni carnets, ni photos, ni toit ,ni lit pour me reposer.
Mes souvenirs s'égarent dans les flots. J'ai froid, j'ai peur, je n'ai pas sommeil,je grelotte, je n'ai ni faim ni soif. J 'ai envie de mourir.
Qui pourrait m'entendre.?
Mamlair