collage de Hundertwasser
Mémainto ou Main-tenant par Coco
Enfants nous marchions toujours main dans la main sur les chemins trop étroits, joyeux, le pied léger, unis comme les cinq doigts de la main. Nous avions décidé de prendre la vie à pleine main, éternellement solidaires, sans tabous et avec passion et nous avancions vers notre avenir la main sur le cœur et parfois le poing levé. Lina avait la main verte et ne se rêvait que dans un jardin. Charles était un vrai manuel mais il avait un poil dans la main. Mia était ravissante et elle devait parfois fuir les mains baladeuses. Elle avait toujours la main leste quand on tentait de lui mettre la main au panier. Nous n’hésitions pas à lui prêter main forte. Avec mon cher Louis nous jouions parfois au piano à quatre mains. J’admirais son doigté et sa passion pour la musique.
Mais nous avons eu beau faire des pieds et des mains, Louis nous quitta pour prendre la robe. Je le revois dans cette abbaye, les mains jointes, le regard comblé. Sans surprise, sa vie serait une main tendue vers les autres car, comme disait le dénommé Louis Ratisbonne : « joindre les mains, c’est bien mais les ouvrir, c’est mieux. ».
Après avoir mis la main aux cartes et s’être essayé au dur métier de pickpocket, Charles s’était fait prendre la main dans le sac. Ce jour-là, il avait fait main basse sur une belle somme d’argent et un sous-main contenant des documents compromettants. Pourtant il rentrait souvent les mains vides, « Jeux de main-jeux de vilain ». Il décida finalement d’échapper définitivement aux mains levées avant d’avoir du sang sur les mains et surtout qu’on mette à nouveau la main sur lui. Depuis, il s’est repris sérieusement en main et c’est maintenant un merveilleux magicien très habile de ses mains et très prisé dans les goûters d’anniversaire.
Mia est devenue la reine des premières mains. Elle avait toujours eu un penchant pour la haute couture et elle a des doigts de fée. Elle était faite pour ça, c’était du cousu-main. J’ai d’ailleurs toujours ce joli sac à main qu’elle m’avait confectionné. Il est en de bonnes mains car je ne m’en séparerai jamais. Elle a pris quelques rides bien sûr mais elle est toujours aussi jolie et les hommes viennent encore lui manger dans la main.
Lina est paysagiste. Elle a ainsi les mains libres et ne peut être plus heureuse si proche de sa chère nature. Elle a gagné maintes et maintes fois le concours du plus beau jardin haut la main.Elle n’hésite jamais à mettre la main à la pâte pour ménager sa main d’œuvre mais elle travaille toujours la terre sans gants car elle ne craint pas de se salir les mains.Alors, lorsqu’elle croise quelqu’un en ville, elle fourre toujours les mains dans ses poches pour cacher ses ongles noircis. Elle roule dans une vieille camionnette rouillée, une seconde main, mais qui lui est néanmoins bien utile.
A la fin de nos études, lorsque nous primes des chemins différents, une idée fit l’unanimité. Lors d’un vote à main levée, nous décidâmes de ne jamais nous perdre de vue et de nous retrouver une fois par an pour boire un doigt de whisky dans le verre de l’amitié. J’ai d’ailleurs renversé le mien un jour par mégarde car j’ai toujours eu deux mains gauches. Nous nous retrouvons donc chez moi,chaque année,vêtus de nos plus beaux atours, à minuit montre en main. Charles arbore un sempiternel nœud papillon noir qui lui va comme un gant et la belle Mia une robe exquise faite de ses blanches mains. Je suis persuadée qu’un jour ou l’autre Charles prendra son courage à deux mains et il demandera sa main. Lina, qui n’a pas perdu la main, nous sert à boire d’une main de maître même si elle n’y va pas de main morte, tandis que je mets la dernière main à la préparation des canapés. Nous pouvons bavarder pendant des heures, les verres circulant de main en main, et la discussion est souvent animée car nous avons des opinions divergentes bien sûr mais nous sommes de vrais amis et nous n’avons jamais songé à en venir aux mains. Père Louis y veille consciencieusement, il a une main de fer dans un gant de velours. Puis nous nous quittons tristement jusqu’à l’année suivante en nous faisant un long signe de la main.
Mais, peu importe, nous nous retrouverons toujours pour des lendemains qui chantent car la main de Dieu veille sur nous et, j’en mettrai ma main au feu, c’est ensemble aussi que nous partirons un jour,les pieds devant.
Coco
Histoire d'une main par Dep
Première signature, premier autoportrait, aux doigts bien écartés avec les traces mêmes du souffle de l'être à qui elle appartient, petites particules pleines de l'ADN de ces artistes hallucinés, œuvres rupestres et pariétales animées non par le doigt du Dieu du ciel de la Sixtine, mais par cet outil emprunt de magie au bout de leur bras. Présence divine de l'inspiration, courant impalpable entre la chair et l'esprit, cette baguette d'enchanteur à cinq branches pouvant concrétiser leurs rêves et leurs idées les plus folles.
La main qui construira, élèvera, imaginera ce qui n'existe encore.
Perfection qu'aucune mécanique n'égalera car en lien direct avec l'esprit, ce lieu habité d'infini, appartenant à peine à son habitacle de chair et d'os.
Mains menaçantes, poing fermé, doigt d'honneur insolent, dérisoire.
Tenailles griffues, redoutables armes chargées de haine ou de désespoir, mains tenant lieu d'arme, ou d'outil de fortune, main du Mal, de la torture, de la Mort, dévoilant les portes des abîmes de cruauté. Clés d'une énigme perverse toujours renouvelée, qui appellent, qui repoussent qui savent si bien distiller le doute et contre dire les mots.
Un bout de chanson démodée dans le fond de mon souvenir d'enfance , portes entrouvertes sur les soirées d'adultes... "... Mes mains caressent dans le soir la forme d'un espoir qui ressemble à ton corps ..."
Mains d'amour donc, reproduisant les caresses données et partagées. Salvatrices, consolatrices, douces mains de l'amour maternel, celles qui font oublier douleur et injustice, celles qui empêchent nos yeux de voir l'horreur indicible.
Mains d’illusionniste escamotant la réalité, faisant du mensonge une vérité.
Mains retenant qui veut les quitter, qui voudrait les abandonner et jeter en pâture à l'oubli ce qui fut la raison d'une vie.
Mains de solitude, humides de larmes, doigts rageurs de la révolte, doigts croisés en prière, paumes implorantes humbles et un jour inertes et impuissantes que l'on croisera sur une dépouille elle même éffleurée caressée et honorée par d'autres mains.
Dep
Quelle main ? de Bia. .
Une télévision trône dans la pièce exiguë aux meubles foncés. Elle ne la regarde pas, le bruit l’atteint et la blesse, les rires gras, les propos ridicules et infantilisant.
Elle a douze ans et se sent mal dans sa peau, elle est sa propre prison. Dehors il neige, tout est blanc, silencieux. Elle passe sont temps à grignoter dans la cuisine, petit réduit sans fenêtre; elle prends un couteau, beurre une tartine. Par on ne sait quel geste brusque elle s’entaille profondément le paume de la main droite. La pointe du couteau y reste enfoncée, elle l’enlève et regarde le sang qui coule abondamment.Une petite cicatrice sur une des lignes de sa main lui restera à vie pour lui rappeler cette période entre deux.
L’été arrive. Une grande propriété dans la pleine padane*, un garçon la pousse contre le mur d’une grange branlante. Il l’embrasse.Sa main se lève comme pour se défendre. Il n’en est rien. Cette main qui aurait du gifler retombe molle à coté de son corps. Le soir, elle court se confier, tu sais il m’est arrivée… ce n’est rien lui dit sa mère, c’est dans l’ordre des choses. La ville ou elle a grandi est l’aire de jeu où tout malaise est étouffé par des achats boulimiques. Les trente glorieuses, la culture de l’excès et de l’auto indulgence.
"La meilleure carrière d’une femme est le mariage".
Tout se bouscule en elle, au creux de l’estomac un nœud de peur, de désir, d’inquiétude. Elle est un bateau à la dérive.
"Je dois étudier", dit-elle. "Viens", lui répond-t-on," j’ai trouvé une voyante".
Quelque part dans les faubourgs elle monte les escaliers d’une maison populaire, on tourne on tourne autour d’une cour intérieure.
Une femme sans visage, mais avec un corps aux relents de pauvreté prend sa main entre les siennes, dans un petit appartement donnant sur le ballatoio**, elle trace du doigt sa ligne de vie, la regarde à peine. Mais soudain, elle relève la tête, la fixe d’un regard effarée, "tu comprendras le sens de la vie, beaucoup de souffrance. Éloigne-toi des perles".
Comment utilise- t- elle ses mains ? Du tricot, un peu, du petit point aussi, pas grande chose. Elle ne donne pas d’importance à ses mains, elle se ronge les ongles jusqu'à l’os, elle suce son pouce en cachette.
Un petit bout de fille pré-pubère qui n’aimerait que lire et courir dans les champs et qui doit composer avec les désirs que les adultes ont pour elle.
Elle aimerait tant prendre une main, mais laquelle?
*Plaine du Po
**galerie
Bia
La main de Passerose
« Organe du toucher et de la préhension » dixit le Petit Robert, c’est déjà pas mal, mais c’est beaucoup plus que cela évidemment.
Pour moi, c’est un moyen de percevoir fondamentalement la personne qui est en face de moi. Les mains et les yeux (le regard) la définissent à son insu, elle n’y peut rien.
La main est unique comme l’individu, il n’y en a pas deux semblables.
Une foultitude d’adjectifs me permet de la décrire objectivement et exhaustivement quant à moi :
Il y a la main large , forte, ferme et rugueuse du sculpteur ou de l’agriculteur. Il y a la main soignée, raffinée et gracieuse de la femme distinguée ; la main gantée de la femme élégante ; la main petite et potelée de l’enfance ; la main tremblante, veineuse, sèche et noueuse du vieillard ; la main grande ou courte mais velue du vrai mâle ; la main longue, légère, agile, active et expressive du pianiste ; la main rouge, froide et gercée de la personne sans gant pendant l’hiver ; la main douce, chaude, caressante, charmeuse et sensuelle des amants ; la main enveloppante et apaisante de l’empathie ; la main moite et molle du timide ; la main décharnée, nerveuse et blanche du maigre ; la main grosse, pataude, chaude et violente de la brute ; les mains jointes de la prière ; les mains liées du condamné ; les mains ouvertes qui accueillent.
La main est un moyen d’expression comme le regard.
La main, c’est un geste, une attitude, un signe expressifs de ce que la personne veut faire comprendre ; c’est même un langage pour les muets. C’est un moyen de communication universel – quand on ne parle pas bien une langue étrangère, on arrive à se faire comprendre avec des gestes. Le regard et les mains sont un complément du langage.
La main prend, la main donne, la main fabrique, la main étrangle, la main griffe, la main donne la vie ou la supprime ; la main écrit, c’est bien un moyen d’expression et de communication.
La main est une façon d’être, d’exister.
Elle accompagne l’homme tout au long de sa vie sans qu’il ne s’en rende compte sauf lorsqu’il la perd au cours d’un accident et il devient infirme et handicapé.
Il y a des mains qu’on n’aime pas justement parce qu’elles décrivent une personne qui ne correspond à ce que l’on attendait – c’est évidemment un jugement intuitif absolument irrationnel…..et pourtant Oscar Wilde disait bien : « Qui n’a pas éprouvé de sensations au contact d’une main ? La main c’est l’indice du tempérament ».
Passerose