Ecrire avec Boccace
Tempête par Sandrine L.
C’était pendant la grande tempête de 1990. Les arbres étaient tombés comme autant de quilles géantes tout autour de la ferme, et même sur la ferme. La magnifique forêt qui bordait la cour, cette forêt que nous aimions tant n’était plus qu’un vaste jeu de mikado, les troncs enchevêtrés les uns dans les autres ne laissaient place à aucun interstice, aucune possibilité de se laisser déplacer…
De toute façon, il ne servait à rien de se creuser la tête, toutes les portes étaient bloquées, de même que les fenêtres. Il n’y avait plus d’électricité, plus de téléphone. Impossible de prévenir qui que ce soit.
Quand on occupe la dernière habitation du village, il faut bien s’attendre à être un peu isolé…
Auguste pensait à ses vaches et se rongeait les sangs, Bernadette s’inquiétait pour les moutons, Rémi se demandait dans quel état il allait retrouver ses cochons et sa moto. Madeleine envisageait le pire pour le poulailler et ses occupantes, et se demandait comment elle allait nourrir toute la maisonnée, et pour combien de temps. Yvette consolait Jean-Baptiste terrorisé.
Mais ses mots ne parvenaient pas à calmer l’enfant, oscillant entre la peur de la situation et sa colère à voir les adultes impuissants.
- Bah, on finira bien par nous retrouver, fit Auguste, philosophe.
Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il se passerait trois jours avant que les autres habitants se souviennent de notre existence, étant eux-mêmes engloutis sous des amoncellements divers, et quatre jours de déblaiement à la tronçonneuse pour se frayer un minuscule chemin jusqu’à nous.
- Allez viens, Jean-Baptiste, on va se raconter des histoires…
- Des histoires de loups ?
- Si tu veux, des histoires de loups.
- Pass’quelà, tu vois, ch’uis sûr que des loups y en a plein, et y z’ont plus de maison, alors y vont venir, et moi j’aime pas les loups et….
- Chut, Jean-Baptiste, notre loup à nous, il n’est pas comme les autres… C’est un loup blond, comme toi. Et il a les yeux bleus, comme toi aussi. Alors tu vois, il ne faut pas avoir peur, c’est un très gentil loup. Et il est à la recherche de son petit copain, un petit garçon de ton âge avec qui il aime faire des galipettes dans le pré. C’est un loup qui ne mange pas les moutons, un loup qui aime les câlins et les gens. Il ne mange que des glaces au chocolat, des bonbons de guimauve et de l’omelette au fromage. Tu vois, il n’est pas dangereux.
Jean-Baptiste me regarde en écarquillant les yeux.
- C’est vrai ?
- Les histoires, Jean-Baptiste, sont vraies si on décide de les croire. Et quand on ne les croit pas, elles sont toute tristes et deviennent fausses ;
-Ben moi, je crois qu’elle est vraie, dit le gamin en se pelotonnant dans le fauteuil de sa grand –mère.
- Alors ce loup, un jour, a vu que la maison de son petit copain avait été toute cassée par des troncs d’arbres, et il ne comprenait pas pourquoi la forêt était devenue folle. Mais surtout il était très inquiet pour le petit garçon, il avait vu que toutes les portes et les fenêtres étaient bloquées et qu’un gros arbre était tombé sur le toit. Il s’est dit, dans son gentil cœur de loup, que le petit garçon avait sûrement très peur et qu’il voulait sortir. Mais comment l’aider ?
Le loup est sorti de sa tanière, heureusement il a pu passer sous le tronc qui en barrait l’entrée. Et là il a vu que toute la forêt s’était écroulée et que ça allait être difficile d’aller jusque chez le petit garçon. Alors il s’est assis sur la mousse et il s’est gratté l’oreille pour réfléchir. Il a commencé à creuser sous un arbre pour faire un tunnel, c’était long, c’était difficile, ça faisait mal aux griffes. Il est tombé nez à nez avec un gros sanglier poilu bourru, qui creusait lui aussi un tunnel dans l’autre sens.
- Qu’est-ce que tu fais là ? demande le sanglier poilu bourru.
- Je creuse un tunnel pour aller chez mon ami qui a peur.
- Je peux t’aider, si tu veux. Ça lui fera un ami de plus.
Le loup et le gros sanglier poilu bourru ont commencé à creuser ensemble. Ils ont rencontré un renard petit roux queue touffue.
- Qu’est-ce que vous faites là ?
- Nous creusons un tunnel pour aller chez notre ami qui a peur.
-Je peux vous aider, si vous voulez. Ça lui fera un ami de plus.
Le loup, le sanglier et le renard petit roux queue touffue se sont mis à creuser ensemble. Ils ont rencontré un lapin grandes oreilles queue pompon.
-Qu’est-ce que vous faites là ?
- Nous creusons un tunnel pour aller chez notre ami qui a peur.
-Je peux vous aider, si vous voulez. Ça lui fera un ami de plus.
Le loup, le sanglier, le renard et le lapin grandes oreilles queue pompon ont continué à creuser ensemble. Ils ont rencontré un écureuil oreilles pointues queue parasol.
-Qu’est-ce que vous faites là ?
-Nous creusons un tunnel pour aller chez notre ami qui a peur.
- Je peux vous aider, si vous voulez. Ça lui fera un ami de plus.
Et l’écureuil oreilles pointues queue parasol s’est mis à ronger les branches qui gênaient dans le tunnel.
Le loup, le sanglier, le renard, le lapin et l’écureuil continuaient à travailler. Ils étaient sûrs, maintenant, que leur ami n’avait plus peur. Ils ont rencontré une souris oreilles rondes mains roses.
- Qu’est-ce que vous faites là ?
- Nous creusons un tunnel pour aller chez notre ami qui n’a plus peur.
- Je peux vous aider, si vous voulez. Ça lui fera un ami de plus.
Et elle aussi, c’est mise à grignoter toutes les petites branches qui gênaient à la construction du tunnel.
Le loup, le sanglier, le renard, le lapin, l’écureuil et la souris creusaient toujours. Ils ont rencontré une taupe manteau noir et gants puissants.
-Qu’est-ce que vous faites là ?
-Nous creusons un tunnel pour aller chez notre ami qui n’a plus peur.
-Je peux vous aider, si vous voulez. Ça lui fera un ami de plus.
Et la petite taupe noire s’est mise à déblayer la terre qui s’entassait dans le tunnel.
Ils travaillaient tous et parlait de leur ami le petit garçon quand ils ont rencontré une sauterelle longues pattes et antennes vertes et …
-Elle est pas vraie, ton histoire ! s’est indigné Jean-Baptiste
- Ah bon ? Comment ça, elle n’est pas vraie ?
- Non, elle est pas vraie ! Les sauterelles, ça sort jamais l’hiver !
C’est un fait.
Tout le monde sait que les forêts du Cotentin sont infestées de loups blonds aux yeux bleus, voire d’ours géants dévoreurs de nuages, que tous les animaux s’y entraident pour sauver les petits garçons surtout s’ils ont cinq ans, mais c’est un fait : les sauterelles ne sortent pas l’hiver.
J’aurais dû le savoir….
Sandrine Labouthière