La mer la nuit
Dep
C'est une effluve de fleurs sauvages qui me ramène à moi. Effluve de forêt première, effluve d'origine de vie.
Autours de moi silence humain et bruits assourdissants du silence de la Nature.
Ecoute, me dis-je, tu es seule. Plus de trace de mon compagnon, évanoui, englouti par cette langue de terre déchiquetée qui nous avait paru salvatrice.
J'arrête de respirer pour n'être pas entendue du petit matin inhospitalier, les battements de mon coeur s'affolent ... Où est-t'il ?
J'erre sur cette plage blafarde. Aucune trace de ce qui fut notre embarcation, même disloquée. D'abord rampant, puis à quatre pattes et enfin me verticalisant, je me dirige vers l'intérieur des terres. Suis-je sur une île ?
Il me semble qu'un sentiment d'isolement insulaire s'est emparé des lieux.
Oui, une île, certainement. Avançons, pénétrons dans cette goulée humide, salicornée et torturée par les écritures d'une mer tourmentée. J'angoisse terriblement et n'ose appeler ...
Mon corps brièvement raffermi me lâche, je tremble.
Dans les bosquets et enchevêtrements de lianes, églantines et genêts, seuls les chèvre feuilles émettent une douceur appelant la main, les autres plantes transmettant un message d'hostilité. Je me sens lacérée et tailladée par ces griffes voulant me retenir, m'empêcher d'aller plus loin, plus haut, plus au fond, vers la lumière et voir alentour si une trace humaine a pu s'inscrire dans ce cadre. Je suis sur un aplomb vertigineux et n'ose m'approcher du bord. Le vertige m'emporte vers des rives de souffrance spasmée. Seule ... Je suis seule et le resterai, je le sais. La mer, compagne de vie consolatrice de mes solitudes passées, rassurante et amie, me semble aujourd'hui distante, froide, ennemie.
Les amers balisent les rochers déchiquetés et pulvérisés par des colères divines.
Les phares, îles et autres forteresses alentour difficilement discernables me remettent en azimut. La baie de St Lunaire. Nous sommes chez des humains et ne tarderons à nous retrouver et à les croiser. Cela est certain et sera ainsi. Oui, cela doit être ainsi.
Qu'en est-il du bateau, de mon compagnon, des autres, de la vie d'hier, du soleil, de l'insouciance ...? D'avant ?!
J'avance par ces petits chemins odorants et creux qui si ils étaient caressés par le soleil seraient si accueillants. Ils semblent se refermer derrière moi comme dans le cauchemar d'un enfant perdu dans l'imaginaire des frères Grimm. Je frissonne et continue... Il faut continuer. Cette île doit se terminer de l'autre côté vers un havre, vers les secours, vers le bonheur retrouvé. Mais la pensée de mon compagnon m'obsède. Je suis grelottante et transie, la vie me quitte ainsi que la nuit qui à présent se lève et s'envole vers d'autres latitudes. Je réalise que je ne fais que tourner en rond, l'angoisse me vrille les tympans mes yeux se décillent, les rayons timides et chauds me caressent le dos. Je ressens au fond de moi une certitude, je dois me laisser aller, dois me rendre à l'évidence que plus rien n'est de mon ressort, que les éléments de cet univers de forêt à l'humus vital d'où tout a surgi, a triomphé, qu'il ne me reste qu'à baisser mes gardes, me rendre et en vaincue par la fatigue et l'apréhension m'en retourner vers la semi inconscience des rêves profonds, cadeau d'une journée en mer, échevelante et soulante, en réalisant que cet univers hostile n'était en réalité que ma version assombrie d'une journée trop ensoleillée ayant brûlé ma peau et gonflé mes paupières, les chargeant d'ombres effrayantes et heureusement fugaces.
Dep
Marcheur sous les étoiles Après lecture de "Barrage contre le Pacifique" de Marguerite Duras
Parfois le désir de parler sa langue le prenait à la gorge, au coeur, au désespoir, sanglot étouffé de frustration impuissante, tel celui du Crépuscule des Dieux de la Steppe qu'Ismael Kadaré décrit si douloureusement, si violemment . Tour de Babel des temps modernes où chaque ethnie à la tombée du jour prononce les mots sacrés de sa langue pour ne pas,oublier, pour ne pas l'oublier, pour ne pas s'oublier.
Mendier une présence avec qui échanger quelques légères plaisanteries dans sa langue maternelle pourtant beaucoup moins rare que celles des hôtes de la Maison des Ecrivains à Moscou.
Cette musique douce et banale devenue denrée rare. Ce pays aimé qu'il avait effacé pour aller vers le pays d'un être aimé et s'oublier en regardant le bonheur qu'il octroyait en s'exilant volontairement. Un être de sacrifice ou de force inépuisable ?
Ambition de pouvoir affectif, de pouvoir tout changer, contrôler, apaiser, arranger.
Les années à venir lui auront apporté des joies certaines mais n'auront jamais comblé ce vide, ces douves morales et sentimentales entourant une vie pourtant pleine de tout ce qui fait une vie. Tendresse, amours, enfants et joies parentales. Il a aime, il a lutté, il ne s'est pas intégré dans la chair du tableau de sa nouvelle vie.
Encore aujourd'hui, les années ayant balayé les passions et élans, il lui reste le désir de vouloir communiquer sans avoir à expliquer ses dires dans ce pays qui lui est toujours étranger, le sien pourtant à présent et rechercher les ponts à traverser pour aller et venir d'hier à maintenant et de maintenant à demain.
Cette anxiété linguistique, colère étendue aux sentiments et nourrie de toutes ces insignifiantes incompréhensions culturelles ont façonné un caractère fort aux sentiments d'argile, mis des ailes à ses chevilles et des désespoirs là où il n'y en aurait pas si tout ceci pouvait s'écrire, s'épeler, se dire dans son vocabulaire d'origine contrôlée.
Le marcheur poursuit son rêve dans la nuit étoilée en répétant les mots précieux tel un mantra chamanique pour exorciser sa douleur et l'anesthésier.
Me laissera t'il lui emprunter son pas ? Ou pas.
Dep
Flying Dutchman Après lecture du "Rivage des Syrtes" de Julien Gracq " C'est alors que je vis glisser devant moi à peu de distance sur la mer au travers des flaques de lune, l'ombre à peine distincte d'un petit bâtiment ..." Combien de voix m'ont susurré au fil des ans, de ne pas faire confiance à la lune trompeuse, lunatique si peu fiable et pourtant ses reflets sur la surface miroitante de l'eau me guidaient, je le savais vers mon destin et cette nuit en particulier, j'avais rendez-vous avec elle. Me penchant vers son double dans les eaux de la lagune, je lui trouvais une physionomie épanouie malgré,les brumes cotonneuses et glaçantes de l'heure sombre. Me penchant encore je distinguais par un effet de miroir juste à ses côtés, ce bâtiment de taille modeste, un voilier pourtant impressionnant de puissance, chargé d'Histoire me sembla-t'il. Chargé et lourd de son passé, glissant silencieusement, presque à la dérive, car hormis les ombres des nuages, rien ni personne ne semblait l'animer.
Une solitude habitée de mystère et tentante pour un jeune homme romantique errant sur cette langue d'eau à la nuit tombée, en quête de son histoire à écrire ou à rêver.
J'approchais mon esquif de l'élégante coque et réussi à me hisser à bord.
La manoeuvre fut aisée grâce aux éclats lunaires et le pont du voilier m'accueillit simplement, naturellement. Personne n'ayant répondu à ma demande de permission de monter à bord, je me sentais presque en faute, à la fois à ma place et outre passant mes droits.
Silence, rêve, harmonie dissipant cette impression transie, ressentie jusqu'au plus profond de mes os quelques instants seulement au paravent.
J'étais à bord de ma vie, enfin maître de mes décisions, enfin à même de prendre la barre, timonier inspiré, serein et décidé, enfin !
L'envie de visiter les lieux me saisit et j'avançais silencieusement ne laissant étrangement aucune trace derrière moi, mes pas humides s'effaçant instantanément tandis que je me dirigeais vers l'intérieur élégant, raffiné, chaleureux et ami.
Me servant au passage un verre de rhum millésimé, ambré et enchâssé dans un flacon aux mille facettes, je m'enfonçais encore plus dans le ventre de l'embarcation et me trouvais face a moi même !
Étrangement peu surpris de voir au mur mon portrait en tenue d'apparat, de quel régiment, de quel contingent, je ne saurais dire, mais qu'importait la tenue, le corps et le visage qui l'habitaient étaient miens.
Je me défis de mes vêtements humides et alourdis de sel pour me couvrir de ces habits chauds à ma taille et à mon goût qui semblaient m'attendre, déjà disposés dans la cabine que je devinais mienne.
Une somnolence bienfaisante m'envahit, je me laissais bercer par les bruits des cordages et entrais enfin dans le monde réel de cette aventure, le rêve qu'a présent j'habitais.
J'étais damné, condamné à poursuivre ma route sans fin, toutes les nuits infinies, à la poursuite d'une rédemption qui ne viendrait me délivrer qu'au prix du sacrifice d'amour d'un être innocent pour moi, qui avait par le passé pris la vie de mon seul amour, sauvagement, avais anéanti tout espoir et fus voué à l'errance éternelle jusqu'à la mort d'un être qui réussirait à m'aimer d'un amour pur.
Mon périple ne s'arrêterait pas dans cette lagune, mon voilier fantôme et celui que je croyais être y avaient seulement rendez-vous, un de ces rendez-vous de Samarcande ou d'ailleurs, inéxorables, incontournables, inévitables.
J'étais le Hollandais Volant.
L'amant damné et torturé, ayant détruit l'amour, condamné à le poursuivre, le susciter, pour enfin dans la mort, retrouver à jamais celle qu'il avait trop aimée.
Mon voyage sans fin ne faisait que commencer, quête d'amour sans futur, sans répit, sans regrets.
Avancer sur la mer infinie du souvenir.
Ne jamais oublier.
Ne jamais l'oublier.
Pour toi S. de B.
Dep
Plages
Inspiré de " Plages "
Ce petit bruissement étouffé par les rideaux dès le matin, qui invite à se retourner vers la nuit à peine dissipée et s'en retourner vers les rêves ouatés et assourdis par le désir d'oubli.
Anesthésie sentimentale. Celle qui envahit la tête, la remplit du duvet réconfortant du désir de distance d'avec le réel. Il pourra attendre lui aussi que vienne le moment de la confrontation. Ce moment que je repousse de toutes les forces de mon corps alourdi par l'immobilité que je lui impose.
J'attendrai que le matin aille rejoindre l'aube et que l'aube se confonde avec la nuit opaque, mate et artificielle.
J'attendrai d'avoir le courage de me lever et affronter le jour pourtant discret derrière les nuages en fonte et dégoulinants ... Doucement.
Cette bruine légère qui trempe profondément pourtant comme un chagrin silencieux qui dévore sans pitié et sans bruit nos entrailles, troupeau de fourmis carnivores, moins spectaculaires qu'un désespoir d'orage éclaté et rapidement asséché... La pluie dévoreuse de rate, dévoreuse d'espoir, pluie intérieure qui nous transit.
Malgré l'uniformité de gris, la lumière change, il fait jour, il fait vie.
Je reste immobile, mon choix est fait j'attendrai, pétrifiée, ayant peur même de respirer pour garder le temps en suspend, j'attendrai l'arrivée du miracle.
J'attendrai seule la décision de la Providence, du Destin, du médecin...
Je ne veux rien influencer.
Laissons les rideaux tirés. Faisons de ce qui aurait pu être une journée, une parenthèse entourant des points de suspension.
Ne pas bouger.
Ne pas respirer.
Ne pas se mouiller.
Juste attendre que cela se passe, que la date change et que ce qui ne sera pas aujourd'hui devienne enfin hier et rejoigne le passé.
Gagner du temps avant de le tuer.
Dep
Message tracé sur le sable (Suites de Plages )
La mer écrit, oui elle éparpille les signes et messages pour ceux qui désespèrent de n'en pas recevoir, pour ceux qui n'osent s'exprimer, pour ceux dont le courage les déserte au moment de le dire.
Alors surs de ne pas irrémédiablement marquer le temps, le coeur ou le moment, le sable, écritoire éphémère, les encourage.
Je t'aime trace t'on
Ou bien son nom
Ou bien nos deux prénoms accolés pour une fois, entourés de nos bras virtuels, bras berçant nos sentiments trop pudiques et trop discrets que la mer viendra effacer.
Selon la force du désespoir ou de l'émerveillement le tracé en est profond ou léger, jamais en fait en harmonie avec l'intensité du ressenti.
Confidente éternelle, colporteuse d'amour et de confidences recueillies le long des grèves , la mer nous allège de nos fardeaux souvent épuisants et nos traces de pas se font légères et aériennes, vite disparues, elles aussi, pour faire place à d'autres sentiments calligraphiés.
Dep
Mirages bretons
Mirage, au loin une forme
Mirage scintillant
Ecume des rêves
Terminant sur la grève
Entourant le mirage de la Terre enfin abordée
Miroir démultiplié
Spectres de lumières
Kaleidoscope de l'espoir
Le bout de notre monde
Avant celui d'après
Celui que l'on nomme Nouveau
Fin d'une histoire
Fin d'un espoir à emporter de l'autre côté
Là où les rêves peuvent se transformer en réalités
Le Monde de demain
Ressemblant tant à celui d'aujourd'hui
Lavé des peurs et échecs
Que nous avions pris pour des esquifs fragiles,
Pourtant puissants
Fendant les flots
Barques massives enceintes et grosses de nos maux
Larguer les amarres
Et délester ses flancs
Voici la Vie qui avance vers ce qu'elle ne connait pas
Rien ne l'arrêtera.
Dep