La Voix du 311, le 24 octobre 2024
La semaine dernière, les enseignant(e)s du Centre Outremont ont appris la fermeture progressive de tous les cours de francisation pour adultes du CSSMB (Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys). Voici la lettre ouverte qu'ils/elles ont envoyée à leurs représentant(e)s politiques, accompagnée d'une entrevue de Richard Bergevin, président de la Fédération des syndicats de l'enseignement, avec Patrick Masbourian, diffusée hier sur Radio-Canada Première.
Madame, Monsieur,
Nous, enseignant.e.s de Français langue seconde (FLS) des Centres d’éducation des adultes (CÉA) du Québec, nous frottons les yeux depuis mardi dernier, lorsque nos directions nous ont convoqués en réunion extraordinaire pour nous annoncer que nous allions tous perdre notre emploi dans les prochains mois. Au CÉA d’Outremont par exemple, nous sommes une quarantaine à animer 24 classes de jour et de soir, rassemblant 400 étudiants motivés, venus du monde entier, le plus souvent bardés de diplômes et de compétences dont notre économie a cruellement besoin. Le portrait est sensiblement le même dans tous les CÉA offrant un volet francisation.
Tout le monde travaille d’arrache-pied, et personne ne compte ses heures : les étudiants de jour se lèvent souvent à 5h du matin pour traverser la ville et étudier pendant 6h avant de rejoindre rapidement leur emploi (en restauration, en construction, en sécurité, en entretien ménager, que des secteurs en tension qui s’effondreraient sans eux) ou leurs familles. Les étudiants de soir luttent contre la fatigue en étudiant de 18h à 22h après leur journée de travail. Ils font tous preuve d’une détermination et d’une endurance qui forcent l’admiration et nous obligent.
Pour y faire honneur, on se démène. Sorties aux pommes, à la cabane à sucre, concerts, repas communautaires, sorties à la bibliothèque, au marché public ou au musée : on déborde tout le temps de nos heures de travail pour jouer à fond notre rôle de médiation culturelle et leur ouvrir les portes du Québec. On veut tellement les rassurer, les motiver, leur montrer que nous sommes une société accueillante et inclusive! En classe, on relève des défis pédagogiques et humains parfois très complexes. Il nous faut souvent gérer plus de 15 langues maternelles, 3 ou 4 alphabets, des traumas migratoires, des situations de handicap, des niveaux de scolarisation complètement différents, des trajectoires compliquées. Une fatigue chronique pour la majorité, éreintée par le travail de nuit, les trajets, le stress et la précarité. On a autant de profils d’apprenants que d’étudiants. On jongle à longueur de journée et l’hétérogénéité est notre normalité. Mais nous sommes qualifiés et expérimentés. Nous travaillons en équipe, les jeunes profs profitent de l’expertise des plus anciens, nous avons des projets, des partenariats, des leviers. Nous déployons toutes les ressources pédagogiques, didactiques, mais aussi psychosociales que nos CÉA mettent à notre disposition. Rien de tel dans les centres MIFI, qui recrutent leurs profs à la session, selon des critères très discutables (16 ans de scolarité, quelle que soit la matière apprise), et qui souffrent d’un roulement de personnel tel qu’il empêche ce type de synergies.
Un CÉA, ce n’est pas seulement une équipe experte et solidaire. C’est un milieu de vie, une ruche bourdonnante où les langues et les cultures dialoguent avec le sentiment rassurant d’appartenir, pour un an, à une communauté. À la cafétéria, où tout le monde peut manger un repas chaud et équilibré pour 7$, avantage non-négligeable pour des individus vulnérables abonnés aux banques alimentaires, les conseillers d’orientation mangent avec les étudiants, les débutants avec les plus avancés, les Iraniens avec les Mexicains ou les Nigérians avec les Indiens. Et en français, s’il vous plaît…Dans les bus scolaires qui nous mènent aux pommes en octobre, on entonne Stromae, Céline Dion, les Trois Accords ou Zaz. C’est un carrefour humain de grande valeur qui confère à tous ses membres un fort sentiment d’appartenance. Pour nos étudiants, ce sera l’une des plus belles années de leur vie. Pour eux, le Québec, ce sera d’abord ça : des liens très forts tissés dans les rires et les émotions partagées en classe, avec des gens du monde entier, sous le regard bienveillant et encourageant de leurs profs bien-aimé.e.s, autour de l’objectif fédérateur de l’apprentissage du français. Nous vivons au quotidien l’interculturalité et la négociation de la différence dans le respect et l’ouverture. Une année passée à plonger dans la culture québécoise, dans sa langue compliquée mais si belle qu’on cherche, apparemment, à défendre… Leurs alliés, ce sont leurs profs, leurs collègues, le personnel psychosocial à l’écoute, les concierges. Autant de figures d’attachement dont ils ont besoin pour dépasser les épreuves de l’immigration, extrêmement stressantes.
Les CÉA sont aussi des tremplins vers l’emploi. À ceux d’Outremont ou de Champlain par exemple, nous partageons nos locaux avec un programme d’enseignement secondaire. Nos étudiants, notamment les plus jeunes qui ont quitté leur pays sans diplôme de fin d’études secondaires, peuvent en bénéficier après le niveau 6 en français. Nous organisons des salons de l’emploi et de la formation professionnelle avec nos partenaires institutionnels et corporatifs. Nos conseillers d’orientation sont disponibles pour établir avec chacun un plan personnalisé de développement professionnel au Québec. Nous doutons fort que les centres gérés par le MIFI offrent un accompagnement aussi complet.
Ces milieux vont être détruits par les coupes budgétaires. Ramener les budgets des CÉA aux niveaux de 2020-2021, année pandémique et de fermeture des frontières, signe leur arrêt de mort. En août, nous avons accueilli 100 nouveaux élèves, et ouvert 6 groupes de débutants (1-2), confiés à 8 enseignants. Comme la décision a été prise de fermer immédiatement le robinet de la francisation en refusant toute nouvelle inscription, 5 d’entre eux ont perdu leur emploi jeudi 24 octobre, dernier jour de la session en cours (chaque session dure deux mois). À la fin de la prochaine, en décembre, ce sera une nouvelle vague de départs, à mesure que les classes de niveau 3 fermeront. Et ainsi de suite : tous les deux mois, un niveau fermera, et des enseignants seront mis à la porte, jusqu’à ce qu’il ne reste que nos 8 permanents, qui seront mutés les uns après les autres (au secteur jeune, qui requiert un tout autre assortiment de compétences) jusqu’à ce que le plus ancien ferme boutique en octobre prochain. Imaginer une classe de 25 étudiants de niveau 8 manger seuls à la cafétéria, c’est pour tous une vision de cauchemar.
Alors oui, M. Roberge peut bien dire qu’il n’y a pas de coupes en francisation, c’est probablement vrai, c’est une redirection des fonds vers les centres dirigés par le MIFI, et le retrait de la francisation au secteur de la Formation générale aux adultes dans le réseau de l’éducation. Depuis la création du guichet unique le 1er juin 2023, Francisation Québec, géré par le MIFI, 35 000 aspirants étudiants attendent qu’on leur donne une place. Le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, a étrillé la plateforme dans son rapport de 2024 (p.45 et suivantes), dénonçant les goulets d’étranglements qui s’y créent. À chaque session, les inscriptions sont chaotiques : les listes nous parviennent au dernier moment, les étudiants sont mal classés, des nouveaux arrivent chaque jour pendant les deux premières semaines. Les étudiants reçoivent leur chèque avec des retards incroyables, 8 semaines, parfois 5 mois! Plusieurs doivent abandonner leur cours, faute de ressources financières pour survivre. L’arrêt des subventions pour participer aux cours à temps partiel le 14 septembre a freiné brutalement les entrées.
Nous assistons depuis plus d’un an, impuissants, à ces dysfonctionnements. Nous sommes donc très inquiets de cette perspective de voir le MIFI gérer maintenant la totalité de la francisation. Comment va-t-il réussir à offrir des cours à ces 35 000 personnes, en se privant dorénavant de nos CÉA, des milieux aussi riches, stables et performants? À Montréal, capitale économique où convergent les nouveaux arrivants, on parle de plus de 15 CÉA concernés, dans les trois centres de services scolaires francophones.
L’une d’entre nous est passée par toutes les étapes de recrutement par le MIFI : un long processus d’un an, truffé de délais et de démarches administratives épuisantes. Le salaire n’est pas communiqué tant que toutes ces démarches, très lourdes, n’ont pas été terminées, et on annonce un délai de 6 mois pour l’étude du dossier une fois acheminé aux ressources humaines. Comment, avec une telle inertie, le MIFI compte-t-il recruter rapidement du personnel compétent et motivé?
Nous comptons sur vous pour soulever toutes ces absurdités et plaider pour une résolution rapide de la crise, en faveur d’un financement adéquat des CÉA, structures efficaces et qui ont fait leurs preuves depuis des décennies.
Propos recueillis et transcrits par Daria Zamanova, le 12 août 2024
À la veille des vacances de la construction, le 19 juillet dernier, une ancienne étudiante de francisation est aimablement venue partager son expérience: voilà un an qu'elle a quitté le Centre Outremont et maintenant, elle travaille dans le domaine de... la francisation! Elle soutient avec enthousiasme et dévouement les nouveaux arrivant(e)s au Québec. Par ailleurs, elle écrit des poèmes en ukrainien, en russe, en anglais et en français dont elle vient de publier un premier recueil: Pensées bruyantes. Voici le résumé de nos échanges à ce sujet.
La Voix du 311: Qu’est-ce qui vous inspire pour commencer à composer des poèmes?
D’abord, c’est mon entourage, mes amis et tout ce qui m'entoure dans la vie quotidienne. À l'origine, pendant les cours de francisation, l'enseignante Madame Emmanuelle m’a beaucoup soutenue.
La Voix du 311: Est-ce que quelques poètes ou écrivains préférés vous ont inspirée?
Non, ce n'est pas un poète ou un écrivain particulier, qui m’a inspirée. Quand j’étais jeune, lorsque j’étudiais à l'école, je lisais plusieurs poètes russes - par exemple, Lermontov - mais je n’y attachais pas vraiment d'importance et, à l'époque, je ne pensais pas que je commencerais à écrire des poèmes. Mais la vie au Québec - notamment l'expérience de la francisation, au contact de personnes et de cultures si diverses - m’a significativement transformée.
La Voix du 311: Pourriez-vous nous conseiller la meilleure façon d'apprendre le français au niveau 8, selon votre expérience?
D'abord, il faut que vous communiquiez entre vous, les uns avec les autres, en français seulement pendant les pauses et en dehors de l'école. C’est une bonne façon d'améliorer votre niveau de compréhension du français. Cela aide aussi à créer une atmosphère amicale dans la classe. Et n’oubliez pas de maintenir le contact avec vos collègues après l’obtention de votre diplôme de francisation.
La Voix du 311, le 24 juillet 2024
M. Fakhruddin Fayez, arrivé au Canada il y a trois ans, a étudié le français au CÉA Outremont. En mai dernier, après avoir passé avec succès les examens du niveau 8, il a quitté le Centre. Mais jeudi 11 juillet, il a eu la gentillesse de revenir en classe pour nous accorder une entrevue au sujet de son expérience d’avocat en Afghanistan, des raisons pour lesquelles il a dû quitter précipitamment son pays, et de ses projets pour sa nouvelle vie au Québec.
La Voix du 311: Comment décririez-vous votre expérience d’avocat en Afghanistan? Comment se déroulait le travail quotidien? Quelles étaient vos tâches principales?
Après avoir complété mon diplôme en droit à l’université de Nangarhar, j’ai obtenu ma maîtrise, tout en travaillant. Pendant dix ans, j’ai exercé mon métier d’avocat à la Commission Nationale des Droits Humains d'Afghanistan. Mon travail consistait notamment à vérifier si les gens avaient accès à leurs droits fondamentaux et si le gouvernement d'Afghanistan se conformait à ses responsabilités dans le cadre du droit humain international. Il faut dire que mon pays avait traversé une longue période de guerre et que nous étions alors en phase de reconstruction.
Mon équipe et moi-même avons, par exemple, fait reconnaître que des milliers d'enfants afghans travaillaient dans des conditions inhumaines. J’ai voyagé partout dans le pays avec mes collègues pour documenter le problème, trouver des exemples et recueillir des témoignages. Ce que j’ai constaté m’a beaucoup choqué: le sort de ces enfants était terrible; je pensais à mes propres filles, à ce à quoi elles échappaient… Ensuite, j’ai fait un rapport au gouvernement d'Afghanistan pour qu’il règle ce problème et, avec patience et persévérance, nous avons obtenu des résultats positifs: des milliers d’enfants ont été pris en charge de sorte qu’ils puissent vivre dans de meilleures conditions.
La Voix du 311: Pour quelles raisons avez-vous choisi de vous spécialiser dans le domaine des droits humains?
Je voulais faire quelque chose pour aider les gens parce que je savais, depuis mon enfance, qu’il y avait beaucoup d’injustices en Afghanistan. Après 2001, avec l’occupation du pays par les troupes américaines, le sujet des droits humains est devenu central dans le pays. Ce n'était pas facile de travailler dans ce domaine, mais cela offrait de grandes opportunités pour voyager et étudier le droit en dehors de l'Afghanistan. C’est pourquoi j’ai choisi de travailler dans ce domaine.
La Voix du 311: Est-ce que, dans le droit Afghan, la définition des droits humains était la même que celle du Canada?
Les droits humains sont des droits internationaux, définis par l’ONU (Organisation des Nations unies) en 1948, c’est-à-dire que 99% des pays intègrent les mêmes droits humains dans leurs constitutions.
La Voix du 311: Qu’est-ce qui a changé dans le domaine des droits humains en Afghanistan entre l’époque de votre enfance et maintenant?
Pendant mon enfance, l’éducation et les services de santé n’étaient pas accessibles à tout le monde. C’était la guerre. De 1996 à 2001, les talibans refusaient l’égalité entre les hommes et les femmes. Entre 2001 et 2021, sous le contrôle du gouvernement responsable, les droits humains en Afghanistan ont été significativement améliorés, de même que les services de santé et d’éducation. Malheureusement, après le retour des talibans, tout cela a été détruit.
La Voix du 311: Estimez-vous que l’occupation américaine était préférable à celle des talibans en Afghanistan?
Je ne suis favorable ni à la politique des États-Unis, ni à celle des talibans. À vrai dire, je pense que les talibans ont été créés par les États-Unis.
La Voix du 311: Pourquoi avez-vous décidé de quitter votre pays? Ce départ était-il soudain ou planifié à l’avance?
Ma femme travaillait comme procureure; elle était très célèbre dans mon pays car c’était la première femme à accéder à cette fonction en Afghanistan. Elle a reçu de nombreuses menaces de la part des talibans. Ils voulaient la tuer. Donc, lorsqu’ils ont repris le contrôle du pays en 2021, nous avons dû partir.
Tout s’est passé en moins de vingt-quatre heures: j’ai reçu un appel téléphonique de la part de l’ambassade du Canada qui nous proposait de prendre un avion avec les derniers occidentaux en partance, le lendemain; j’ai appelé ma femme qui se cachait dans un autre quartier de la ville; nous avons pris la décision de nous rejoindre à l’aéroport, seule partie de Kaboul encore sous contrôle américain; chacun de notre côté, nous nous y sommes rendus à pied, avec nos filles (dont la dernière était bébé), au milieu du chaos et des coups de feu; nous sommes arrivés sur le tarmak par deux entrées différentes; et, au terme d’une attente extrêmement angoissante, nous avons finalement embarqué à bord d’un avion de l’armée canadienne; nous étions les seuls civils; mes filles regardaient médusées les soldats en armes qui nous entouraient… Nous sommes partis sans visa, sans rien. Nous avons tout perdu. Le seul objet d’Afghanistan que nous avons conservé est le petit coussin sur lequel nous avions déposé notre bébé.
La Voix du 311: À l'arrivée au Québec, qu'est-ce qui a été le plus difficile à affronter? Qui vous a aidés à vous installer au Québec?
Nous sommes très reconnaissants à Monsieur François Rivest, ancien ambassadeur du Canada en Afghanistan, qui nous a soutenus très concrètement dans les premiers jours (en nous prêtant une voiture, par exemple). Ensuite, l'organisme CSAI (Centre social d'aide aux immigrants) nous a beaucoup aidés.
Comme pour tous les nouveaux arrivants, les premiers moments ont été difficiles. Il fallait trouver un travail, apprendre à parler français… Repartir à zéro… Mais l'important était de donner une vie meilleure à notre famille; nous avons accepté le défi.
La Voix du 311: Qu’est-ce qui vous manque le plus ici?
(Après réflexion et avec un sourire) Vous savez, en Afghanistan, j’étais habitué à être le “boss”: plus de mille personnes travaillaient sous ma responsabilité. Alors aujourd’hui, je regrette de ne plus pouvoir dire aux gens: «Fais ci! Fais ça!»
La Voix du 311: Où travaillez-vous, à présent?
J’ai trouvé un emploi au département de fruits et légumes d’un supermarché IGA. Au début, j’étais commis; maintenant, je suis assistant-gérant. C’est vrai que j’ai trouvé difficile de m'habituer à un poste subalterne.
La Voix du 311: Pourquoi avez-vous choisi le Québec plutôt qu’une autre province du Canada?
La première raison remonte à l’époque où j’étudiais le droit à l’université. Mon enseignant de philosophie m’avait dit que, pour bien comprendre les concepts qui se trouvaient à la racine du droit, il fallait lire les auteurs français et apprendre leur langue. Alors, j'ai commencé à m’intéresser à cette langue, j’ai pris cela en bonne note dans ma mémoire.
La deuxième raison date du temps où je travaillais à la Commission Nationale des Droits Humains. À cette époque, nous avions présenté une demande à la Cour pénale internationale au sujet des crimes de guerres commis en Afghanistan et, à notre grande surprise, la réponse est arrivée en français! Eh oui, on communique en français à la Cour pénale internationale qui se trouve à La Haye (au Pays-Bas). Je me suis répété alors qu’il faudrait qu’un jour, j’apprenne cette langue. Donc, quand je suis arrivé au Canada, j’ai choisi le Québec pour apprendre le français.
De plus, le type de droit qui s’applique au Québec est similaire à celui qui s’applique dans mon propre pays: le droit civil (sur le modèle français). Dans les autres provinces, c’est la Common Law (sur le modèle britannique) qui s’applique. Donc pour redevenir avocat - ce qui est mon objectif -, le chemin à parcourir est moins long au Québec.
La Voix du 311: Combien de langues parliez-vous et écriviez-vous avant d’arriver au Québec?
Ma langue maternelle est le pashto. J’ai ensuite appris le persan, l'arabe et l'anglais. Donc maintenant, avec le français, je parle et j’écris cinq langues au total.
La Voix du 311: Quels sont vos projets, dans les années qui viennent? Quelles formations allez-vous suivre? Comment planifiez-vous de redevenir avocat?
D’abord, je viens de recevoir une bonne nouvelle: ma femme et moi allons devenir citoyens canadiens au mois de septembre prochain! Je vais donc bientôt pouvoir faire les études et franchir les étapes nécessaires pour exercer à nouveau mon métier. Actuellement, j'ai à cœur d’améliorer mon français dans le domaine du droit. À ce sujet, un conseil: pour poursuivre la francisation après le niveau 8, faites transférer votre dossier du MIFI vers les organismes de formation spécialisée. J’ai commis l’erreur de ne pas transférer le mien, ce qui m’a fait perdre un temps précieux… J’ai également envoyé mes documents pour obtenir l’équivalence de mes diplômes et pouvoir passer l’examen du barreau dès que possible.
La Voix du 311: Allez-vous rester à Montréal?
Il est probable que, pour commencer ma carrière d’avocat au Québec, je m’installe dans une autre ville. Les postes sont souvent plus intéressants et les responsabilités plus grandes en régions qu’à Montréal. Or je compte bien progresser vers un niveau qui me permette d’assumer des fonctions politiques.
La Voix du 311: Pensez-vous utiliser votre expérience et votre expertise pour aider d'autres communautés vulnérables au Canada?
En fait, plaider gratuitement pour les personnes vulnérables fait partie des devoirs d’un avocat. Je m’engage personnellement à défendre gratuitement une dizaine de cas par an, le moment venu.
La Voix du 311: Quand vous aurez le temps, est-ce qu'il y a un loisir que vous voudriez faire ici, et qui n’était pas possible en Afghanistan?
J’aime le football [le soccer]. C’était un sport très populaire en Afghanistan, y compris chez les filles. Malheureusement, l’équipe féminine - qui avait un bon niveau - a été dissoute par le régime des talibans. Les membres de cette équipe jouent actuellement dans différents clubs, à l’étranger.
La Voix du 311: Que pensez-vous de l’avenir, des perspectives économiques et politiques en Afghanistan?
Malheureusement, dans un avenir proche, la situation devrait rester très compliquée dans mon pays, en raison des changements liés aux règles imposées par les talibans et aux luttes de pouvoir qui s’y jouent entre les grandes puissances… Si les pays occidentaux - significativement influencés par la stratégie des États-Unis - et les autres acteurs externes révisaient leurs politiques, la situation changerait.
La Voix du 311: Envisageriez-vous, dans ce cas, de retourner vivre en Afghanistan?
Si la situation politique et économique changeait, j’analyserais tout ce qui pourrait affecter ma famille… Et, si tout le monde était d’accord, je retournerais en Afghanistan. Car bien sûr, je souhaiterais retrouver mon pays, mes amis, mes proches et mes parents qui sont restés là-bas… Mais, pour l’instant, il n’en est pas question.
La Voix du 311: Souhaiteriez-vous faire venir d’autres membres de votre famille au Canada?
Non, pas pour le moment. Actuellement, il serait mieux qu’ils restent en Afghanistan puisque les dangers ne sont pas les mêmes pour eux que pour nous. Là-bas, ils peuvent continuer à vivre et à travailler dans leur domaine, sans trop de difficultés, tandis que s’ils venaient s’installer ici, avec la montée de la xénophobie, ils risqueraient de perdre en qualité de vie.
La Voix du 311: Que souhaitez-vous pour vos enfants? Ont-ils déjà commencé à parler un peu de ce qu’ils rêvent de faire au Canada?
Depuis hier soir, j’ai 4 enfants… C’est la garderie Fayez! Notre dernier-né est un petit garçon. Il a moins d’un jour. Mes trois autres enfants sont des filles: 9 ans, 7 ans et 4 ans. Comme beaucoup d’enfants qui sont encore très jeunes, elles veulent être comme leurs parents. La plus âgée a un jour rencontré l’ancien président d’Afghanistan… Une rencontre marquante. Peut-être voudra-t-elle plus tard devenir politicienne? Une autre rêve de devenir médecin… Quant à la dernière, elle pense surtout à jouer!