Littérature
2022

Gérard Philipe, né il y a 100 ans, lit le petit prince

Emmanuelle Ehrmann, le 6 décembre 2022

Le comédien Gérard Philipe, né le 4 décembre 1922, était très célèbre en France pour la douceur de sa voix et la qualité de son jeu. Dans cette vidéo, il lit le chapitre VII du conte de l'écrivain Antoine de Saint-Exupéry: Le Petit Prince. Bonne écoute!

Gérard Philipe photographié par les sudios Harcourt

Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry, CHAPITRE VII

Le cinquième jour, toujours grâce au mouton, ce secret de la vie du petit prince me fut révélé. Il me demanda avec brusquerie, sans préambule, comme le fruit d'un problème longtemps médité en silence:

- Un mouton, s'il mange les arbustes, il mange aussi les fleurs ?

- Un mouton mange tout ce qu'il rencontre.

- Même les fleurs qui ont des épines ?

- Oui. Même les fleurs qui ont des épines.

- Alors les épines, à quoi servent-elles ?

Je ne le savais pas. J'étais alors très occupé à essayer de dévisser un boulon trop serré de mon moteur. J'étais très soucieux car ma panne commençait de m'apparaître comme très grave, et l'eau à boire qui s'épuisait me faisait craindre le pire.

- Les épines, à quoi servent-elles ?

Le petit prince ne renonçait jamais à une question, une fois qu'il l'avait posée. J'étais irrité par mon boulon et je répondis n'importe quoi:

- Les épines, ça ne sert à rien, c'est de la pure méchanceté de la part des fleurs !

- Oh!

Mais après un silence il me lança, avec une sorte de rancune:

- Je ne te crois pas ! Les fleurs sont faibles. Elles sont naïves. Elles se rassurent comme elles peuvent. Elles se croient terribles avec leurs épines...

Je ne répondis rien. À cet instant-là je me disais: "Si ce boulon résiste encore, je le ferai sauter d'un coup de marteau." Le petit prince dérangea de nouveau mes réflexions:

- Et tu crois, toi, que les fleurs...

- Mais non ! Mais non ! Je ne crois rien ! J'ai répondu n'importe quoi. Je m'occupe, moi, de choses sérieuses !

Il me regarda stupéfiait.

- De choses sérieuses !

Il me voyait, mon marteau à la main, et les doigts noirs de cambouis, penché sur un objet qui lui semblait très laid.

- Tu parles comme les grandes personnes !

Ça me fit un peu honte. Mais, impitoyable, il ajouta:

- Tu confonds tout... tu mélanges tout !

Il était vraiment très irrité. Il secouait au vent des cheveux tout dorés:

- Je connais une planète où il y a un Monsieur cramoisi. Il n'a jamais respiré une fleur. Il n'a jamais regardé une étoile. Il n'a jamais aimé personne. Il n'a jamais rien fait d'autre que des additions. Et toute la journée il répète comme toi: "Je suis un homme sérieux ! Je suis un homme sérieux !" et ça le fait gonfler d'orgueil. Mais ce n'est pas un homme, c'est un champignon !

- Un quoi ?

- Un champignon !

Le petit prince était maintenant tout pâle de colère.

- Il y a des millions d'années que les fleurs fabriquent des épines. Il y a des millions d'années que les moutons mangent quand même les fleurs. Et ce n'est pas sérieux de chercher à comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des épines qui ne servent jamais à rien ? Ce n'est pas important la guerre des moutons et des fleurs ? Ce n'est pas plus sérieux et plus important que les additions d'un gros Monsieur rouge ? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui n'existe nulle part, sauf dans ma planète, et qu'un petit mouton peut anéantir d'un seul coup, comme ça, un matin, sans se rendre compte de ce qu'il fait, ce n'est pas important ça !

Il rougit, puis reprit:

- Si quelqu'un aime une fleur qui n'existe qu'à un exemplaire dans les millions et les millions d'étoiles, ça suffit pour qu'il soit heureux quand il les regarde. Il se dit: "Ma fleur est là quelque part..." Mais si le mouton mange la fleur, c'est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s'éteignaient ! Et ce n'est pas important ça !

Il ne put rien dire de plus. Il éclata brusquement en sanglots. La nuit était tombée. J'avais lâché mes outils. Je me moquais bien de mon marteau, de mon boulon, de la soif et de la mort. Il y avait, sur une étoile, une planète, la mienne, la Terre, un petit prince à consoler ! Je le pris dans les bras. Je le berçai. Je lui disais: "La fleur que tu aimes n'est pas en danger... Je lui dessinerai une muselière, à ton mouton... Je te dessinerai une armure pour ta fleur... Je..." Je ne savais pas trop quoi dire. Je me sentais très maladroit. Je ne savais comment l'atteindre, où le rejoindre... C'est tellement mystérieux, le pays des larmes.

J’avais peur qu’il…

Kim Thuy, autrice québécoise, d'origine vietnamienne - PHOTO : RADIO-CANADA / DENIS WONG


Kim Thúy , texte publié par Radio-Canada, le 9 novembre 2022

Quand il m'a laissée sur le trottoir d’un quartier qui m’était inconnu, en plein hiver, à minuit, sans un seul dollar en poche ni chaussettes dans mes bottes, j’ai eu peur qu'il ne m'appelle plus.

Quand il m'a lancé une planche, qui a atterri en morceaux après avoir troué le mur à quelques centimètres au-dessus de ma tête, j'ai eu peur qu'il ne vienne plus avec moi au chalet d'une amie.

Quand il a arrêté la voiture sur l'autoroute à l'heure de pointe, à la jonction de la 40 et de Décarie, pour me prouver qu'il était prêt à mourir avec moi et pour moi si on se faisait heurter, j’ai eu peur qu'il n'ait plus de moyen de transport pour aller travailler.

Quand il s'est réveillé en colère à cause de la disposition des meubles dans notre chambre à coucher, m'a laissée déplacer seule la commode, le bureau et le lit avant de faire le commentaire "J'espère que tu n'as pas égratigné le plancher" , j'ai eu peur qu'il ne me touche plus en amoureux.

Quand il a jeté l'assiette et le repas intact dans la poubelle devant mes frères, qui l'avaient attendu pendant une heure pour l'aider à réparer sa voiture, j'ai eu peur qu'il ait manqué la conclusion de son épisode de Star Trek.

Quand il m’a critiquée de trop lui répondre et a qualifié mon silence de condescendant, j'ai eu peur de ne plus savoir lui faire voir le bleu doux du ciel après les orages ou sentir le parfum enveloppant d'un pot-au-feu.

Quand il m'a poussée hors de l'ascenseur, assez fort pour que je heurte le mur dans le couloir et tombe sur le plancher en même temps que la pluie d'étoiles, et qu’il m’a laissée derrière, j’ai eu peur qu'il ne s'endorme au volant sur la longue route du retour à la maison sans moi.

Quand mes parents m'ont escortée hors de chez moi, sans me permettre de prendre un seul objet ni un seul vêtement, et m'ont interdit d'y retourner sans accompagnateur en toute circonstance, j’ai eu peur de ne plus jamais rencontrer quelqu'un que je pourrais aimer autant.

J’ai réussi à ne pas répondre à ses appels après mon départ et à accepter ce qui me semblait être une certitude à l’époque : plus aucun homme ne me donnerait la chance de l'aimer.

Aimer.

COUP DE GIGOT, UNE NOUVELLE POLICIÈRE DE ROALD DAHL

Emmanuelle Ehrmann, le 11 novembre 2022

Voici une histoire courte, délicieusement tragi-comique, lue par la comédienne Frédérique Bruyas: une femme attend tranquillement son mari, mais la soirée tourne au cauchemar... Bonne écoute!

La parure - Statue de la scuptrice Alice Winant, au jardin botanique de Montréal - © Alice Winant, 2007 - Crédit photo: Snejanka Popova, 2014 - Source: Art Publique, Ville de Montréal

la parure, une nouvelle de l'écrivain Guy de Maupassant

Résumé de la Voix du 311, le 7 novembre 2022

Mathilde est une très jolie femme. Elle est née dans une famille pauvre. Elle a épousé un homme au revenu moyen, mais elle est malheureuse. Elle rêve d’une vie riche.

Un jour, son mari reçoit une invitation pour le bal du Ministère où il travaille. Afin de paraître plus élégante et plus séduisante, elle emprunte à son amie un collier qu’elle perd pendant la soirée.

Son mari et elle veulent remplacer la parure et la rendre à son amie, sans le lui dire.

Ils trouvent presque le même collier, doivent s’endetter pour l'acheter et rembourser 40000 francs pendant dix ans. Ils travaillent fort et deviennent misérables…

Finalement, elle rencontre son amie dans la rue et avoue la perte du collier. Mais alors, son amie lui révèle que le bijou était un faux et qu’il coûtait, en réalité, moins de 500 francs!


Pour lire toute l'histoire, cliquez ci-dessous; pour visionner le court-métrage adapté de la nouvelle par le réalisateur Claude Chabrol, cliquez ci-contre.

Liberté

Paul Eluard, 1942

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom


Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom


Linogravure « Liberté pour l’Ukraine » 2022, de Sebastian Abbo. Source:

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

Paul Eluard

Poésie et vérité 1942 (recueil clandestin)

poèmes en alexandrins

Les alexandrins sont des vers de 12 pieds, très utilisés dans la poésie et dans la chanson françaises. Marceline Desbordes-Vallemore (poétesse française), Émile Nelligan (poète québécois) ou André Maurois (traducteur de l'écrivain anglais Rudyard Kipling) ont utilisé des alexandrins dans leurs oeuvres, par exemple. Les étudiants du niveau 8 ont aussi tenté cet exercice de style!

Portrait de Marceline Desbordes-Valemore (1786-1859) par son oncle, le peintre Constant-Joseph Desbordes

Les séparés


N’écris pas. Je suis triste, et je voudrais m’éteindre.

Les beaux étés sans toi, c’est la nuit sans flambeau.

J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre,

Et frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.

N’écris pas !

N’écris pas. N’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes,

Ne demande qu’à Dieu... qu’à toi, si je t’aimais !

Au fond de ton absence écouter que tu m’aimes,

C’est entendre le ciel sans y monter jamais.

N’écris pas !

N’écris pas. Je te crains ; j’ai peur de ma mémoire ;

Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.

Ne montre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.

Une chère écriture est un portrait vivant.

N’écris pas !

N’écris pas ces doux mots que je n’ose plus lire :

Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ;

Que je les vois brûler à travers ton sourire ;

Il semble qu’un baiser les empreint sur mon cœur.

N’écris pas !

Portrait d’Émile Nelligan (1879-1941), Archives de la Ville de Montréal, BM1-5P1570-03

Le vaisseau d’or


Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif :

Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues ;

La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues,

S'étalait à sa proue, au soleil excessif.


Mais il vint une nuit frapper le grand écueil

Dans l'Océan trompeur où chantait la Sirène,

Et le naufrage horrible inclina sa carène

Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.


Ce fut un Vaisseau d'or, dont les flancs diaphanes

Révélaient des trésors que les marins profanes,

Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputé.


Que reste-t-il de lui dans la tempête brève ?

Qu'est devenu mon cœur, navire déserté ?

Hélas ! Il a sombré dans l'abîme du Rêve !

Portrait de Rudyard Kipling (1865-1936) par John Collier, vers 1891

IF

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d'un mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.

Poème de Rudyard Kipling (1895) traduit par André Maurois

Couleur de la vie


Différentes personnes vivent ici-bas

On a tant de visages et on a peu de choix

Certains sont chanceux et riches grâce au destin

D’autres sont malheureux, pauvres et sans festin.


Malgré des divergences, Dieu nous a créés

Nous sommes magnifiques et tous bien connectés

Au milieu de tous, vivre et ne rien prouver,

Ici-bas, aimer tous et ne pas préjuger.


Annabelle Antenor Cruz


Pour Vous


De vos premiers sourires je me souviens toujours

Pour mes prochaines vies, ils m’ont donné l’amour

Je ne me souviens plus quand je vivais sans vous

Je remercierai Dieu et je prierai pour vous.


Valérie Bespalova

L’automne


Le ciel se fonce au-dessus des feuilles tombées

Et l’odeur de la mort va, fatale, augmenter

La terre doit mourir quand est venu le temps

Puis renaître comme le phoenix au printemps


Victor Fandrey


À ma fille


Quand tu étais enfant, le ciel était si pur,

Comme le paradis qui vient de la peinture.

Tu m’as dit doucement: “ma vie est un cadeau”.

Ta naissance est le mien, ni trop tard ni trop tôt.


Xu Li




Nous!


Nous avons bien pris cette décision ensemble

Nous avons décidé de fuir l'obscurité

Nous allons montrer notre force au monde entier

Et inspirer une bouffée d'air respirable


Pooyan Vazari


Carmen et moi


Si j’étais un choeur, je serais d’amour d’aria,

Je serais la chanson d’amour, Habanera.

Si j’étais une jeune fille fort rebelle,

Je deviendrais Carmen, résisterais comme elle.


Qin Wang