La création d’une estampe
(Traduction et adaptation d’un article de David Bull)
La création d’une estampe est en 3 étapes : Le dessin, la gravure des bois, l’impression. Ici, nous allons suivre la reproduction d’une estampe surimono de Yashima Gakutei. (voir un autre exemple sur la page "Etapes de la création d'une estampe")
Préparation du bloc de bois
On utilise du bois de cerisier de montagne (yama-zakura), qui est un bois dur et dense, idéal pour la gravure. Mais pour cette estampe qui a une grande partie calligraphiée, ce bois n’est pas assez dense pour la précision de gravure requise. Il faut donc faire un insert en buis (tsuge), bois qui permet d’être beaucoup plus précis. Ici la partie calligraphiée est assez grande, et les morceaux de buis étant petits, l’artiste a joint 2 morceaux ensemble. Le bloc principal est découpé au ciseau à bois et les blocs de buis insérés. Le tout est ensuite raboté, puis fini au papier de verre de façon à avoir une surface parfaitement plane.
2. Le dessin et la préparation du bloc
Comme il s’agit d’une reproduction, l’artiste reproduit uniquement les lignes du dessin en ignorant les couleurs sur un papier très fin (gampi), à la manière d’un calque. Les parties calligraphiées sont reproduites à part.
La totalité du dessin est ensuite réunie et deviendra le “hanshita”, le trace noir et blanc qui permettra de graver les lignes principales du bloc. Cette opération demande du doigté afin de ne pas enlever les lignes et d’avoir juste le dessin qui reste, prêt pour la gravure. Si nécessaire, les restes de papier peuvent être enlevés avec un peu d’huile de graine de thé (camellia oil)
Mise en place du dessin
De la colle est apposée régulièrement sur toute la surface du bloc de bois et le dessin est collé à l’envers sur le bois. On peut voir ici les lignes du poème calligraphié sur l’insert de buis.
Le papier encore humide, on le frotte doucement de façon à ne laisser qu’une mince couche qui laisse apparaître les lignes.
2. La sculpture et gravure
a. Le bloc clé
La gravure des blocs commencent par les lignes extérieures. L’outil utilisé pour cela est le « hangi tô » ou comme l’appelle les graveurs le petit sabre (ko-katana).
La lame est constituée de 2 épaisseurs d’aciers différents assemblées ensemble ; le premier dur et cassant pour la coupe, le second plus mou et flexible pour apporter le support et éviter la casse. Toutes les lignes extérieures sont gravées avec cet outil et aucun autre gouge ou ciseau ne sont touchés tant que cette étape n’est pas achevée. La lame ne dure pas très longtemps et est changée tous les deux mois environ.
La lame est très fine et les lignes incisées sont difficiles à voir. Quand 2 lignes sont très proches ou se croisent, les copeaux se forment et des triangles apparaissent. Toutes ces lignes seront en noir dans le dessin final. Quant au corps du corbeau, il sera imprimé en noir brillant (tsuya), mais à l’aide d’un bloc supplémentaire lors d’une impression additionnelle.
Voici le détail des aiguilles de pin, toujours en utilisant le même outil. L’espace « blanc » sous la branche sera sculptée plus tard avec un ciseau spécial « aisuki ». On peut voir aussi le papier qui se décolle quand on coupe. Cela arrive fréquemment dans les travaux très délicats, même si le « hanshita » a été très bien collé. Mais ce n’est pas vraiment un problème, cela peut même améliorer la visibilité.
La pointe de la lame a été retouchée temporairement avec la pierre à aiguiser. Cela permet de graver les lignes sinueuses, et si on avait laissé la pointe intacte, elle se serait sans doute brisée. Mais pour graver la calligraphie, on ré-aiguisera la lame pour avoir le maximum de précision.
Pour vous donner une idée de l’échelle, voici une photo lors de la sculpture du titre, le poème lui est encore plus petit. Aucune force n’est nécessaire pour graver cela. La lame ne rentre que 1 ou 2 dixièmes de millimètre dans le bois et tranche délicatement. De simples petits mouvements du poignet suffisent alors pour faire les courbes.
Il faut pouvoir enlever le plus de bois possible….sans aller trop près des lignes. Plus on va près, plus on prend de risques. C’est une question d’habileté… et de confiance. Mais plus on en enlève maintenant, moins il faudra travailler ensuite. Mais si on va au-delà, il faudra passer beaucoup de temps à réparer…..
Voici une vue du poème avec une règle pour l’échelle. Les caractères devront sans doute être retouchés après vérification de la première impression. Le buis a aussi tendance à absorber l’eau et les traits des caractères deviennent plus épais, suffisamment pour en gâcher l’esthétique… Mais le buis est très dur et permet une sculpture très précise. Une fois que les lignes sont complétées, ce ciseau n’est plus utilisé. Seules les lignes qui seront imprimées en noir ont été gravées. Les lignes que vous voyez sur cette photo seront gravées plus tard dans les blocs de bois pour les couleurs.
Ensuite, il faut détourer les parties de bois, et pour cela, on utilise 2 ciseaux à bois, un plat de 24mm (hiranomi) et une gouge en U peu profonde de 15mm (asa marunomi) et un maillet. Sur l’établi, le boc de bois est placé contre un tasseau martyr. Le bloc n’est pas fixé, mais on doit pouvoir le tourner en tous sens pour suivre le grain du bois et éviter de faire éclater le bois.
Voici une vue du bloc fini, prêt pour la première impression.
La troisième étape consiste à enlever le bois autour des lignes. Cela se fait avec des ciseaux à bois plats type aisuki de 6mm à 0.5mm ou même plus petits. En même temps on utilise ces ciseaux pour lisser et nettoyer le reste du bloc, ce qui facilitera les futures impressions en évitant aux pigments de s’accumuler, ce qui créerait des pâtés sur le papier.
Et voici les blocs avec les zones pour chaque couleur sculptées, avec encore une partie du papier. Seul le bloc clé est sculpté sur le recto uniquement car il doit rester parfaitement plan. Les blocs plus petits sont sculptés sur les deux faces et s’ils se déforment, on pourra le corriger au moment de l’impression en utilisant de l’eau tiède et une serviette sur la face concave.
b. Les blocs de couleurs et la préparation pour l’impression
Pour chaque couleur, un bloc devra être gravé. Utilisant une encre noire très légère, on imprime quelques feuilles à partir de ce bloc clé sur des feuilles de papier léger « hodomura », une feuille par couleur. Sur chaque feuille appelée « kyogo », on identifie la zone de couleur qui devra rester intacte. Ici, il y aura 8 couleurs sur 6 faces de blocs (3 blocs utilisés recto-verso) :
- Ciel pâle
- Les décorations qui pendent du portique
- Le soleil
- Les branches du pin (sur le même bloc que le soleil)
- Le portique
- Les aiguilles de pin
- Le corps du corbeau
- Le gaufrage pour les plumes (sur le même bloc que le corps du corbeau)
Voici le détail d’une feuille « hyogo » avec la zone couleur marquée ici en jaune (cette couleur est pour le repérage, pas pour la couleur finale). Cette feuille est à son tour collée sur un bloc de bois.
4. L’estampe finie
Le baren est passé en petits cercles concentriques en appuyant assez fermement, puis le mouvement s’élargit pour bien couvrir toute la surface. Le papier reste humide pendant toutes les impressions et cela permet aux pigments de pénétrer entre les fibres du papier. On peut les voir au recto de la feuille. L’humidité constante permet de s’assurer que a feuille garde des dimensions constantes, permettant un calage parfait.
Le dernier bloc est un bloc « karazuri » (impression vide) qui est utilisé sans couleur ou pâte. Le baren est passé fortement sur le papier pour donner un gaufrage des lignes. On peut renforcer le gaufrage en « kimedashi », c'est-à-dire en utilisant directement le doigt ou le coude.
3. L’impression
L’impression commence. Ici le bloc pour les aiguilles de pin en vert foncé. On voit que le pigment est presque transparent et il est impossible à ce stade de savoir quelle sera la couleur sur le papier et combien de passes devra-t-on faire pour obtenir la couleur désirée.
On met d’abord un peu de pâte sur le bloc, puis le pigment, on les mélange avec un pinceau et quand ils sont bien mélangés et étalés, on lisse avec une brosse douce pour enlever toute marque.
Le papier est placé sur le bloc. Sur chaque bloc de bois, une marque de calage en forme de « L » a été faite pour s’assurer que le papier sera positionné au bon endroit à chaque passage.
L’estampe finie juste après la dernière impression. Le papier est encore humide et n’a pas encore été massicoté.
Quelques détails : Les nuages sont du papier laissé blanc. On peut voir la pression exercée par le baren qui a aplati le papier en rouge.
Le gaufrage a été beaucoup utilisé dans les surimono de la période Edo. Un papier très épais était utilisé, au point que les estampes devenaient des objets en 3-D. Le gaufrage est délicat à réaliser : trop de pression dans le ciel aurait abimé la calligraphie, pas assez n’aurait pas permis aux nuages de ressortir….
Voir les étapes détaillées bois par bois sur la page "Etapes de la création d'une estampe"