Tableau de présentation des personnages principaux
Un personnage éponyme est un personnage (central ou non) qui donne le titre d'une œuvre. D'autres exemples peuvent être donnés, comme "Dracula" de Bram Stocker, la série des "Sherlock Holmes" de Conan Doyle, "Arsène Lupin" de Maurice Leblanc. Et parfois, le personnage qui donne son nom à l'histoire n'est pas le héros, à l'instar d'Akira, de Katsuhiro Otomo.
Extrait suivant :
Il s’aperçoit soudain qu’ils ne sont plus seuls sur le banc: un homme s’est assis qui le regarde et regarde la petite aussi. Il doit avoir le même âge que Monsieur Linh sans doute, peut-être un peu moins vieux tout de même. Il est plus grand, plus gros, et porte moins de vêtements. L’homme esquisse un sourire.
«Pas chaud, hein?»
Il souffle sur ses mains, prend un paquet de cigarettes dans une de ses poches, tape sur le fond avec un geste précis qui fait jaillir une cigarette. Il tend le paquet à Monsieur Linh, qui fait non de la tête.
«Vous avez raison, dit l’homme, je devrais arrêter... Mais avec tout ce qu’on devrait arrêter!»
Il met la cigarette entre ses lèvres, d’un geste simple et doux. Il l’allume, en aspire longuement la première bouffée, ferme les yeux.
«C’est tout de même bon...», finit-il par murmurer.
Le vieil homme ne comprend rien à ce que dit celui qui vient de s’asseoir. Pour autant, il sent que les paroles ne sont pas hostiles.
«Vous venez souvent ici?» reprend l’homme. Mais il ne semble pas attendre de réponse. Il aspire la fumée de
sa cigarette, comme s’il en goûtait chaque bouffée. Il continue à parler, sans vraiment regarder Monsieur Linh.
«Moi, je viens presque tous les jours. Ce n’est pas que c’est très joli, mais l’endroit me plaît, il me rappelle des souvenirs.»
Il se tait, jette un œil à l’enfant sur les genoux du vieil homme, puis il regarde le vieil homme engoncé dans ses couches de vêtements, et revient ensuite au visage de l’enfant:
«Une belle petite poupée que vous avez là. Comment s’appelle-t-elle?» Il joint le geste à la parole, montrant l’enfant du doigt et relevant le menton d’un air interrogatif. Monsieur Linh comprend.
«Sang diû», dit-il.
«Sans Dieu..., reprend l’homme, drôle de prénom. Moi c’est Bark, et vous?» et il lui tend la main.
«Tao-laï», dit Monsieur Linh, selon la formule de politesse qu’on utilise dans la langue du pays natal pour dire bonjour à quelqu’un. Et il serre dans ses deux mains la main de son voisin. Une main de géant, aux doigts énormes, calleux, blessés, striés de crevasses.
«Eh bien, bonjour Monsieur Tao-laï», dit l’homme en lui souriant.
«Tao-laï», répète une fois encore le vieil homme tandis que tous deux se serrent longuement la main.
Le soleil perce les nuages. Ce qui n’empêche pas le ciel de demeurer gris, mais d’un gris qui s’ouvre sur des trouées blanches, à des hauteurs vertigineuses. La fumée de Monsieur Bark semble vouloir rejoindre le ciel. Elle s’échappe de ses lèvres, puis monte très vite. Parfois, il la souffle par ses narines. Monsieur Linh pense alors aux naseaux des buffles, aux feux aussi, allumés dans la forêt le soir afin d’éloigner les bêtes sauvages, et qui se consument avec lenteur durant les heures de la nuit.
«Ma femme est morte, dit Monsieur Bark tout en écrasant le mégot de sa cigarette sur le trottoir avec le talon de sa chaussure. Cela fait deux mois. Deux mois, c’est à la fois long, et très court aussi. Je ne sais plus au juste mesurer le temps. J’ai beau me dire, deux mois, deux mois, c’est-à-dire huit semaines, c’est-à-dire cinquante-six jours, cela ne représente plus rien pour moi.»
Il reprend son paquet de cigarettes, en tend de nouveau une au vieil homme, qui refuse encore, en souriant, puis il la glisse entre ses lèvres, l’allume, tire la première bouffée, les yeux clos.
«Elle travaillait en face, dans le Parc. Elle tenait un manège, vous avez déjà dû le voir, forcément, des petits chevaux en bois verni, un manège à l’ancienne, il n’y en a plus guère.»
Monsieur Bark se tait. Il fume en silence. Monsieur Linh attend que la voix reprenne. Sans qu’il sache le sens des mots de cet homme qui est à côté de lui depuis quelques minutes, il se rend compte qu’il aime entendre sa voix, la profondeur de cette voix, sa force grave. Peut-être d’ailleurs aime-t-il entendre cette voix parce que précisément il ne peut comprendre les mots qu’elle prononce, et qu’ainsi il est sûr qu’ils ne le blesseront pas, qu’ils ne lui diront pas ce qu’il ne veut pas entendre, qu’ils ne poseront pas de questions douloureuses, qu’ils ne viendront pas dans le passé pour l’exhumer avec violence et le jeter à ses pieds comme une dépouille sanglante. Il regarde son voisin, tout en serrant l’enfant sur ses genoux.
«Vous êtes sans doute marié, ou l’avez été, je ne veux pas être indiscret, reprend Monsieur Bark, mais vous devez me comprendre. Je l’attendais toujours sur ce banc. Elle fermait son manège à cinq heures en hiver, sept heures en été. Je la voyais de l’autre côté de la rue, quand elle sortait du Parc. Elle me faisait un signe de la main. Moi aussi je lui en faisais un, de signe. Mais je vous ennuie, excusez-moi...»
Monsieur Bark a posé sa main sur l’épaule de Monsieur Linh, en même temps qu’il a prononcé ces dernières paroles. Le vieil homme sent, au travers des nombreuses couches de vêtements, l’étreinte de la main épaisse, qui s’attarde un peu. Il n’ose plus faire un geste. Soudain une idée lui traverse l’esprit, comme une lame. Et si cet homme était un voleur d’enfants, comme le disaient les femmes du dortoir? Il tremble. Serre l’enfant très fort contre lui. Son visage doit trahir sa peur car Monsieur Bark se rend compte que quelque chose vient de se produire. Gêné, il enlève sa main de l’épaule.
«Oui, excusez-moi, je parle, je parle, c’est que je parle si peu désormais... Je vais vous laisser.»
Et il se lève. Aussitôt, le cœur de Monsieur Linh bat moins vite, se calme. Un sourire revient sur son visage et ses mains desserrent leur étreinte sur le corps de la petite. Il s’en veut d’avoir eu un mauvais sentiment à l’égard de cet homme dont le visage est tout à la fois triste et chaleureux. Monsieur Bark soulève son chapeau.
«Au revoir, Monsieur Tao-laï, ne m’en veuillez pas pour tout ce que je vous ai dit... Peut-être à un autre jour!»
Monsieur Linh s’incline à trois reprises et serre la main que Monsieur Bark lui tend. Il le regarde s’éloigner jusqu’au moment où Monsieur Bark se perd dans la foule, une foule calme, sans cris, sans heurts, qui va, souple et noueuse comme un gros serpent de mer.
Le travail à suivre devra être fait en deux temps : commence par remplir la première colonne en effectuant un relevé précis pour répondre ; et seulement ensuite, rédige ton interprétation de ce relevé dans la colonne de droite.
A ton avis, quel va être le rôle de M. Bark à côté du héros qu'est M. Linh ? Dans de nombreuses histoires, ce type de personnage existe ? Comment les appelle-t-on et à quoi servent-ils ? Peux-tu donner d'autres exemples célèbres de ce type de personnage ?