Corrigé de la semaine passée
Séance 4 : la force du discours de Simone Veil
Nous sommes dans les années 70. L'avortement est illégal et les femmes qui y ont recours sont poursuivies en justice et risquent de la prison ferme. Pourtant, les années 60 sont passées par là, et les femmes se sont émancipées. Nombre d'entre elles pratiquent des avortements de manière illicites, les plus riches allant dans des cliniques privées, les autres partant en bus se faire avorter dans des pays voisins, les plus pauvres devant avoir recours aux "faiseuses d'ange", c'est-à-dire à des femmes n'ayant aucune formation médicale et pratiquant des avortements dans des conditions dangereuses. Souvent ces dernières devaient se rendre à l'hôpital suite à des complications, et étaient dénoncées pour avoir pratiqué des avortements illégaux : c'était ces dernières qui risquaient la prison ferme. Trouvant cet état de fait insupportable, 343 femmes ont décidé de signer une tribune dans l'hebdomadaire, le Nouvel Obs déclarant solennellement avoir pratiqué l'avortement, et s'exposant donc à des poursuites judiciaires (c'était en 1971). Pour bien comprendre l'état d'esprit de l'époque, ce manifeste fut qualifié de manifeste des 343 salopes par les opposants à la légalisation de l'avortement.
En 1973, Simone Veil, ministre de la Santé, décide de déposer une proposition de loi donnant la possibilité de recourir à l'avortement sous certaines conditions. La campagne menée contre elle par son propre camp (elle est de droite) va être d'une violence assez inouïe, certains regrettant qu'une survivante d'Auschwitz puisse permettre un nouvel holocauste sur des enfants pas encore nés.
Simone Veil va donner sa réponse lors du discours de présentation de la loi à l'Assemblée Nationale, le 26 novembre 1974. En voici un extrait :
1) Lisez un extrait de son discours :
POUR LA DEPENALISATION DE L’AVORTEMENT
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Si j’interviens aujourd’hui à cette tribune, ministre de la Santé, femme et non
parlementaire, pour proposer aux élus de la nation une profonde modification de la législation
sur l’avortement, croyez bien que c’est avec un profond sentiment d’humilité devant la difficulté du problème […]
Une nouvelle loi est-elle vraiment nécessaire ? [ …] Nul n’ignore que depuis l’origine, et
particulièrement depuis le début du siècle, la loi a toujours été rigoureuse, mais qu’elle n’a été que peu appliquée […]
Nous sommes arrivés à un point où, en ce domaine, les pouvoirs publics ne peuvent éluder leurs responsabilités. Tout le démontre : les études et les travaux menés depuis plusieurs années. [..] la plupart d’entre vous le sentent, qui savent qu’on ne peut empêcher les avortements clandestins et qu’on ne peut plus appliquer la loi pénale à toutes les femmes qui seraient passibles de ses rigueurs. Pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux ? Parce que la situation actuelle est mauvaise. Je dirai même qu’elle est déplorable et dramatique. Elle est mauvaise parce que la loi est ouvertement bafouée, pire même, ridiculisée. [...]
Lorsque les médecins, dans leurs cabinets, enfreignent la loi et le font connaître publiquement, lorsque les parquets avant de poursuivre , sont invités à en référer dans chaque cas au ministère de la Justice, lorsque les services sociaux d’organismes publics fournissent à des femmes en détresse des renseignements susceptibles de faciliter une interruption de grossesse, lorsqu’aux mêmes fins, sont organisés ouvertement et même par charter des voyages à l’étranger, alors je dis que nous sommes dans une situation de désordre et d’anarchie qui ne peut plus continuer.
Mais, me direz-vous, pourquoi avoir laissé la situation se dégrader ainsi et pourquoi la tolérer ?
Pourquoi ne pas faire respecter la loi ?
Parce que si des médecins, si des personnels sociaux, si même un certains nombre de citoyens participent à ces actions illégales, c’est bien qu’ils s’y sentent contraints ; en opposition parfois avec leurs convictions personnelles, ils se trouvent confrontés à des situations de fait qu’ils ne peuvent méconnaître.
Parce qu’en face d’une femme décidée d’interrompre sa grossesse, ils savent qu’en refusant leur conseil et leur soutien, ils la rejettent dans la solitude et l’angoisse perpétré dans les pires conditions, qui risque de la laisser mutilée à jamais. Ils savent que la même femme, si elle a de l’argent, si elle sait s’informer, se rendra dans un pays voisin ou même en France dans certaines cliniques et pourra, sans encourir aucun risque ni aucune pénalité, mettre fin à sa grossesse. Et ces femmes, ce ne sont pas nécessairement les plus immorales, les plus inconscientes. Elles sont trois cent mille chaque année. Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames. C’est à ce désordre qu’il faut mettre fin. C’est cette injustice qu’il convient de faire cesser.
Tentez de répondre à la question suivante : comment Simone Veil tente-t-elle de convaincre son auditoire ? Où réside la force de son discours ?