I° Poème de la révolte politique : Victor Hugo « Réveillez-vous, assez de honte ! »
À ceux qui dorment
Réveillez-vous, assez de honte !
Bravez boulets et biscayens (1).
Il est temps qu'enfin le flot monte.
Assez de honte, citoyens !
Troussez les manches de la blouse.
Les hommes de quatre-vingt-douze
Affrontaient vingt rois combattants.
Brisez vos fers, forcez vos geôles !
Quoi ! vous avez peur de ces drôles !
Vos pères bravaient les titans !
Levez-vous ! foudroyez et la horde et le maître !
Vous avez Dieu pour vous et contre vous le prêtre
Dieu seul est souverain.
Devant lui nul n'est fort et tous sont périssables.
Il chasse comme un chien le grand tigre des sables
Et le dragon marin ;
Rien qu'en soufflant dessus, comme un oiseau d'un arbre,
Il peut faire envoler de leur temple de marbre
Les idoles d'airain (2).
Vous n'êtes pas armés ? qu'importe !
Prends ta fourche, prends ton marteau !
Arrache le gond de ta porte,
Emplis de pierres ton manteau !
Et poussez le cri d'espérance !
Redevenez la grande France !
Redevenez le grand Paris !
Délivrez, frémissants de rage,
Votre pays de l'esclavage,
Votre mémoire du mépris !
Quoi ! faut-il vous citer les royalistes même ?
On était grand aux jours de la lutte suprême.
Alors, que voyait-on ?
La bravoure, ajoutant à l'homme une coudée,
Était dans les deux camps. N'est-il pas vrai, Vendée,
Ô dur pays breton ?
Pour vaincre un bastion (3), pour rompre une muraille,
Pour prendre cent canons vomissant la mitraille.
Il suffit d'un bâton !
Si dans ce cloaque (4) ou demeure,
Si cela dure encore un jour,
Si cela dure encore une heure,
Je brise clairon et tambour,
Je flétris ces pusillanimes (5),
Ô vieux peuple des jours sublimes,
Géants à qui nous les mêlions,
Je les laisse trembler leurs fièvres,
Et je déclare que ces lièvres
Ne sont pas vos fils, ô lions !
Jersey, le 15 janvier 1853.
Lexique :
(1) biscayens : balles de fusile
(2) airain : bronze
(3) bastion : endroit très bien protégé
(4) cloaque : lieu d'une saleté repoussante, immonde
(5) pusillanimes : sans aucun courage
Contexte : Né en 1802, Victor Hugo est un homme de lettres engagé. Homme de lettres, il écrit des pièces de théâtre qui révolutionne le genre du théâtre (Hernani), des romans (les Misérables, Notre Dame de Paris), des poèmes ; engagé, il combat toutes les injustices qui l'entourent (lutte contre la peine de mort, contre la misère, contre l'ordre moral et religieux)... Il sera même élu à l'Assemblée Constituante de 1848. Il s'oppose au coup d'État du 2 décembre 1851 et doit fuir la France en se réfugiant à Jersey (petite île entre l'Angleterre et la France). Il écrira contre Napoléon III pendant tout son exil. À la chute de ce dernier, il retourne triomphalement en France : en 1885, des funérailles nationales lui seront rendues et sa dépouille est inhumée (il est enterré) au Panthéon, à Paris.
À qui Victor Hugo s'adresse-t-il dans ce poème ?
À quelle attitude Victor Hugo invite-t-il ceux à qui il s'adresse ? Sers-toi du lexique (des mots du texte) pour répondre.
Quelle image Hugo donne-t-il des Révolutionnaires de la fin du XVIIIème siècle ?
En quoi cela sert-il sa « stratégie argumentative » ? En quoi cela lui sert-il à convaincre ceux qui vont lire ce poème.
Comment Hugo cherche-t-il à convaincre que la victoire est possible.
À ton tour : dans un poème de 10/12 vers (tu n'es pas obligé de faire des rimes, ni que les vers soient tous de la même longueur), rédige un texte qui appelle les citoyens à se mobiliser pour une cause que tu estimes juste.