2016-02-Septembrisades

Date de publication : 10 févr. 2016 11:05:34

Septembrisades

Un titre, a priori impropre puisque décrivant les massacres de prisonniers politiques dans les prisons parisiennes, début septembre 1792. Or, ici, de massacres, point.

Le fait du Prince, en quelque sorte.

Petit ragoût d’aubergines naines légèrement tomatées, lapin-moutarde… La table en teck des festins estivaux remontée sur la terrasse et signant par là la fin des canicules et des réceptions réitérées… Un léoville-barton de petite année, 1992… Une jolie table dominicale, deux verres tulipe pour le princier breuvage… Mazette !

Un dernier mot qui m’incite à offrir sans vergogne la jolie origine de ce mot « mazette », sorti comme par magie de mon chapeau et aussi de ma plume.

Mazette. n.f. (1626). Le Block et Warburg confirme l’origine normande et franc-comtoise du mot et signifiant « mésange ». Il désigna d’abord – mais l’acception a vieilli – un mauvais petit cheval, puis a décrit une personne maladroite au jeu (ou sans ardeur, incapable) [cf. cette phrase de Duhamel:

« Le monde n’est composé que d’incapables, de mazettes »] avant de devenir une interjection marquant l’étonnement, l’admiration. L’explication du Robert historique en est que ce type de transposition est fréquent, d’un nom d’oiseau à une dénomination péjorative d’animal ou d’homme ; il existe d’autres exemples avec « criquet », « mauviette », « linotte ». La sagesse populaire le dit bien :

« Traiter quelqu’un de tous les noms d’oiseau ».

A deux pas de là, c’est une grille qui m’aura conduit à me pencher sur la nature exacte de l’orient des perles. D’où il appert – attention, le verbe « apparoir », s’il n’est pas commun, est tout à fait défectif –, que le mot nous est venu du latin oriens, ci-devant participe présent du verbe latin orire « se lever ».

Outre le sens premier de « côté de l’horizon où le soleil se lève », il a aussi un emploi (abscons) chez les francs-maçons (Grand-Orient) et, concernant ces perles qu’il ne faut jamais jeter aux pourceaux, il représente leurs reflets nacrés rappelant la lumière du jour qui se lève. C’est beau comme l’antique.

« Cette inspiration […], c’est votre étoile ; elle s’est levée sur votre orient, c’est-à-dire dès vos premières années », Fléchier

J’ai trouvé bon de fêter les premiers cèpes avec un larmande 1989, un cru classé de saint- émilion… Un beau bébé de vingt ans tout pile, ses fragrances animales conjuguées aux arômes de sous-bois des champignons-rois, avec tout l’éclat des couverts en argent et dans le doux palpitement des bougies. Il m’arrive ainsi, parfois, de trouver grâce à mes yeux…

J’y songe : là aussi, peut-être, le fait du Prince !

Au cours de la même journée, j’aurai l’occasion de liquider – le terme n’est pas trop fort – les Dames du palais Rizzi et donc de quitter ce Cuneo dont j’aurais artificiellement prolongé la visite d’une dizaine de jours. Avec, en guise d’enseignement, cette surprise : en une petite quinzaine d’années, ma mémoire n’aura gardé aucun souvenir du bouquin de Frédéric Dard, pourtant très correct, mis à part celui très vague de deux sombres palais (un vénitien et un piémontais). Encore faut-il préciser que sa première lecture avait ravivé ceux, très anciens, de mon passage dans cette vieille cité lors d’une escapade estudiantine en Coccinelle au cours de laquelle nous n’avions fait que jouir du coup d’œil sur la magnifique place rectangulaire sans le moins du monde s’aventurer dans le dédale de ses ruelles ni parcourir ses trottoirs en arcades. Au total, quatre visites pour le prix d’une, la première datant d’un demi-siècle ou presque, la seconde – livresque – trente ans après, la troisième pour se repaître ad libitum de ses beautés cachées, la dernière en guise de dégustation.

Que Cuneo s’appelle ainsi en raison de l’aspect cunéiforme de la cité. Il suffit devoir un plan de la ville.

C’est Philip Roth, avec son dernier ouvrage Exit le fantôme qui aura, la semaine dernière excité la verve de Philippe Lançon. Une verve assez critique quoique tenant compte du monument littéraire que Roth représente. Et contestant surtout son égotisme exacerbé (d’un autre côté, c’est aussi son fond de commerce). Dernières phrases de l’article :

« Un homme peut choisir son cercueil et régler ses funérailles, mais c’est trop lui demander que d’aimer ses croque-morts. Comme l’écrivait l’écrivain Foster Wallace : Quand un grand solipsiste meurt le monde entier disparaît avec lui ».

Seule note attristante du quotidien du jour – à la condition expresse de ne point tenir compte des kamikazes afghans, des explosés pakistanais, des désintégrés irakiens (avec cette nouveauté absolument charmante que les divers dispositifs explosifs, les semtex les plus performants, s’administrent désormais en suppositoire chez le candidat au paradis d’Allah) – : la mort de Jacques Chessex.

Crise cardiaque au cours d’une conférence littéraire dans son bon canton suisse. Une mort à la Molière. Je me souviens d’avoir évoqué l’un de ses derniers romans où il demande pardon à sa mère…

De l’avoir mal aimée… trop peu… à contre-temps peut-être… Chessex, l'auteur d'un des premiers romans sous reliure toilée du Club Français du Livre de mes temps mirandais. L’ogre, un portrait au vitriol de son propre père. Ces pères qui vous phagocytent ensuite, votre vie durant… Tiens, moi, par exemple, qui ai craqué voilà peu pour trois coings oubliés sur l’herbe d’un verger et me demande toujours par quel miracle – un miracle aussi incompréhensible que le “g” qui termine le fruit –, une espèce de poire aussi immangeable peut se transformer en une confiture aussi délicieuse que celle que je déguste hic et nunc tout en confiant mes émotions à la page vierge. Mon Berbère de papa (qui a le génie de venir se percher à ces instants cruciaux sur mon épaule, sans pourtant faire trembler mon graphisme) eût sans nul doute été pris de folie en pignochant à petites cuillérées ce nectar crétois [je dis crétois puisqu’on admet communément que le nom latin du fruit, kydonia mala, « pomme de Cydonea », dit clairement qu’il venait de cette ville de Crête – encore qu’il y avait alors une ville nommée Kytonion en Asie Mineure, elle aussi candidate à la gloire de sa provenance]. Une folie toute intérieure, évidemment, vu son flegme so british.

L’anecdote du jour… Une fois descendu aux entrailles profondes de nos aîtres pour y ramasser un petit bordeaux plus ou moins festif, j’ai passé, en une revue machinale, les “vinyles” sagement immobilisés sur la tranche d’une étagère empoussiérée. Pourquoi pas la 4ème de Brahms, New York Symphony Orchestra, direction Bruno Walter. J’inspecte le coffret, cherchant une date éventuelle de l’achat, un repère – et bénéficiant quand même de cette joie itérative d’en découvrir le rond central, cette promesse qui remonte à l’adolescence, relents d’instants enfuis, vieux remugles musicaux-amoureux, impressions noyées… Là, le flash : ces kappelmeisters… Qu’on écoutait encore hier – on avait quoi, dix- huit, vingt ans, tout juste à la fleur de l'âge – et tous nés au 19ème siècle, quand nous en sommes au 21ème, et bien installés !

Bruno Walter, 1876, (dix ans après Sedan, malheur !), Otto Klemperer, 1885, Wilhelm Furtwängler, 1886… on voit le choc… la douche brutale. Puis en réfléchissant, mes deux grands-pères, mon papé Léon, 1880 et Edouard Alexandre, son pendant côté paternel, 1874… plus fort que Bruno Walter.

Un cousinage, ou pas, entre la gueuse de plomb et le féminin de « gueux » ? Et bien non, nous avons une allemande et une hollandaise.

Gueuse 1 ; n.f. (1543 ; all. Göse “ morceaux informes de fer fondu”, pluriel de Gans “oie” [cf. angl. Goose, même sens].

Gueuse 2 ; adj. (1452 ; néer. Guit « fripon, fourbe »). Clochard, miséreux et, par extension, pauvre. Au féminin : « Femme de mauvaise vie »

« Quel est donc ce brigand, qui, là-bas, nez au vent,

Se carre, l’œil au guet et la hanche en avant,

Plus délabré que Job et plus fier que Bragance ;

Drapant sa gueuserie avec son arrogance ? », Victor Hugo Ruy Blas I,2

In "Points d'encrage", 2009