Date de publication : 10 févr. 2016 11:01:01
Pas d'organdi pour miss Blandice
(Extrait du chapitre 8)
Encore un ou deux tours d’horloge sur le gril en se relayant sans cesse ni répit, et, malgré mes farouches dénégations, l’homme au regard d’acier (c’est lui qui, comme dans les polars, jouait le rôle du méchant, l’autre, celui du brave homme ; il essuyait plutôt deux fois qu’une le verre de ses bésicles avec une application affectée tout en me fixant d’un œil compréhensif) donna l’heure à la minute près et me fit savoir que, devant le faisceau probant de présomptions, je me trouvais en garde à vue. J’avais le droit de consulter un médecin ainsi que de me faire assister par un avocat et, à cette fin, de passer un coup de téléphone. Je devrai remette au factionnaire mes lacets et ma ceinture.
J’appelais Bastien et le mis au courant du drame, des soupçons de la police à mon égard, de la décision prise à mon encontre et de la nécessité urgente dans laquelle je me trouvais de trouver un défenseur. Il n’en croyait pas ses oreilles, le pauvre cher homme ! Il m’assura qu’il connaissait un ponte du barreau, ancien bâtonnier, qu’il le contactait illico.
« T’inquiète, ce gars est une flèche. Je fais fissa ! »
Un peu plus tard, on ouvrit la porte de ma cage de verre, et un homme portant une veste couleur marron glacé coupée sur mesure dans une laine en cachemire et soie y pénétra. Sur sa chemise en popeline azurée où se pavanait une cravate dans un camaïeu de bleus étincelait une épingle d’or. Son pantalon et ses escarpins vernis semblaient à la hauteur, vertigineuse, des moyens de cette star des prétoires. Il se présenta :
« Maître Delhomme, avocat à la Cour. Votre ami Bastien m’a demandé de vous assister. Pouvez-vous me résumer brièvement la situation ? »
Je m’exécutais sans rien omettre, répondant sans détour à ses questions précises. Il me quitta au bout d’une heure environ avec quelques paroles de réconfort au moment de la poignée de mains.
Les 48 heures de garde à vue presque écoulées, ma porte s’ouvrit sur un pandore en tenue qui me conduisit jusqu’à un bureau où se trouvaient déjà mes deux flics ainsi que l’avocat qui se leva pour me saluer, un discret sourire de satisfaction éclairant son visage austère. Les deux cognes, eux, restèrent assis. « Sur ma requête, le commandant de Mongrevil a une bonne nouvelle à vous annoncer », me dit-il en me priant de m’asseoir.
L’épigone d’Eliot Ness ouvrit donc son bec en lame de rasoir et, cette fois, je me délectai d’entendre sa voix au tranchant si bien assorti :
« Monsieur Robédois, les résultats de vos tests ADN ne correspondent pas à ceux extraits des débris de peau recueillis sous les ongles de Mlle Chauffart. Quoique cela ne vous innocente pas totalement – et à la demande instante de Maître Delhomme ici présent –, il me faut bien reconnaître qu’il n’est plus possible, ni nécessaire, de prolonger votre garde à vue. Vous pouvez donc regagner votre domicile mais vous restez à la disposition de la justice et vous avez interdiction de quitter le territoire jusqu’à plus ample informé. »
L’ex-bâtonnier me proposa aimablement de me déposer à mon domicile et durant le trajet me distilla quelques conseils pour la suite. Après ces deux nuits blanches, je flottais, les mots écorchaient mes tympans. Je sentais mes membres m’obéir avec une sorte de décalage, comme si je me voyais filmé au ralenti. Il m’indiqua qu’il restait en contact avec moi tant que l’enquête n’était pas close et que, de mon côté, je pouvais le joindre à tout moment.
« Vous verrez, sauf improbable anicroche, et même si le commandant de Mongrevil ne vous l’a pas dit expressément, vous êtes désormais hors de cause. »