2015-12-Le miel, un tueur en série (extrait)

Date de publication : 10 févr. 2016 11:03:52

Le miel, un tueur en série (extrait)

En ces occurrences, à la recherche d’une place où garer ma voiture à la livrée aux couleurs de l'anoure avant de menues courses villageoises, je m’étonne à part moi de ne point voir rôdailler le vieux bedeau au volant de sa Clio, cherchant lui aussi à faire exécuter un créneau à sa voiture-muse (Clio, rappelons-le, est la muse de l'Histoire), avec des lenteurs d’ai… Si, pour votre malheur, vous vous trouvez derrière lui durant cette quête quichottesque, mieux vaut les planter là, sa chignole et lui, et, rebroussant chemin, faire le tour du patelin en sens inverse, faute d’aller tirer à sa place la corde des cloches . Le lendemain, j'aurai des nouvelles (fraîches ?) du vieux sacristain octogénaire dont l’absence m’intriguait fort… Un pressentiment ?

Qu’on me croie ou non, il jouait les Jeanne d'Arc au moment-même où je m'inquiétais de son absence ! Cramé dans sa bagnole… pauvre Mougeau… M’avoir si souvent – oserai-je dire emmiellé – ne méritait pas une mort si atroce, dans un petit fossé, au bord du chemin des Vignes Vieilles où je tentais, voilà trente ans et mèche, de joggeuses expériences dans cet inénarrable survêtement rouille acheté aux Dames de France à Mirande. Il aurait – le conditionnel s’impose encore – fichu le feu à son antique automédon en voulant le redémarrer après avoir dérapé sur la neige et ripé dans le fossé. Le malheureux pépé !

Deux ou trois jours supplémentaires seront nécessaires avant de connaître la suite du feuilleton: l’ancêtre, en ces premiers jours où la neige recouvrait la Provence, avait chargé dans sa voiture quantité de bidons d’alcool ou de pétrole pour appareils de chauffage d’appoint. La Clio ayant calé dans le caniveau, c’est sans doute l’étincelle d’une bougie qui aura enflammé les vapeurs mêlées d’essence et de pétrole. Le malheureux a flambé mieux qu’un bonze, tout seul dans la campagne enneigée. Déjà qu’il mettait dix minutes à s’extirper en temps normal de sa tire, qu’on imagine ses efforts pour la quitter, inclinée à 45° et le feu aux fesses.

Et, après une dizaine de jours d’un suspense insoutenable, me voici rasséréné : une affichette spécialisée a fleuri aux vitrines des commerces, le décès du vieil homme enfin officialisé, la date des obsèques proclamée – des tests ADN auront été nécessaires pour identifier le bedeau parmi ses cendre

Pulvis est et in pulverum reverteris.

Ainsi clôture t-on, en son église et en latin, une existence humaine… « Tu es poussière et tu retourneras en poussière ».

Une note miellée s’impose pour conclure ce festival macabre, un clin d’œil à la gelée royale en quelque sorte, dans cet océan teinté de pourpre et de vermillon, cet Enfer tantôt littéraire et tantôt domestique : me croira t-on si j’évoque ici mon éleveur local d’abeilles, vendeur assidu sur le marché du mardi, son embonpoint rubicond et sa barbe mieux fleurie que le fondateur éponyme de la dynastie des Carolingiens… L’étiquette de ses miels divers, d’acacia ou toutes fleurs, de lavande ou de romarin le proclame : ils sont tous élaborés au lieu dit “Les Paradis”, à Eyguières.