2015-12-Petites chroniques californiennes

Date de publication : 10 févr. 2016 11:03:12

Petites chroniques californiennes

La pensée du jour, d’un auteur resté inconnu : « La vitesse poétique est supérieure à la vitesse théorique ». Bien vu, l’ami !

Il avait parfois l’impression taraudante de revivre une sorte de calamité naturelle qui, pourtant aurait dû disparaître avec la vieille dame : le rituel obligé, la farandole, la ritournelle mécanique des questions oiseuses ou vaines.Tel clébard au portail d’une maisonnette: "Comment s’appelle ? Quel âge ?

-…

- Ah !

Tel oiseau qui, du fond d’un hallier caquette, trompette, croasse, siffle ou turlute

– Qu’est ce bruit ? D’où ce chant vient-il ?

- …

- Ah !

Tel sentier coupant la routine des balades archi-connues

– Où va-t-il ?

-…

- Ah !"

Le croira t-on ? Ce dernier Benacquista, abandonné bien à plat sur ses congénères de « la Blanche » de chez Gallimard depuis une bonne semaine, Malavita encore, n’est pas mort. La preuve, il bouge encore ! Et c’est un petit Rivages / Noir – un peu la Rolls des éditions de Poche avec sa jaquette plastifiée et son simili papier-bible grâce auquel les 460 pages du bouquin tiennent souplement en mains – Ash and bone, « De cendre et d’os », un policier londonien de John Harvey, qui fait palpiter derechef sa dépouille encore chaude. Pour la faire courte ( j’ai déjà évoqué sa figure de mafieux repenti), le personnage central, ce Giovanni Manzoni s’appelle, depuis qu’il est en France incognito, Fred Wayne et il s’est choisi comme pseudo d’écrivain, Lazlo Pryor, état civil d’un barman de Newark qui fut son sosie du temps de ses pratiques mafieuses.

« Malavita encore », page 14 :

« Il avait publié Du sang et des dollars puis L’empire de la nuit signés du pseudonyme Lazlo Pryor, faute de pouvoir signer Wayne et encore moins Giovanni Manzoni ».

Or, parvenu à la page 149 de « De cendre et d’os », je tombe sur cette phrase :

« Sur un coup de tête, il téléphona d’abord à Maureen Prior. Dans le Nottinghamshire, Maureen et lui avaient travaillé en étroite collaboration pendant trois ans ».

(Il me faut bien, au chapitre “clins d’œil”, avouer que j’ai revu, avant-hier à peine, la forêt de Nottingham, son affreux shérif et le très cher Robin incarné par l’ami Kevin Kostner).

On conviendra de la force de la correspondance – avouez que Prior ou Pryor n’est pas un patronyme passe-partout à la façon de Smith ou Durand/Dupont. Enfin ! Sauf chez les Romains où prior (neutre de l’adverbe prius) servait à nommer le premier ou l’aîné de deux frères, le dernier (dans le temps). On disait ainsi Dyonisius Prior pour Denis l’Ancien.

Et priores pedes pour « les pieds de devant » (ce qui n’est pas une manière incongrue de sortir d’un thriller…).

Au soir d’une après-midi qui aura vu les deux époux aussi perchés qu’un célèbre baron – J. sur le toit d’un appentis et Bernie, non loin décapitant des lauriers-tins, étêtant des cyprès, puis, redescendu sur terre, tenter de décrasser au jet les dalles de la piscine avant de repartir à l’assaut de romarins rebelles qu’emmaillotent des garances séditieuses – notre couple à demi brisé par un labeur de forçat n’est plus bon qu’à apprécier les charmes conjugués de morceaux d’une pizza froide au reblochon et lardons, en guise d’amuse-gueule à nos apéros à cette heure entre toute bénite : le doux soleil, l’air à peine frémissant, les senteurs jasminées. L’heure d’oser un calembour ? Sybarite m’était conté…

Question. Sachant qu’un sybarite était, dès l’origine, un habitant de Sybaris, qu’en était-il exactement de cette ville plus célèbre encore que Capoue pour l’intensité de ses délices ?

C’est encore mon fameux Larousse 1906 qui m’aura tiré d’embarras : cette ancienne ville d’Italie (Lucanie) a été une colonie grecque sur les rives du golfe de Tarente (cette voûte plantaire de la Botte) ; fondée par les Achéens en 720 avant JC elle fut enrichie par le commerce. L’excès de son opulence amena ses habitants à prendre des mœurs efféminées, le nom de Sybarite devenant synonyme de « voluptueux ». Détruite en 510, elle est restée célèbre pour la mollesse de ses citoyens : on rapporte qu’un Sybarite suait à grosses gouttes en voyant un esclave fendre du bois et qu’un autre (dont le nom, Sminiride, n’est pas passé à la postérité) se plaignit un jour d’avoir passé une nuit blanche parce que parmi les feuilles de roses dont son lit était semé, il y en avait une qui s’était pliée en deux. Plus fort encore que la princesse au petit pois…

Me dois-je d’expliciter mon hésitation teintée de répugnance à “calembourder” ? L’exécution de ce type de jeux de mots par Hugo (il me semblait qu’il qualifiait la chose de « pets de l’âme » quand il énonçait plus joliment que c’était « la fiente de l’esprit qui vole ») ? Ou Gide « … Il remplaçait communément, n’étant pas très intelligent, le trait par le calembour » ?

Serait-ce encore le souvenir du cher Riton-du-lac (du Bourget) qui avait une tendance prononcée à user, voir abuser du procédé ?

Le mot est né vers 1760 pour qualifier « un jeu de mots fondé sur des mots se ressemblant par le son et différant par le sens, comme quand monsieur de Bièvre disait que le temps était bon à mettre en cage, c’est à dire serein (serin) ». On raconte même que le bon Louis XVIII mourant, lisant sa condamnation dans les yeux de ses médecins aurait dit : « Allons, finissons-en, Charles attend (charlatans) »

Son origine est incertaine et on dispute encore l’ascendance, et la proximité vraisemblable avec « calembredaine » un mot dialectal peut-être proche de « bredouiller » ou de « bourde », calembredaine s’étant souvent dit « calembourdaine ». Et surtout, surtout, à ne pas confondre avec « calambour », avec un “a”, venu du portugais calambuco emprunté au malais kalambaq, un terme de botanique désignant un bois odorant de l’Inde et connu bien avant l’apparition du calembour.

Et oui ! Ce mois d’avril restera à jamais célèbre comme le mois des couacs… Des couacs gouvernementaux à foison, reconnus (mais pouvait-il faire autrement) par le grand chef quaker (couaqueur ?) venu tout tremblant faire sa contrition télévisuelle. La chose aura excité nombre de commentateurs ou échotiers, dont Alain Schiffres dans le w.e. monjournal de Libération :

« Tout le monde cherche la raison des couacs. C’est le dernier cri. L’aigle glatit, l’alouette turlute et le gouvernement couaque ».

L’amusant dans ce pataquès étant qu’il se produise à une époque où le moindre ministère, le plus infime sous-secrétariat d’Etat regorgent de communicants engagés à grands frais, tous éminents spécialistes es stratégie(s) de communication, blogs et blogosphère, Net, Web, SMS, textos tournant en vortex comme un manège de l’école de Vienne. Quoique…

Une nouvelle correspondance va illuminer ma journée, fulgurante, faisant la roue, avec des gerbes de magnésium de bougie d’anniversaire. Encore une fois, c’est le Supplément-Livres qui fait l’événement. Encore une fois, Philippe Lançon est à la manœuvre. Dernière page…

La moitié de droite, sur trois colonnes, consacrée à Armistead Maupin, ex jeune gay devenu vieux, dont les Chroniques de San Francisco ont débuté voilà 30 ans sous le nom “The tale of the city”. Le commentaire du critique : « Tous ces gens prennent trop de temps pour ne rien dire. […] Mais, si la lecture entretient de profonds rapports avec l’ennui, ce n’est tout de même pas pour le reproduire tel qu’il est quand on ne le lit pas ». La rosse !

Mais je divague : ce sont les deux plus larges colonnes de gauche qui m’importent. Il y reproduit les fausses confidences (et de réelles citations) d’un gars nommé Ungar né à Bogota dans les années 70, qui vient d’écrire “Les oreilles du loup”.

« C’est dans la jungle que j’ai écrit pour la première fois […] J’y ai lu les Contes de Cortázar, qui est devenu soudain beaucoup plus clair. Et tous les livres de Truman Capote ».

Le sel de l’histoire tenant au fait qu’un écrivain de moi inconnu associe à deux lignes de distance les noms de ces deux écrivains tandis que je suis en train de lire l’un ( L’affût, de Cortázar) et qu’un Truman Capote inédit autant que posthume attend sagement son tour sur mon chevet.