2015-11-Pas d'organdi pour miss Blandice

Date de publication : 2 nov. 2015 17:55:25

Pas d'organdi pour miss Blandice

« Quelques fois la mort se pare des lambeaux de la pourpre ou de la bure dont elle a dépouillé le riche et l’indigent »

Chateaubriand, Les martyrs, Livre VIII, 263

C’était ainsi !

Au jour J, à l’heure H, à la minute précise, instant T.

Que le passé m’était revenu dans la gueule, avec la sécheresse tonitruante d’une porte qui claque.

Badaboum ! Boum ! Boum ! Loin, bien loin de la sérénade chantée mezzo voce par le hautbois tremblé d’un Amadeus engrossé de sa petite-musique-de-nuit.

Un tourbillon maléfique de cendres que dix lustres au moins avaient mal refroidies, me laissant recroquevillé sous la hart d’un feu céleste ainsi que l’un de ces gisants foudroyés par l’ardente émanation pompéienne.

Je déambulais… Plus précisément, je descendais sans but bien précis la rue très animée dont la pente débouche sur la célèbre place ovale d’une très ancienne ville méridionale devenue métropole régionale en quelques dizaines d’années. Je l’avais assidument pratiquée durant ma jeunesse, l’avais longtemps délaissée avant que des circonstances familiales imprévues provoquent le retour de mon minois défraîchi en ces lieux aux charmes désuets.

Une petite brise marine aérait la rue aux trottoirs encombrés et à la chaussée étrécie. En cette fin d’après-midi de mi-juin, rien ne semblait plus urgent au commun des mortels que d’aller s’attabler à l’une des multiples terrasses dont la gent bistrotière a abondamment garni les abords de la place pour y déguster une mousse. Mon âme toute entière demandait grâce en imaginant par avance le verre embué et le neigeux faux-col tandis que l’amertume envahirait mes papilles comblées.

À quelques mètres de moi, je remarquais une file de passants traversant la rue car un échafaudage protégeant des travaux de voirie empêchait l’écoulement normal du flot de piétons. Parvenu sur le trottoir opposé – de là, je découvrais les immeubles cernant la place et leurs chefs empanachés d’enseignes publicitaires –, je jetai un œil machinal sur les vitrines d’un grand magasin d’habillement. Je clignais des yeux : la traversée de la chaussée, le passage des numéros pairs aux impairs m’avait transporté de l’ombre à la lumière. J’étais on the sunny side of the street et dans ma tête soudain en fête s’égrenaient les notes du standard, le piano de Fats Waller ou d’Oscar Peterson, la trompette de Dizzy Gillespie ou celle d’Armstrong, la clarinette de Benny Goodman.

(A suivre)