Nagazaki

Date de publication : 11 janv. 2018 10:12:30

Nagasaki

Une histoire comme je les aime… qui s’impose à moi avec l’évidence aveuglante d’un feu nucléaire. La coïncidence arrive, fond sur moi tel le vent divin des premiers kamikazes de guerre du Pacifique qui tentaient de s’abattre sur les ponts mythiques de l’Enterprise ou du Hornet – les porte-avions US perdus vers l’atoll de Midway tout à leur traque de la flotte japonaise de l’amiral Yamamoto (celui dont l’engin a dérapé sur les graviers de l’Histoire).

Le livre – une grosse nouvelle – conte, par la voix du narrateur, l’histoire d’un météorologue dont la vie se trouvera mise queue par-dessus-tête lorsqu’il s’apercevra que son appartement a été squatté pendant des mois à son insu, mais en sa présence, par une sans-logis effrontée. Et c’est page 67 que la coïncidence éclate, pour la première fois entre un écrivain et moi. (Chamboulé par l’arrestation de son coucou domestique – la dame avait fait son nid chez lui, camouflée dans le placard d’une chambre d’amis inutilisée – des collègues de travail l’ont entraîné boire un pot dans un troquet exigu). L’un des buveurs, le plus expansif des hôtes de ce comptoir, se met alors à raconter l’histoire véridique qu’il avait entendue à la radio, celle d’un homme d’affaires qui, par miracle, avait échappé à la mort lors des deux explosions atomiques du 6 et du 9 Août 45 sur Hiroshima et Nagasaki.

Or il se trouve que cet homme, Tsutomu Yamaguchi, j’en parlais dans mon troisième texte de l’année dernière, La neige, comme un météore, sidéré par son aventure que je venais de découvrir grâce à l’entrefilet de Libé mentionnant son récent décès des suites d’un cancer de l’estomac. Seul double hibakusha (victime de la bombe atomique) officiellement reconnu, il aura survécu 55 ans à la double apocalypse.

« C’est un homme, il est mort », disais-je… Brûlé au torse lors de l’explosion de Little boy, et tout pile rentré dans sa ville pour prendre Fat man sur le coin de la figure !

« On raconte que les bambous de même souche fleurissent à même date, meurent à même date, si éloignés que soient les lieux où ils ont été plantés dans le monde »

Que d’aventures à la lecture d’un si menu opuscule ! D’autant que (page 55), j’avais pu m’amuser à la suite, déjà, des malheurs du narrateur aux prises avec ce que l’auteur nomme son gobelin (il m’a fallu débusquer le Larousse 1906 pour en trouver la définition « elfe, lutin » et, dans le Littré, ce joli quatrain) :

« De petits amours une bande

Dansait auprès la sarabande

Et, leur faisant maints tours malins

Riaient comme des gobelins », la Henriade travestie

***

Nous étions tombés sur M…, un gynéco qui, désormais, s’est reconverti dans l’humanitaire au Laos. Le beau Valère un peu décati, son visage de sénateur romain affaissé léger.

Comme nous discutons verre en main et carré de pizza dans l’autre, je le vois ébaubi quand je lui cite les noms des princes du Laos de ma jeunesse, les Souvanna Phouma (mort à Vientiane en 84), Souvannavong (mort en France en 2002, qu’on appelait « le prince rouge » en raison de ses sympathies pour le Pathet Lao et qui avait rencontré sa future épouse au Chambon sur Lignon, décidément incontournable), et Boun Oum (mort à Meudon en 80) … les montagnards Hmong… le joli roman, Là-Haut, de Schoendorfer.

Incroyable ce que cette saga indochinoise m’aura marqué ! Et je n’avais que quatorze ans quand Dien Bien Phu y a mis fin…

Eh bien, en face – tous comptes faits – question événements saillants, météores façon aurore boréale, situations cocasses ou extraordinaires, ce fameux 10 Octobre 2006 ne pèsera pas lourd. J’avais bien trouvé une citation d’Emil Cioran, célèbre optimiste s’il en est :

« Ma mission est de tuer le temps et la sienne de me tuer à son tour. On est à l’aise entre assassins ».

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Le cimetière du Chambon, un petit texte en forme d’obit à Marthe Augusta. On sait – en tous cas on devrait savoir – que dans notre ménage nous avons chacun notre Chambon. Pour Bernie, c’est celui sur le Lignon cité plus haut, mais aussi à cent autres occasions, souvenirs de jeunesse ou d’adolescence… Pour Julie, celui au-dessus d’une courbe alanguie du Luech, petit cours d’eau qui finit dans la Cèze, dans le cimetière duquel reposent, outre sa sœur aînée, son père et sa mère, des générations d’ancêtres cévenols. Quoiqu’il en soit, pour ce toponyme si commun, l’ancêtre, c’est toujours le gaulois cambo « courbe » (de la rivière).

Une chose est certaine : les deux journées auront eu un point commun, nous avions boulotté des Bouzigues.

Sinon, le petit timonier, Kim Il Sung, (plutôt Kim Jong Il d’ailleurs, son garçonnet) avait fait péter sa bombinette, nucléaire elle aussi… là, un télescopage avec mon propos de départ ; enfin… lui ne l’a jetée sur personne. Corée du Nord, Corée du Sud… Pays du Matin Calme… depuis combien de lustres, la péninsule suspendue à la Chine m’accompagne-t-elle ? 1950, général Mac Arthur, celui, justement, proconsul au Japon post-atomique.

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Hum… rendormi sur les 7 heures du matin… la chose ne pardonne pas.

Mais aussi, ce temps mis à trouver le sommeil ! L’esprit qui bat la campagne – l’énervement de la dernière ligne droite de ces Sentiers botaniques si parcourus qu’ils en sont devenus lassants, affadis, rabâcheurs. Matière grise devenue autonome, rétive, piaffante… va-et-vient, papillon.

Le corps oscillant autour de l’oreiller avec la régularité obtuse d’un métronome sur son axe. Puis la paix des méninges enfin, par surprise, lassitude… catimini.

Et qu’avons-nous fait d’un si beau dimanche ? Des plaisirs menus distribués par petites touches – ou au couteau, comme sur la palette d’un impressionniste… commencé d’ailleurs “soleil levant” avec l’explosion de la gerbe d’un hip hip hourra. Petits cafés qui se succèdent pour se terminer sur la dernière tranche d’un cake devenu défunt. Le mâtin m’aura duré la semaine, sept jours exactement d’une joie pure et désintéressée, animale en somme. Qu’il est doux de se vautrer dans des plaisirs païens la tête occupée de charmes virevoltants, de dentelles psychologiques, d’oxymores et de quatrains.