Divines surprises (2)

Date de publication : 6 nov. 2018 10:13:39

Divines surprises (2)

Wraouf !! Ah que, des nuits comme cela, ça vous retape son homme…

La clef du miracle – et aussi la clef des songes ? Le “carda” (quart d’Aspégic, je rappelle) bien sûr, un “carda” un peu demeuré aux oubliettes ces derniers temps avec les activités bridgeuses en berne. À l’heure où passe le marchand de sable, l’évidence s’est imposée de l’ingestion préventive d’une pincée de la poudre blanche providentielle, celle qui assure des nuits réparatrices et sereines… un enroulement bienvenu dans le cocon de rêves enfuis… une poudre qui porte bien son nom, puisque « aspirine » vient de « spirée » [lat. spira, du grec spirein « enroulement »]. La spirée ou reine des prés, Spirea ulmaria, longtemps utilisée pour parfumer les étables, était connue de longue date pour ses vertus antirhumatismales et fébrifuges ; tout comme ses cousines les feuilles de saule avec lesquelles se soignaient les Sumériens. Encore un grand merci, donc, à Félix Hoffmann qui en réussit la synthèse et déposa le brevet en 1899.

L’ordinateur rapidement enfourché après la chronique diareuse. Les J de mon Éditions du Cinquantenaire me contraignent à partir vadrouiller dans mes œuvres complètes afin d’éviter les redites. Jaborandis, Jalap et Jusquiame… tous déjà largement picorés au gré de l’inspiration du moment. Mais je fais durer le plaisir, sachant qu’en cette matinée, nulle corvée ne s’imposera, que le programme est simple, empli de vacuité tranquille, et béant à mes pieds ailés d’Hermès trismégiste. Le temps de servir un café à ma Dame descendue de son perchoir nocturne et je m’élance, toujours ailé et gracieux – après une semaine de Voltarène, mon dos va mieux, merci (un torticolis vicieux dû aux plongeons à répétition) –, pour des courses villageoises.

Une vérification encore : mon Des kinkélibas mirobolants a déjà quatre ans… Merdre et re merdre, disait Ubu.

Un petit plaisir à ne pas négliger lorsqu’en passe l’occasion : mon arrêt impromptu à la librairie de l’ex bougon m’aura permis de tomber, enfin, sur un nouvel Harry Crews, toujours dans la famille Folio-Policier ; et à deux pas, à la Maison de la Presse, sur un Montalbán en cherchant le dernier Montalbano. Des clins d’œil, ainsi.

Comme nous avons opté pour un menu “grillades”, il reste encore à décider entre cinq merguez et deux steaks, avec deux choix subsidiaires, l’un du type « Buridan » (un peu de chaque), l’autre à la Salomon, fils de David et de Bethsabée – un gazier quand même plus titré que notre célèbre ânier. Son jugement tranchant s’il en est permet aux saucisses pimentées de l’emporter haut la main.

Voilà… nous sommes affublés pour toute une semaine, d’une enfant tout faite, décidément adorable : ses yeux d’innocence bleue, cette blondeur, ce charme déjà, au bout d’un long col… cette pureté incroyable des traits qui n’est qu’à l’enfance… cette complicité tranquille : comme je lui partage les quelques tomates-cerise (un rite entre nous) mises de côté à son intention, elle me serre sans un mot dans ses bras de petite sauterelle. Mais il me faut me dégager : bien beau d’acheter des aubergines, encore faut-il se soumettre à leur dictature de légume exigeant, à leur épluchage patient en laissant subsister une fine bande de peau violette, au tranchage méticuleux en fines lamelles (longitudinales ou sagittales, selon humeur) et enfin, à leur cuisson/friture en deux poêles. Un peu de sauce-tomate entre les couches qui s’amoncellent et, bien sûr, du parmesan râpé.

Bien vite, l’après-midi estival, la déception causée par le polar en cours, très quelconque mais tempérée par le régal à venir du Crews dernier-né. L’abandon de Cleveland et son comté de Chatayoga, « là où la rivière fait une courbe » en algonquin, pour les paysages sordides et rustiques de la Géorgie… ses Nègres, ses petits Blancs, sa misère faulknérienne, ses champs de coton et de tabac. Au fil des Série Noire, ma passion américaine s’assouvit, particulièrement avec les thrillers de l’été ; je ne quitte les rives du lac Erié et ses frimas canadiens, que pour la torpeur à la fois languissante et furieuse du Deep South, la métropole tentaculaire de l’Ohio et ses quartiers misérables pour un bled minable posé comme un furoncle non loin de Tifton, sur la route d’Albany… les casses de voitures géantes versus les étendues d’herbe à Nicot. (Et lorsque le Crews sera fini, je lâcherai mon Sud profond et ma bonne vieille Tallahassee pour la cité des Anges de Connelly.) Les canyons à demi déserts qui surplombent LA… Mulholland Drive…

La surprise enfin de dénicher une photographie de L.F Céline dans son jardin de Meudon, entouré de ses chiens, courant 1955. Me faut – vite, vite, ça urge – aller retrouver le passage du roman où il narre les derniers moments de sa chienne qui est peut-être là, encore, sur le cliché. Mais lequel ? La dernière trilogie, me semble t-il. La chance, comme souvent, pour la canaille : D’un château l’autre, le premier des trois, avant Nord et Rigodon.

Son phrasé haletant, accroché aux points de suspension.

« le même mystère avec Bessy, ma chienne, plus tard, dans les bois au Danemark… elle foutait le camp… […] si vite vous lui voyiez plus les pattes ! bolide ! ce qu’elle pouvait de vitesse ! je crois qu’elle m’aimait… mais sa vie animale d’abord ! […] elle est morte ici à Meudon, Bessy, elle est enterrée là, tout contre, dans le jardin, je vois le tertre… elle a voulu mourir que là, dehors… je lui tenais la tête… je l’ai embrassée jusqu’au bout… c’était vraiment la bête splendide.

A Meudon, Bessy, je le voyais, regrettait le Danemark … je l’ai eue, au plus mal, bien quinze jours… oh, elle se plaignait pas […] un moment, le matin, elle a voulu aller dehors… je voulais l’allonger sur la paille… juste après l’aube… elle voulait pas comme je l’allongeais… elle voulait être un autre endroit… du côté le plus froid de la maison et sur les cailloux… elle a commencé à râler… c’était la fin… on me l’avait dit, je le croyais pas… mais c’était vrai, elle était dans le sens du souvenir, d’où elle était venue, le museau au nord, tourné nord… la chienne bien fidèle d’une façon, fidèle aux bois où elle fuguait, Korsör, là-haut… elle est morte sur deux… trois petits râles… oh, très discrets… sans du tout se plaindre… ainsi dire… et en position vraiment très belle, comme en plein élan, en fugue