2017-02-Comparaison n'est pas raison

Date de publication : 5 févr. 2017 16:53:28

Comparaison n’est pas raison

En ce milieu de l’août, un désolant magazine me procure néanmoins le premier élément d’une correspondance inopinée. Un article abondamment illustré sur la Birmanie, les rives enchantées de l’Irrawaddy et Pagan plus précisément, la ville aux deux cent temples couronnés d’or… j’apprends qu’on pratique là une variante très particulière du bouddhisme, la branche Theravada dite « bouddhisme du Petit Véhicule ». Ah bon !

Or la veille, excédé par le manque de bouquins, épuisé par le minable polar à la Dickens qui depuis des jours fait mon ordinaire, je suis allé fouiner dans des cartons au garage pour finalement remonter trois ou quatre trucs jamais lus, dont un policier que j’attaque illico, Pierres de sang, (Prix du quai des Orfèvres 2000)… Et là, page 86, la surprise : « Le bouddhisme du Petit Véhicule, qui y est pratiqué, est une forteresse imprenable » (pour les missionnaires envoyés dans cette région.)

Un texte sens dessus dessous, dira-t-on… Sans queue ni tête ? Voire ! Des nécessités de mise en page m’obligent à ces contorsions chronologiques : les nombreuses citations qui vont suivre – déprimant florilège – sont extraites du livre d’un auteur « Grasset » dont je ne découvrirais la prose qu’après certains épisodes relatés ici ; seul le souci de ménager les capacités digestives du lecteur m’aura conduit à regrouper par petits paquets de dix les preuves de la cuistrerie de l’écrivain (pourtant consacré, par un prix Interallié notamment), la sidérante accumulation de comparaisons à vocation métaphorique plus éculées les unes que les autres.

p.17 « Elle m’observait comme une vieille chatte scrute un petit oiseau »

p. 25 « Ses éditos bien-pensants glissaient sur les sujets embarrassants comme les gondoles sur le Grand Canal »

p 32 « Les immeubles étaient jetés n’importe comment, plantés au hasard comme des poteaux électriques dans un no man’s land »

p 44 « Agitée comme un hanneton sous son abat-jour, Justine a lâché son dernier jet de venin »

p 51 « Et, quand il le voulait, méchant comme une botte d’orties… »

p 65 « Je me sens un peu comme un eunuque dans une orgie »

p 66 « Elle m’a dévisagé comme la mouette fixe la palourde »

p 76 « Un jour normal, j’aurais trépigné comme une grenouille dans la poêle à frire »

p 78 « On approchait l’un de l’autre comme l’escargot de la laitue »

p 90 « Dans ma vie rangée comme le linge sur une étagère, je ne pouvais que… »

« Richard croit en lui comme on croit en Dieu »

… De cette journée particulière, un moment phare : mon retour de Vergèze – azur beau fixe – entre 17 et 18h, les deux vitres ouvertes parmi ces collines, ces coteaux, cette route un peu mythique si souvent empruntée jadis et qui sinue à travers le vignoble des Costières de Nîmes alangui et repu… les airs jazzy de chansons de Brassens (enregistrés pour moi par Vince, à l’occasion de je ne sais plus quel anniversaire) sortent à tue-tête des haut-parleurs… le petit volant sport à peine tenu entre pouce et index de la main gauche, la Grenouille agrippée à la route. Plénitude…

Bon ! Prêts pour une deuxième rasade de lieux communs ?

p.93 « … monsieur le curé s’est prélassé dans ses phrases comme un chat dans son panier »

p.95 « Ses dents étaient claires comme la faïence et sa raie droite comme une rue »

p.98 « Ces stars passent parmi nous comme des autoroutes à travers la campagne »

p.100 « Richard n’a pas réclamé de précisions. Il est journaliste comme ma pantoufle »

p.104 « Les femmes parlaient d’une voix douce comme la soie »

p.105 « Du coup, je suis restée rivée à ma futilité comme la porte à ses gonds… »

p.107 « Mes idées m’échappaient comme l’eau s’enfuit entre les pierres »

p.108 « D’après la fille, la conscience de ce tueur était close comme les volets »

p.109 « Sur un ton sec comme le sable, je lui ai demandé comment elle savait qui j’étais »

p 110 « Chez ce genre de poupée littéraire, la morale et la parole sont comme la main et le gant »

p.119 « … elle pose sur moi un regard aiguisé comme un poignard »

« … elle passe parmi nous comme une tache de silence »

« Elle se tient entre nous comme la statue du Commandeur »

… un hasard (bienencontreux ?), plus efficient que force ni que rage, m’a fait tomber, au détour d’une étagère, sur un livre jusque là introuvable… Un Pierre Dominique de 1924, édition numérotée sur Vergé bouffant et dont il me faudra, à l’ancienne, découper les pages… Notre-Dame de la sagesse, un roman d’antan, qui a l’insigne mérite d’être écrit dans une langue parfaite. Echantillon (dans cette histoire de fous, il y a un asile, et dans l’asile, un bouc qui répond au nom de Sardanapale :

« L’esprit de l’un des plus sages a été d’enivrer Sardanapale avec des cerises à l’eau-de-vie, et maintenant le poil de la bête se hérisse ; elle galope par les jardins, encornant les fêtards, bousculant les couples qui s’épouvantent de cette forme puante vomie par la nuit . Son bêlement rauque affirme le diabolique de la chose. Et tout à l’heure, aux cacophonies des musiciens saouls, dressé sur la tribune, poussant le chef d’orchestre aux reins et chevauchant un trombone, le bouc fut l’objet d’une acclamation formidable, tandis que, mis en goût, il chargeait les groupes râlant de joie, que des affolements se propageaient sur les délires hérissés, et que, réfugiée sur une table, sœur Séraphine, d’une voix suraiguë, maudissait l’Esprit du Mal »

C’est en cette occurrence que, pour me changer des amours contrariées du diariste prestigieux, je m’empare de cet autre Grasset (2003, relativement récent mais jamais lu) : un roman, qui semble lisible… pour m’immerger dans son océan de comparaisons fatiguées… indigentes…

Encore une rasade ?

p. 129 « Prononcés d’une voix très calme, ses propos avaient l’air doux comme des dattes »

« Espérer sa mansuétude, c’était comme réchauffer une boule de neige »

p.131 « Il se comportait en ministre habile à jouer avec les mots comme un clown avec ses cerceaux »

p. 132 « Il se voyait déjà lové dans sa générosité comme dans un vieux manteau »

p. 158 « Elle se prélassait dans ses illusions comme dans un hamac »

p.178 « On le suit à distance comme un chalutier escorté par ses mouettes »

p.188 « On approche de la vérité comme l’escargot de la laitue, sans aucune hâte » (bis du 78)

p.189 « On aurait dit qu’il avait l’encéphalogramme plat comme le trottoir »

p.192 « Sa hargne s’était dissoute comme le sucre dans l’eau »

« La bouche sèche comme du talc, les narines raides comme le carton… »

p.202 « Pour lui faire peur, je lui suis tombé dessus comme une tonne de plomb »

p.206 « On ménage ces petits branleurs de banlieue comme s’ils étaient des loups »

p. 219 « A la veille d’un grand match, il avait besoin de ce souci comme d’une entorse »

p.224 « Je me répétais les aveux que je devais lui faire comme un disque rayé repasse »

… Un long tour d’horizon – le cher panorama matinal immuable se prélasse sous mon œil rêveur, la lumière très oblique réchauffe à peine les tuiles de la chapelle Saint-Vérédème si pudique au loin sous la branchette d’un pin qui en gomme un peu les contours charmants – avant que d’attaquer les exercices d’écriture… j’allais dire « rien ne bouge » mais ce qui était vrai il y a cinq minutes, déjà ne l’est plus et la brise se lève aux cimes ondoyantes des grands conifères… elle semble donner le top de départ au caquet d’une pie, au roucoulement ingénu de deux tourterelles, à l’aboi lointain d’un clébard… encore une minute, monsieur le bourreau !

Je tente d’éponger les fadaises du ventriloque comparatif avec la mort exemplaire de mon bouc : « Soudain […] Sardanapale parut de face, immobile comme un bouc d’airain. […]Comme le bouc se baissait pour encorner ce nouvel adversaire, le fou lui planta quatre doigts de lame dans le dos, cassant la pointe sur l’os. […] L’animal vint sur eux, au trot, avec dans le dos son couteau qui luisait, comme la flèche d’Apollon sur l’échine de Pan. L’incendie des feux de Bengale embrasa la ville, la foule se rua, les femmes râlèrent, se tordirent, au seuil des portes, sur la poitrine des hommes, et une immense huée éclata, joyeuse et puissante, claquant aux reins Sardanapale, et que les trois fuyards écoutèrent mourir comme le dernier hurlement de la géhenne. Thibaut voyait comme un point noir sur le pavé de la route, symbole incroyable de ce qu’ils abandonnaient, le bouc galoper sans espoir vers eux trois qui demeuraient silencieux, cernés par un grand rêve, et leurs âmes vêtues de blanc. »

Reprise et fin.

p. 235 « Ils jouent à la justice comme on joue à la poupée et ils ont tout faux »

p.236 « Ce mec s’allongeait sur les règles du jeu en société comme sur des draps »

p. 244 « C’était une fille ravissante aux dents blanches comme la porcelaine »

p. 249 « Il avait la voix tendue comme un gant de cuir sur une main de femme »

p.254 « Certains ont joué avec les principes comme des jongleurs avec leurs torches »

p. 283 « Personne ne vous demande d’être subtil comme un papillon »

« Rivée à sa grossièreté comme la lune à la terre, Pépé me fascinait »

« … ta vie enfermée dans les bonnes manières comme un cachet dans sa capsule »

p.287 « Pur et vif comme l’eau fraîche, il distribue des compliments… »

p.296 « Les combinaisons savantes sont comme un courant trop fort »

p. 301 « Sa copine […] collait à sa naïveté comme la limaille à l’aimant »

p. 302 « Elle jouait à la philosophie comme on joue à la poupée »

« Blanche comme la craie, elle expliquait avec des sanglots dans la voix … »

p. 303 « Tout ce pathos glissait sur lui comme l’eau sur une sirène »

p. 305 « Son regard s’était figé comme celui d’un acteur qui … »

p. 314 « Tu ressemble à un musulman comme une tulipe à un palmier-dattier »

p.319 « Fatima avait la tête encombrée comme un grenier mais n’osait y aller fouiller »

… Après qu’un lecteur patient ait ingurgité le moindre grain de cette infecte bouillie, de cette infâme écholalie, on comprendra que je taise encore l’état civil du scribe, par pure charité chrétienne – et c’est là pourtant, une qualité que je ne pratique en général qu’à reculons…. Ce qui me tue, dans l’histoire, n’est pas tant la nullité du style que la capacité de ce genre de prose à passer le crible, en théorie tatillon, du comité de lecture d’un éditeur prestigieux….