2016-10-Garantie décennale

Date de publication : 2 oct. 2016 08:39:21

Garantie décennale

Je me suis longtemps levé de bonne heure. A cette époque, qui précéda tout juste l’an 2000, j’aurai passé d’agréables moments, entre botanique et matière médicale, avec le séneçon – une petite plante dont le port va jusqu’à celui de l’arbrisseau – de la famille des Composées (notamment celle des arnicas, des tussilages et aussi des grindélias). Un petit végétal dont le nom vient du latin senecio, un diminutif de senex « vieux » (cf. sénescence et Sénat), et signifiant donc « petit vieillard ». L’amusant est qu’il a un cousin très proche – une variété botanique plus exactement – nommée érigéron (ou hérigéron), calque exact d’un mot grec décrivant un vieillard précoce [héri « tôt » et géron « vieillard »] ; tous deux ainsi nommés à cause des poils blancs dont la plante est recouverte au printemps… Poésie populaire quand tu nous tiens ! (Une autre espèce de séneçon, le S. Jacobaeus, dite jacobée ou herbe aux charpentiers, jouit de propriétés vulnéraires – mais les séneçons sont plutôt des emménagogues). Et je ris, plus tard, dans ma barbe : à bien y regarder, en médecine populaire, la moitié des plantes possède des vertus propres à faire venir les règles de ces dames quand l’autre moitié est consacrée à la lutte contre la paresse intestinale. Constipation ovarienne, constipation iléale…

« Moi qui sait désormais ce que les sénés sont

« Ceux d’Égypt’, de Tinevelly ou de Khartoum

« Et sans traîner y’a mon cœur qui fait boum

« Pour ces herbes à menstrues, tous mignons séneçons »

Vers de mirliton peut-être, alexandrins pourtant.

Cette tribu des Sénécionées (la famille des Composées renferme entre 10.000 et 11 000 espèces réparties en plusieurs tribus) se distingue de façon, elle aussi très poétique, de ses voisines par « leurs akènes à pappus formés de soies ou de poils ». L’akène est un fruit sec, et un pappus, ou pappe, est le terme botanique nommant une aigrette.

D’ailleurs, pas plus tard que dans les années 1500, le grand Olivier de Serres le disait déjà : « Senesson, garde sa fueille verte presque toute l’année, fleurit plusieurs fois, croist facilement en tous lieux, mesme ès les vieilles murailles, sans nul soin. »

L’immuable beau temps m’a poussé à faire l’emplette de deux cartes d’Espagne du Nord sur lesquelles j’ai tracé sans attendre l’itinéraire suivi à vélo par von Paulus en 1995, ce Camino francese si bien raconté par lui dans son Chemin à trois voix. On se prépare pour l’aventure, avec un départ imminent. Saint-Jacques-de-Compostelle n’a qu’à bien se tenir.

Un des proches voisins du séneçon – lorsque l’on explore comme moi, mot après mot, le dictionnaire – est sequin. Le sequin est un ducat qui aurait une origine arabe (d’un point de vue philologique). Comme le maravédis, mais en plus prestigieux. Le nom est un emprunt au vénitien zecchino, venu lui-même de l’arabe sikki « pièce de monnaie » (un dérivé de sikka « coin destiné à frapper la monnaie »). Les premiers sequins ont été frappés à Venise à la fin du 13ème siècle, sous le nom de ducato et, sur l’avers de la pièce d’or, on peut voir saint Marc, le patron de la cité, remettre au doge l’étendard chargé de la Croix.

D’ailleurs, à Venise, l’Hôtel des Monnaies s’appelle la Zecca (cf. l’anc. provençal seca, même sens). Littré nous dit que cette monnaie d’or avait cours en Italie où sa valeur était de douze francs et aussi en Égypte – avec une valeur deux fois moindre. Pour savoir ce qu’en vaut l’aune, disons que le napoléon, la pièce d’or de vingt francs frappée en 1858, vaut environ cent cinquante euros.

« Et d’un, pièce d’or désabusée, sequin

« De deux, vide-poche à ducats, troussequin.

« À trois, poursuivi, il s’enfuit, Arlequin

« Quarto, empereur fatigué, Charles Quint »

Le camino est à l’eau : Sept heures du matin, jour de l’appareillage, nuit noire, le sourd tic-tac des gouttes de pluie vient doubler celui d’un réveille-matin éloigné. L’aube viendra éclaircir à pas de loup un ciel plombé et bas, gris comme une désespérance. Ne reste plus qu’à faire ses choux gras avec les mythes grecs chers à Jean-Pierre Vernant et les perspectives psychanalytiques qu’ils ouvrent – Ouranos qui couvre Gaïa en permanence, empêchant l’enfantement ; sa castration par Chronos, son fils, un gros avaleur de progéniture, Zeus mis à part, que sa maman expédie grandir caché en Crète.