2016-07-Raie culière et clergé séculier

Date de publication : 31 juil. 2016 16:50:58

Raie culière ou clergé séculier

… Une histoire comme je les aime, avec pour point de départ un prétexte tout à fait futile et dont je me suis longtemps demandé s’il me faudrait une introspection de la taille et de la longueur d’une analyse freudienne pour le débusquer. La chose était simple pourtant, mais minuscule. Je ne la voyais pas quand – telle une lettre de Poe – je l’avais sous le nez, devant les mirettes.

Il s’agissait d’un fessier majuscule et rien moins que gracieux, plus agité qu’une muleta sous mon regard de toro exténué et blasé, l’espace d’une longue, trop longue cohabitation de trois fois 24 heures. Ce fessier tonitruant en ré (oserais-je en raie majeure ?), je l’avais alors qualifié de « popotin », sachant bien que le mot était un peu mièvre, à peine taquin question calibre, sous-dimensionné en somme, euphémique, vraie litote… il vous eût fallu le voir – la propriétaire de l’engin en tenue légère à son petit lever –, complaisamment étalé sur des cuisses comme des jambons, prolongées de mollets-jambonneaux, membres inférieurs de percheronne ou de boulonnaise…

En bref (mais c’est, bien sûr, façon de parler), depuis une forte quinzaine, c’était tafanari que je cherchais sans le savoir. Avec l’impression d’un manque existentiel, j’errais sans appétit, je me mourais à petit feu, en un mot comme en cent, m’anémiant à bas bruit. Qu’on veuille bien me comprendre, éventuellement compatir… J’ignorais le sens de ma quête et jusqu’à son motif. Spleen baudelairien, déréliction, morosité chlorotique s’ensuivaient.

Lors, sans crier gare, sans gong ni tocsin annonciateur, tafanari s’en vint et j’en fus tout émoustillé, encore que je n’eusse point alors, relié le terme à mon angoisse passée. Mais, désormais, j’avais un os à ronger, m’en allant incontinent quérir une provende habituelle en généreux dictionnaires et autre indispensable Toile.

Aidé en cela par une coïncidence aussi phénoménale que l’arrière-train plus haut évoqué, puisque le jour même, un quotidien annonce la diffusion d’une émission “spécial gros joufflu” sur une chaîne binationale, tandis qu’un autre, agrémenté d’une photographie suggestive et d’un bandeau à l’avenant, se complait à renchérir. Plaisantes délices d’un sujet qui pourrait vite s’avérer scabreux… S’il n’était compensé par la rencontre avec la superbe Vénus illuminant le jardin des Tuileries, sculptée entre 1683 et 1686 par Francis Barois et dont un sculpteur sacrilège s’appliqua à dissimuler l’adorable fessier sous un voile arachnéen. Mutine et innocente, elle admire le tombé de sa croupe par-dessus son épaule droite. Perfection des courbes sans la moindre opulence superflue. Et déjà, La Fontaine :

« Du temps des Grecs, deux sœurs disaient avoir

Aussi beau cul que filles de leur sorte ;

La question ne fut que de savoir

Laquelle des deux dessus l’autre l’emporte ».

Absolue callipyge, l’enfant…

Un quatrain auquel fait écho ; l’ami Georges (Brassens, évidemment, qu’on n’entend plus)

« Que jamais l’art abstrait qui sévit maintenant

N’enlève à vos attraits ce volume étonnant

Au temps où les faux-culs sont la majorité

Gloire à celui qui dit toute la vérité ».

Or les culs, chez Larousse, font florès, surtout les composés. En ces temps (cf. Vertiges de la liste d’Umberto Eco) où les listes sont à l’honneur, je n’y puis résister :

Cul-de-basse-fosse, cul-de-four, cul-de-jatte, cul-de-lampe, cul-de-porc, cul-de-poule (en), cul-de-sac

Qu’on veuille bien noter, pour la petite histoire, que tous ces culs prennent un s au pluriel, sauf « cul-de-poule (en) » qui reste invariable.

Avant d’abandonner le rayon académique de ces nobles postérieurs, je me vois obligé de mentionner une erreur assez courante : non, un « fesse-mathieu » n’est pas une personne commémorant une mémorable fessée administrée aux débuts du christianisme au futur saint Matthieu, le célèbre évangéliste. Un pan-pan cucul iconoclaste et irrévérencieux, voire sacrilège… C’est simplement un usurier, ainsi nommé depuis le moyen âge en raison de la réputation qu’avaient ces mauvais prêteurs de bousculer ce saint, patron des changeurs, pour en tirer de l’argent.

« … et il faut essuyer d’étranges choses lorsqu’on est réduit à passer, comme vous, par les mains des fesse-mathieux ». Molière, L’Avare.

Enfin, pour qui serait intéressé par l’aspect canonique des Écritures, signalons que le même saint Matthieu s’est vu affligé d’une controverse digne de celle dite de Valladolid. C’est la controverse dite “des deux sources” (rien à voir avec le Nil blanc et le Nil bleu) : son évangile, longtemps considéré le plus ancien et dont saint Marc se serait inspiré, vient aujourd’hui en second dans la théorie des deux sources que suivent la majorité des exégètes et c’est désormais l’évangile du second qui fait la course en tête, reléguant cet Anquetil des textes sacrés au rang d’un quelconque Poulidor. Deux avanies posthumes pour le saint homme…

Mais je me suis encore éloigné… à peine mon tafanari retrouvé…

Il semble bien y avoir deux pistes, une espagnole et une italienne, à ce mot qui, en occitan, décrit le cul et spécialement celui de Fanny (à la pétanque, celui qu’on embrasse lorsqu’on n’a marqué aucun point au cours d’une partie – un rite à l’origine un peu fumeuse, qui aurait pris naissance dans le quartier de la Belle de Mai à Marseille).

L’espagnole – un tafanario « partie postérieure du corps » – serait dérivée de l’arabe tafar ou thafar « croupière » et l’italienne – un même tafanari, de tafano, dérivé de tabanus [notre taon] à cause de la désagréable habitude de cet insecte de piquer les fesses humaines.

Sur ma lancée, me voici tenu de livrer une seconde liste, celle-ci plus étoffée, cet organe postérieur plus ou moins impur, mais toujours convoité, ayant à l’évidence excité au-delà du concevable la verve langagière de notre peuple gaulois :

« Derche [ou derge] (une variante argotique de « derrière », pétard, la famille fion, troufignon et troufion, la tribu figne, fignedé, fouignedé et fouignedarès, croucougnous et bigoudoche, bavard et joufflu, le célèbre miches et le plus timide moutardier, panier, pétrousquin et pétoulet (je crois me souvenir qu’on surnommait ainsi le coureur automobile des années 50, Maurice Trintignant, peut-être en raison de ses difficultés supposées à rentrer son cul dans le baquet de sa Formule 1), et aussi les jumeaux – mais ces rondeurs sont jumelles – prose et prosinard, et pour terminer, popotin d’origine inconnue (peut-être par redoublement plaisant de « pot » pour « postérieur ». Un clin d’œil pour finir, la mignonne allitération d’un plumitif TV et commentateur occasionnel d’une fameuse émission :

« Ces petites copines au popotin papotant ».