Dessins d'enfants,

 par Leila Schneps

 (11 décembre 2013)

(page en travaux)

"ce continent nouveau qu’une remarque triviale sur un dessin d’enfant m’avait fait entrevoir..."

A. Grothendieck, Récoltes et Semailles, p. 307

Leila Schneps est membre de l'équipe Analyse Algébrique (Institut de Mathématiques de Jussieu).

La citation mise en exergue est extraite d'un passage relatif à une découverte au sujet des cartes cellulaires :


(une découverte au sujet des cartes cellulaires) a été le point de départ et le premier matériau de cet autre rêve mathématique, de dimensions comparables à celui des motifs, qui a commencé à prendre forme seulement trois ans après (janvier-juin 1981), avec "La Longue Marche à travers la théorie de Galois". Ces notes et d’autres de la même période (dans les deux mille pages manuscrites) constituent une toute première tournée à travers ce "continent nouveau" qu’une remarque triviale sur un dessin d’enfant m’avait fait entrevoir...

A. Grothendieck, Récoltes et Semailles, p. 307

(avec référence à l'Esquisse d'un programme, §3)


Introduction : dessins d'enfants, sphère privée de trois points, groupe libre à deux générateurs et groupe de Galois absolu.

Les dessins d'enfants sont des sortes de graphes. Ils sont en bijection avec les classes de conjugaison des sous-groupes d'indices finis du groupe fondamental de la sphère de Riemann privée de trois points (= groupe libre à deux générateurs, noté ici F2).

Classes de conjugaison des sous-groupes de G

On définit une relation d'équivalence entre les sous-groupes A, B, ... d'un groupe G en posant A~B si et seulement s'il existe g dans G tel que B = g A g-1. Les sous-groupes d'une même classe sont isomorphes, et la classe d'un sous-groupe distingué se réduit à celui-ci.

sous-groupes d'indices finis

Si H est un sous-groupe de G, l'indice [G:H] de H dans G est le cardinal de l'ensemble des classes d'équivalence xH de la relation d'équivalence y–1z ∈ H (et on peut aussi bien prendre les classes à droite, ça donne la même chose).

Lorsque cet indice est fini, on dit que H est un sous-groupe d'indice fini de G.

Les générateurs canoniques du  groupe fondamental de la sphère privée de trois points (figure de Leonardo Zapponi)


Le groupe de Galois absolu GQ agit sur les dessins d'enfants

Le point de départ de Grothendieck avec les dessins d'enfants est le désir de comprendre le groupe de Galois absolu.

C'est un très mystérieux groupe profini, énorme, dont on conjecture qu'il donne comme quotients tous les groupes finis.

Groupe de Galois absolu

Le groupe de Galois absolu d'un corps est le groupe de Galois d'une clôture séparable de ce corps, autrement dit, en caractéristique nulle, de la clôture algébrique. C'est un groupe profini. Le groupe de Galois absolu de ℝ est ℤ/2ℤ, celui d'un corps fini est le complété profini de ℤ. Dans le contexte de cet exposé, le groupe de Galois absolu est celui du corps des rationnels, Q : 


.

(Voir aussi : Yves André," idées galoisiennes", p. 4

 

Le point de vue adopté par Grothendieck n'est pas celui, usuel, de l'action de GQ sur les nombres algébriques, mais plutôt de l'action de GQ sur d'autres groupes : les groupes fondamentaux de variétés définies sur Q.

En particulier, le groupe de Galois absolu se réalise comme groupe d'automorphismes de beaucoup d'autres groupes définis par générateurs et relations. Et finalement, Grothendieck s'est rendu compte --- avec grande joie --- du fait que

le groupe de Galois absolu agit sur ces choses tellement simples que sont les dessins d'enfants...

... et cela, en plongeant GQ dans le groupe des automorphismes (non pas du groupe fondamental de la sphère privée de trois points, mais) du complété profini du groupe fondamental de la sphère privée de trois points

Grosso modo, le complété profini est, la limite inverse (= limite projective) des quotients finis.

Selon Colas Bardavid : 

Le complété profini d’un groupe G,

 muni du morphisme canonique, 

mesure ce qui dans G peut se tester

via des groupes finis

On prend en effet le complété profini du fait d'un résultat souvent utilisé dans cet exposé, à savoir qu'un revêtement fini d'une courbe définie sur Q est défini sur un corps de nombres (donc d'extension finie)

Un "corps de nombres" est une extension finie K du corps ℚ des nombres rationnels.

Un revêtement fini d'une courbe elle-même définie sur Q est défini (sur , mais en fait) sur un corps de nombres (d'extension) fini(e), car une courbe (algébrique sur Q) est définie par des polynômes, dont les coefficients engendrent une extension finie.

On laisse donc de coté le revêtement universel : en regardant uniquement les revêtements finis, on voit surgir l’arithmétique (les corps de nombres).

C'est le lien entre la géométrie et l'arithmétique !

On voit alors que les automorphismes du complété profini du groupe fondamental de la sphère privée de trois points permutent les dessins d'enfants.

En effet, les quotients finis de   étant les mêmes que les quotients finis de  , les sous-groupes d'indices finis du premier correspondent aux sous-groupes d'indices finis du second (= sous-groupes ouverts, par définition), et puisque les automorphismes de en permutent les sous-groupes d'indices finis, ils permutent les dessins d'enfants !

D'où l'action du groupe de Galois absolu sur les dessins d'enfants (l'existence de cette action est assez facile à comprendre, mais sa réalité est très difficile à saisir concrètement)

Un dessin est associé à un(e classe de conjugaison de) sous-groupe(s) du groupe fondamental, donc à un revêtement fini (défini sur un corps de nombres) étale (= non ramifié) de la sphère privée de trois points, donc à un revêtement ramifié aux trois points {0, 1 , infini}

Et ce revêtement a une structure analytique, c'est une courbe algébrique (nous ne sommes plus dans la topologie, mais dans la géométrie)

Ainsi, un dessin d'enfant contient toutes ces informations (le corps de nombres, la courbe algébrique...)

Conclusion de l'introduction de l'exposé : le but de Grothendieck est de trouver des invariants (idéalement combinatoires) qui déterminent les orbites galoisiennes (i.e. les orbites des dessins d'enfants sous l'action du groupe de Galois absolu)

Reférence: A. Grothendieck, Esquisse d'un programme (1983)

Question (de notation) : retour sur pourquoi le groupe fondamental de la sphère privée de trois points est le groupe libre à deux générateurs, noté ici F2

Topologie

Définition des dessins d'enfant

Les sept dessins d'enfants de degré 3 (schémas réalisés par Leonardo Zapponi)

Correspondances bijectives entre trois points de vue [1. dessins, 2. algèbre, 3. topologie]

1) les dessins d'enfants 

2) les (classes de conjugaison des) sous-groupes d'indice fini du groupe libre F2 

3) les revêtements finis de la sphère ramifiés aux dessus de trois points

Question et remarque : X2 est déterminé par l'inclusion de X0 dans X1

X2 est déterminé par l'inclusion de X0 dans X1 (suite)

Dessins et Revêtements en bijection [de 1 vers 3]

Comment un dessin d'enfant définit un revêtement topologique (notion 1 vers notion 3)

Revêtements et Sous-groupes en bijection [de 3 vers 2]

(Rappel : les revêtements de la sphère privée de trois points sont en bijection avec les sous-groupes de F2)

La sphère privée de trois points est un plan réel privé de deux points, 

qui se rétracte en (S1 v S1), dont le groupe fondamental est F2,

et dont voici quelques revêtements et leurs groupes fondamentaux, 

sous-groupes de F2 (schémas extraits de Algebraic Topology d'A. Hatcher)

 

Quelques revêtements de S1 V S1 (et leurs groupes fondamentaux)

Pour des rappels sur l'opération du groupe fondamental sur les revêtements, voir par exemple

Michèle Audin : http://www-irma.u-strasbg.fr/~maudin/courstopalg.pdf (p. 68)

François Labourie : http://www.math.u-psud.fr/~labourie/preprints/pdf/groupfond.pdf (p. 36)

Allen Hatcher, http://www.math.cornell.edu/~hatcher/AT/ATch1.pdf (p. 58)

Ce qui est représenté ici, 

c'est le groupe libre à deux éléments...

ou bien le revêtement universel de S1 V S1 ?

Annonce : les revêtements (finis) de la sphère privée de trois points sont en bijection avec les sous-groupes (d'indice fini) de F2

Quelques revêtements finis de S1 v S1

(schémas de Hatcher)

Rappel : F2 est le groupe fondamental de la sphère privée de trois points

 Voir ci-dessus le schéma de Leonardo Zapponi.

Rappel (de "maths sup") : le revêtement universel de la sphère privée de trois points s'identifie au demi-plan de Poincaré.

Le demi-plan de Poincaré, H, est l'un des modèles usuels de la géométrie plane hyperbolique.

La même géométrie peut être représentée par le disque de Poincaré

Dessin pour les enfants de Bill Amend

On identifie F2 à un groupe  Γ(2)  engendré par deux matrices carrées 2x2 :

Ce qui permet de faire agir F2 sur le demi-plan de Poincaré H (donc sur le revêtement universel de la sphère privée de trois points).

Dès lors, la sphère privée de trois points s'identifie au quotient H\Γ(2)

(l'espace considéré est en bijection avec l'ensemble des fibres du revêtement, sur chacune desquelles le groupe en question agit transitivement, de sorte que les classes de cette action sont précisément les fibres du revêtement, donc s'identifient aux points de l'espace en question.)

Et plus généralement, les revêtements finis de la sphère privée de trois points, ou plutôt les revêtements de la sphère qui sont ramifiés au-dessus des trois points, sont de la forme H\N avec N sous-groupe d'indice fini de F2

Demi-plan de Poincaré H sous l'action de Γ(2), sous-groupe de SL2(Z), et même du groupe modulaire PSL2(Z), avec pour domaines fondamentaux les pavés (du pavage) de Farey

En géométrie, un domaine fondamental pour l'action d'un groupe sur un ensemble E est une région de E dont les images par l'action du groupe forment une partition de E. C'est donc un domaine contenant exactement un point par orbite du groupe.

Wikipedia, domaine fondamental

Pavages de Dedeking et de  Farey-Ford

(Selon les auteurs, il y a semble-t-il des variantes entre "pavage de Dedekind" et "pavage de Farey", dans le demi-plan ou dans le disque, mais ces constructions restent très voisines.)

L'indice de Γ(2) dans PSL2(Z) est 6 (donc 6 pavés "modulaires" donnent un pavé de Farey).

Sous-groupes et Dessins en bijection [de 2 vers 1]

Ceci est expliqué sur un exemple de sous-groupe d'indice fini du groupe libre à deux éléments, à partir duquel on définit un dessin d'enfant.

Drapeaux. 

Remarque : réciproquement, lecture du sous-groupe sur le dessin ?

Géométrie et arithmétique

On munit la sphère de sa structure analytique de sphère de Riemann : c'est une courbe algébrique sur la clôture algébrique de Q

Action du groupe de Galois absolu sur les dessins d'enfant

Utilisation des revêtements finis (à défaut de pouvoir directement faire appel au revêtement universel) : compositum de tous les corps de fonctions sur ces revêtements finis. Complété profini de F2.

Chaque dessin d'enfant correspond à une courbe algébrique.

Théorème de Belyi

(là, ma caméra n'avait plus de batterie, alors j'ai filmé avec mon téléphone. Evidemment, c'est moins bien)

Action du groupe de Galois absolu sur les dessins d'enfant

Théorème : le groupe de Galois absolu agit fidèlement sur les dessins d'enfants

Références

Les "dessins d'enfants" sur Wikipedia.

Esquisse d'un programme (1983), Alexandre Grothendieck.

The Grothendieck Theory of Dessins d'Enfants, edited by Leila Schneps, Cambridge University Press (1994)

fleurs de Leila,

figures extraites de la thèse (1997) 

de Louis Granboulan :

Alexandre Grothendieck

 et Jean-Pierre Serre

en 1961

Prise de vue, mise en page, etc. : S. Dugowson