Catégories supérieures et catégories stables, par Mathieu Anel (5 mai 2015)

Mathieu Anel, Université Paris Diderot - CNRS

Prise de vue et mise en page : S. Dugowson

Cet exposé fais écho à celui de Jean-Pierre Marquis sur les catégories triangulées

Introduction : les catégories stables, une généralisation supérieure des catégories triangulées

Relire la construction des catégories triangulées dans le paradigme des catégories supérieures

Certaines choses deviennent plus simples lorsqu'on accepte des objets plus compliqués

Des catégories abéliennes à l’émergence des catégories stables

Première étape : de l'algèbre homologique aux catégories abéliennes

Développement de cohomologies : dialectique entre les suites exactes courtes (SEC) et les suites exactes longues (SEL)

L'image par un foncteur d'une SEC n'est pas, en général, une SEC...

... mais, en pratique, on peut prolonger cette image en une SEL.

Trouver les hypothèses sur les foncteurs permettant de construire ces SEL

Les résolutions, une recette pour ces constructions 

Exemples : Pour le produit tensoriel par A, on obtient Tor (A, -). Pour Hom(A,-), on obtient Ext (A, -)

Foncteurs dérivés, objet central de la cohomologie

Référence : Eilenberg et Steenrod (1945)

Eilenberg, Samuel; Steenrod, Norman E. (1945). "Axiomatic approach to homology theory". Proc. Nat. Acad. Sci. 31: 117–120

https://en.wikipedia.org/wiki/Eilenberg%E2%80%93Steenrod_axioms

Point de vue classique : il s'agit de groupes abéliens, ou plus généralement de modules sur des anneaux.

Les résolutions y apparaissent comme un intermédiaire technique

Axiomatisation des foncteurs dérivés avec la notion des catégories abéliennes 

Deuxième étape : catégories triangulées, un changement de point de vue sur les objets

Une catégorie triangulée est une catégorie dotée d'une structure supplémentaire. De telles catégories ont été suggérées par Alexander Grothendieck et développées par Jean-Louis Verdier dans sa thèse de 1963 pour traiter les catégories dérivées.

Wikipedia, Catégories triangulées

Référence

Des Catégories Dérivées des Catégories Abéliennes, Jean-Louis Verdier (1963). Thèse publiée en 1996 dans Astérisque n°239.

Ulm, Promo 1955.

On reconnait plusieurs jeunes apparentés à Bourbaki : Michel Demazure, Jean Giraud, Jean-Louis Verdier...

(Jean-Pierre Changeux, lui, déjà, regarde ailleurs)

Les complexes de chaînes "ontologisent" les résolutions 

Les résolutions ne sont plus uniquement un truc technique

Les modules sur un anneau ne sont plus les objets centraux

L'objet et sa résolution deviennent de même nature

Le prix à payer : les complexes de chaînes sont remplacés par leur type de quasi-isomorphisme

Les "bonnes" structures sont les structures dérivées, pas celles qu'on dérive

Exemple : on part de la catégorie A-Mod des A-modules...

La catégorie dérivée D(A) est la catégorie des types de quasi-isomorphisme des complexes de chaînes

Le foncteur de plongement de A-Mod dans  D(A) est pleinement fidèle, mais il ne commute pas aux (co)limites

La "bonne" catégorie est D(A), et non pas A-Mod.

Les bons foncteurs se révèlent alors être les foncteurs triangulés entre catégories triangulées

Unification des foncteurs dérivés au sein du foncteur dérivé total

Pour Grothendieck, les catégories abéliennes n'auraient été qu'un échauffement en vue des catégories triangulées...

... puis viennent les dérivateurs, puis les catégories supérieures.

Qualités... et gros défauts des catégories triangulées

La notion de catégorie triangulée est très efficace, mais...

... elle n'est pas intuitive (que sont vraiment ces triangles ?) et...

elles ont un grand défaut : les catégories de foncteurs triangulés ne sont pas les bonnes.

Exemple donné par Verdier : problème de la fonctorialité de l'extension d'un morphisme par un triangle.

Il n'y a pas de bonne catégorie de diagrammes dans une catégorie triangulée

Une catégorie dérivée D(A) n'a en général ni limites ni colimites (contrairement à Mod-A)

Il faut trouver une "bonne catégorie de diagrammes"

Pour comprendre cette difficulté, on peut revenir à la théorie de l'homotopie des espaces où le problème saute aux yeux

La bonne catégorie de diagrammes

Prendre les diagrammes de complexes de chaînes puis inverser les quasi-isomorphismes

Adjonctions entre cette catégorie de diagrammes et la catégorie dérivée

Limites et colimites homotopiques

Explication sur un exemple dans le cas de l'homotopie des espaces

(Calcul d'une fibre homotopique d'un morphisme continu : exemple trop simple)

Sur l'exemple d'un co-égalisateur réflexif, on a deux catégories différentes :

(a) Les diagrammes réflexifs dans la catégorie homotopique des espaces 

(b) La catégorie homotopique des diagrammes réflexifs d'espaces

Conditions de commutation :

 (a) à existence d'une homotopie près, 

(b) avec un strict choix d'homotopie près

C'est ce choix dans le cas (b) qui explique le problème de non-fonctorialité

Troisième étape : les dérivateurs

Un dérivateur remplace une catégorie triangulée par une extension

Une théorie 2-catégorique

Le problème d'avoir les bons foncteurs n'est toujours pas résolu

Notion de co-continuité

Distributeurs

Quatrième étape : differential graded categories (dg catégories)

Catégories enrichies en complexes de chaînes

A. I. Bondal, Mikhail Kapranov, Enhanced triangulated categories, Матем. Сборник, Том 181 (1990), No.5, 669–683 (Russian); transl. in USSR Math. USSR Sbornik, vol. 70 (1991), No. 1, pp. 93–107, (MR91g:18010) : Bondal-Kapranov Enhanced triangulated categories pdf

Cinquième étape : catégories supérieures

Localisation de Dwyer-Kan L(C,W) :  "Hammock localization" 

On  part d'une classe W de flèches d'une catégorie C

W : les équivalences faibles

Localisation classique C[W-1] : inversion des équivalences faibles 

Pour L(C,W), on considère les zigzags avec flèches "dans le mauvais sens" appartenant à W

Les morphismes sont alors des classes d'équivalence de tels zigzags définis par des "hamacs"

Pour un domaine x et un codomaine y donnés, ces classes forment le π0 d'un ensemble simplicial dont le type d'homotopie est non trivial

La localisation L (C,W) est une catégorie enrichie sur les ensembles simpliciaux

Exemple 1 : s'il y a un calcul des fractions, l'ensemble simplicial des hamacs est simplement le nerf de la catégorie des fractions

Exemple 2 : C = Top, et W = équivalences faibles, on retrouve le type d'homotopie de X

On rencontre ainsi des homotopies entre flèches, des homotopies entre homotopies, etc...

Les catégories supérieures surgissent ainsi naturellement

L (C,W), catégorie enrichie sur les ensembles simpliciaux, doit être regardée comme une catégorie supérieure

Cat = 1-Cat : catégorie des catégories

∞-Cat : catégorie des catégories supérieures

Adjonction 1-troncation / inclusion entre ∞-Cat et Cat

La localisation de Dwyer-Kan L (C,W) s'interprète comme localisation universelle dans ∞-Cat

La localisation classique C[W-1] est la 1-troncation de L (C,W)

C'est dire que l'universalité doit davantage être cherchée au niveau de l'∞-Cat  L (C,W)

Catégories stables

Calculer l'objet L(C(A), qis) avec la théorie des catégories de modèles de Quillen (CMQ)

Cet objet est une ∞-Cat dont la troncation est D(A), qui est triangulée

Définition des ∞-catégories stables :

1) Elles sont pointées (objet nul), 

2) existence des limites et colimites finies (au sens homotopique), 

3) les carrés commutatifs sont cartésiens ssi ils sont cocartésiens

La théorie des catégories stables n'a aucun modèle non-trivial dans les 1-catégories

Les modèles doivent être cherchés en dehors des catégories ordinaires 

Une excellente justification de l'intérêt des catégories supérieures

Quelques références 

Verdier

Des Catégories Dérivées des Catégories Abéliennes (1963). Thèse publiée en 1996 dans Astérisque n°239.

Quillen

Homotopical Algebra. Lectures Notes in Mathematics 43. SpringerVerlag, Berlin and New York, 1967.

Grothendieck

A la poursuite des champs (1983)

André Joyal 

The theory of quasi-categories and its applications, lectures at CRM Barcelona February 2008. 

Texte disponible sur : http://mat.uab.cat/~kock/crm/hocat/advanced-course/Quadern45-2.pdf.

Carlos Simpson, Bertrand Toën, Gabriele Vezzosi,...

Jacob Lurie

Higher topos theory, Annals of Mathematics Studies 170, Princeton University Press (2009).

L'exposé du 21 mars 2015 de  Denis Charles CISINSKI au séminaire Bourbaki propose également une introduction aux infini-catégories :

Epilogue : lien avec l'axiome de l'octaèdre

Triangles distingués dans la catégorie stable L(C(A),qis) 

L'axiome de l'octaèdre explique comment calculer le triangle associé à la composée de deux morphismes

Théorème (J. Lurie) : la 1-troncation d'une infini-catégorie stable est triangulée

Questions

Exemple : infini-catégorie des spectres

Les infini-catégories considérées ici sont non strictes. Ce sont des (∞,1)--catégories.

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