L'instant, la durée, l'intemporel : enjeux d'interaction

(une rencontre mathématique, philosophique et musicale)

Séminaire Mamuphi

Samedi 6 avril 2019

  

10h00-13h15, Salle Stravinsky

14h45-16h00, Salle Shanon

IRCAM

1, place Igor Stravinsky 75004 Paris

Site officiel du séminaire Mamuphi

http://www.entretemps.asso.fr/2018-2019

***

Présentation

L’instant est le lieu paradoxal de notre expérience de la durée :  si la durée contient en quelque sorte les instants qui la composent ou la bordent, elle n’est elle-même perçue que depuis l’unique instant --- maintenant ! --- où se déroule toute notre existence. En lui se réalisent dès lors des dynamiques aux temporalités des plus variées qui, lorsqu’elles entrent en interaction mutuelle, y trouvent en outre le moyen concret de leur nécessaire synchronisation. Or, dans le jeu des interactions, voici que, paradoxe supplémentaire, se révèle parfois, où la durée s’annule, comme une essence intemporelle de l’instant.

Chacun des intervenants de la matinée --- un mathématicien (Stéphane Dugowson), deux philosophes (Pierre Michel Klein et Kim HyeYoung), un musicien (Nils Thornander) et une cantatrice (Géraldine Ros) --- est alors appelé à interpréter librement, avec ses références et sa sensibilité, les termes de ce double paradoxe : l’instant, la durée et l’intemporel y seront ainsi les enjeux d’une “conférence-performance” issue des interactions réelles ou imaginaire qu’ils noueront avec eux-mêmes, avec les disciplines où ils évoluent, travaillent et s’expriment, avec le public et les participants du séminaire Mamuphi, mais aussi avec tout élément visible ou invisible de l’Univers susceptible de s’y trouver.

Après une courte présentation par S. Dugowson de sa théorie mathématique des “lax-dynamiques ouvertes en interaction”, le métaphysicien P. M. Klein présente sa théorie de l’instant en considérant tout particulièrement l’instant de naître et l’instant de mourir. Kim H.Y. aborde ensuite plus spécifiquement la question de la musique, là encore du point de vue d’une réflexion métaphysique sur le temps. Dans le dernier et court exposé de la matinée, S. Dugowson revient sur sa théorie pour quelques commentaires philosophiques. Avant et après chacun de ces exposés, N. Thornander et G. Ros interviennent musicalement, selon le programme précisé ci-après.

A la fin de chaque exposé de cette matinée au timing plutôt serré, quelques minutes seulement sont prévues pour répondre aux questions, mais un espace plus important de discussion est inscrit au programme de l’après-midi, qui débute par un exposé mathématique de S. Dugowson consacré aux aspects connectifs de l’interactivité, thème étroitement lié à ceux du matin.

Les questions qui ne pourront pas être posées le matin pourront donc l’être l’après-midi et, vraisemblablement, au cours du déjeuner pour ceux qui se rendront ensemble, selon la tradition, dans l’un des restaurants du quartier.

Programme de la journée

Matinée (10h00-13h15, Salle Stravinsky)

Les cinq dernières minutes de chaque exposé du matin

sont réservées aux questions,

une plus large discussion étant prévue l’après-midi

10h00 - 10h05 Ouverture, par François Nicolas

10h05 - 10h10 Présentation de la journée, par S. Dugowson

10h15 - 10h20 Tic-Tack-Tic (1), par N. Thornander

« SYMPHONIE MONOTON-SILENCE » d’Yves Klein, en version électroacoustique, jouée par les instruments IRCAM et Vienna Strings programmés sur ordinateur.

Elle est composée de deux parties: d'abord une séquence continue d'un seul accord, un ré majeur répété pendant une durée de vingt minutes, puis un silence absolu de même durée. En réalité, elle est souvent raccourcie ou allongée, selon des indications données par Klein lui-même. Elle sera de 5 minutes (soit 150 secondes de silence). L’orchestre de chambre et le choeur mixte doivent produire l'accord sans interruption audible. Les instruments réels, numérisés par l’IRCAM, sont ici utilisés pour produire une nouvelle version de cette oeuvre très rarement jouée (moins d’une dizaine de fois depuis sa création).

Le silence qui suit la tenue de l’accord est certainement l’aspect le plus frappant de cette pièce. On pourra ainsi mesurer sa différence avec « l’impossible silence » imaginé par John Cage pour 4’33’’ que l’on entendra plus tard au cours de cette matinée.

Participation possible du public pour chanter le Ré majeur.

Possibilité de projection vidéo.

10h20 - 10h40 Lax-Dynamiques Ouvertes en Interaction (une brève introduction), par S. Dugowson

Élaborée depuis plusieurs années, il s’agit d’une théorie systémique dans laquelle l’interaction entre des dynamiques en général non déterministes possédant chacune son propre moteur catégorique (une petite catégorie quelconque dont les flèches représentent les durées) et son horloge (une dynamique déterministe dont les états représentent les instants) produit de nouvelles dynamiques qui les englobent et qui peuvent à leur tour entrer dans de nouvelles interactions. L’aspect “lax” de ces dynamiques a été rendu nécessaire pour des raisons techniques, il a pour conséquence inattendue de rendre intéressantes, car “influençables”, les dynamiques dont le moteur est réduit à zéro, que nous diront intemporelles.

Un article en anglais est en cours de rédaction, mais plusieurs textes et d’autres présentations se trouvent dors et déjà sur le site  https://sites.google.com/site/dugowsonrecherche, en particulier : 

Dynamiques en interaction : une introduction à la théorie des dynamiques sous-fonctorielles ouvertes. Août 2016  <hal-01357009>

10h40 - 10h45 Tic-Tack-Tic (2), par N. Thornander

« ABSOLUTE VALUE », (1er extrait de 5 minutes en Fa, correspondant à l’heure de son exécution dans la salle Stravinsky à l’IRCAM) de Nils Thornander, pour 96 synthétiseurs virtuels dont les paramètres (fréquence, enveloppe etc.) sont en constante évolution.

Il s’agit d’un fleuve sonore d’une durée de 24 heures où les 12 tons de la gamme chromatique se suivent toutes les 60 minutes en ordre ascensionnel puis descensionnel. Les changements de tonalité surviennent à chaque heure, comme sur le cadran d’une horloge, démarrant à minuit par un Sol et s’achevant sur un Fa# 24 heures plus tard.

« ABSOLUTE VALUE » superpose des ondes générées sur ordinateur dont les tempos différents, les ralentissements et accélérations permanents sont encadrés par la régularité sous-jacente de la seconde (tempo noire à 60). L’évolution continue des timbres engendre des dissonances et des consonances formant un nuage de textures acoustiques autour du pôle affirmé de sa tonalité. L’idée de cette pièce, commencée en 2014, est de proposer la métaphore d’un cerveau en train de penser, dans un contrepoint de structures temporelles indépendantes dont la coexistence suscite néanmoins d’infinies interférences.

10h50 – 11h30 En deux temps et trois mouvements : une théorie de l'instant de naître et de l'instant de mourir, par P. M. Klein

L'histoire de tout être humain dure depuis l'instant d'une instauration singulière jusqu'à l'instant d'une disparition singulière : de la naissance d'un soi-même jusqu'à sa propre mort.

Or naissance et mort paraissent sous l'allure d'événements instantanés, lesquels inaugurent et achèvent une durée. La nature de ces instants peut-elle éclairer la nature de ces événements ? Une théorie de l'instant ouvrirait-elle à une théorie de la naissance et de la mort ?

Références :

voir aussi : https://sites.google.com/site/dugowsonrecherche/home/chronon

11h30 - 11h45 Tic-Tack-Tic (3), par N. Thornander et G. Ros

ABSOLUTE VALUE », (2e extrait en Fa#) de Nils Thornander, pour 96 synthétiseurs virtuels et instruments solistes improvisant librement.

Géraldine Ros au piano électronique et Nils Thornander au clavier numérique.

11h50 -12h30  Visualisation de la musique dans l’espace : pour une compréhension de la spatialité et de la temporalité de la musique, par Kim H.Y.

Comment la musique crée-t-elle l’espace ? Quels types de structures spatiales la musique construit-elle ? Ces questions sont liées à la visualisation de la musique dans l’espace, mais il nous faut d’abord nous demander : « quelle est le τέλος de la musique ? » Autrement dit, quel est le sens de la musique ? Comment la musique peut-elle être la musique ? La musique est-elle encore la musique lorsque nous ne l'écoutons pas ? A cet égard, interroger la musique invite à nous interroger nous-même : comment comprenons-nous la musique ? Or, la compréhension et la perception de la musique supposent celles des relations entre durées et instants, c’est-à-dire celles du temps. La musique, l’espace, le temps, l’instant, la durée, la perception et la compréhension seront ainsi les concepts cruciaux de notre discussion.

12h30 - 12h40  Tic-Tack-Tic (4), par N. Thornander et G. Ros    

«  4’33’’ » de John Cage,  interprété par Géraldine Ros au piano.

4′33″ est un morceau composé par John Cage et créé en 1952. Souvent décrite comme « quatre minutes trente-trois secondes de silence », il s'agit en réalité d'une pièce constituée des sons que les auditeurs et l'interprète suscitent inévitablement lorsque le morceau est joué. Cage eût la révélation dans une chambre anéchoïque que le vrai silence est impossible en y entendant le bourdonnement continu son propre corps. Cage considérait que «le silence est une vraie note ». Il en donnera assez contradictoirement cette définition géniale:

"Silence" désignera désormais l’ensemble des sons non voulus par le compositeur.

« LE PRÉLUDE AU MORT », pour piano de Géraldine Ros et interprété par elle.

Cette petite pièce pour piano fut composée par Géraldine à l’âge de 14 ans, pour célébrer la mort de son chat adoré. C’est la première oeuvre de Géraldine que Nils ait entendue d’elle. Elle est construite autour d’un Sol se répétant de façon inexorable à la cadence d’une note par seconde. C’est donc une allusion, là encore, au temps qui s’écoule éternellement.

« LE TEMPS», mélodie pour soprano et piano co-écrite, texte et musique, par Géraldine Ros et Nils Thornander.

Cette courte chanson reprend intégralement « LE PRÉLUDE AU MORT », en l’orchestrant et en lui ajoutant une mélodie chantée par Géraldine.

12h40 - 13h00 Quelques questions philosophiques posées par le développement de la théorie des Dynamiques ouvertes en interaction, par S. Dugowson

Nous reviendrons en particulier sur les thèmes de l’indéterminisme, de l’intemporel, de la “naissance” et de la “mort” et nous annoncerons celui, sur lequel nous reviendrons l’après-midi, d’une certaine  “verticalité connective”.

13h05 - 13h10 Final musical de la matinée, par N. Thornander et G. Ros

Final musical : THE SOCIALITE OPERA (extrait THE SCREAM) de Nils Thornander pour soprano et orchestre numérique.

THE SOCIALITE OPERA est une oeuvre lyrique s’inspirant librement de l’Histoire musicale de l’opéra, envisagé comme théâtre social. Dans cet extrait, THE SCREAM évoque la vente publique du CRI d’Edward Munch, dont le prix record fit pousser un cri d’étonnement à Nils Thornander qui reprend l’enregistrement du commissaire priseur chez Sotheby’s.

Géraldine Ros fait la création de cette pièce à l’IRCAM.

Possibilité de projection d’une vidéo.

(13h10/14h40 : pause-déjeuner)

Après-midi (14h45-16h00, Salle Shanon)

14h45 – 15h30 Connectivité et topologie des relations multiples et des interactions, par S. Dugowson

Dans cet exposé, nous rappelons d’abord la notion d’espace et de structure connective, puis nous définissons la structure connective d’une relation multiple quelconque --- exemple saisissant : l’addition (des entiers relatifs, des réels, etc…) s’avère borroméenne --- et, de là, d’une interaction d’une famille de dynamiques ouvertes. Finalement, grâce à la notion de topos de Grothendieck, nous associons un espace topologique fini à toute relation multiple finie, par exemple à toute interaction d’une famille finie de dynamiques. Dans le cas d’une relation borroméenne, cela conduit à un espace bien représenté par la fractale de Newton.

15h30- 16h00 Questions et discussion

***

Les intervenants

Stéphane Dugowson. 

Agrégé de mathématiques, docteur en histoire et philosophie des sciences, maître de conférences en mathématiques appliquées à l'Institut Supérieur de Mécanique de Paris. https://sites.google.com/site/dugowsonrecherche

HyeYoung Kim. 

Chercheuse (post-doc) à l’École Normale Supérieure, docteur en philosophie de l’Université Libre de Berlin, ses thèmes de recherche portent sur la subjectivité et l’inter-subjectivité, la conscience, la temporalité, la spatialité etc.

http://ens.academia.edu/HyeYoungKim

Pierre Michel Klein.

Agrégé de philosophie, président de l'association Vladimir Jankélévitch, il est notamment l'auteur de Métachronologie (Ed. du Cerf, 2e édition, Paris 2016) et, en collaboration avec Stéphane Dugowson, de Chronon, une théorie du temps, de la naissance et de la mort (Ed. Routes de la Soie, Paris 2019). https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Michel_Klein

Géraldine Ros,

compositrice, pianiste et chanteuse étudie la composition avec Ligeti dont elle crée plusieurs oeuvres pour voix. Elle crée le rôle titre d’un opéra de Claude Prey au Festival d’Aix en Provence, et interprète le répertoire lyrique ainsi que ses propres oeuvres: «Le Tunnel» (oratorio), «In Furore» au Festival de Linz Ars Electronica, au Théâtre de Chaillot et «Gorgias» au Festival de Delphes, à la Cité Universitaire. Ses oeuvres sont jouées par de grands artistes: Ivry Gitlis, les Percussions de Strasbourg etc, Elle obtient le 2ème prix de composition du concours international de Trento: président Ennio Moricone

https://www.youtube.com/channel/UCysCM-MM4V8gszaafCqhiUA

Nils Thornander. 

Artiste "phygital", Nils Thornander œuvre au point de contact des réalités physiques et numériques. Il poursuit la construction d’un « Continuum » fait de sons, d’images, de concepts, de matières et d’espaces. Ses créations prennent des formes variées, de la musique de film au tableau en passant par la performance ou l’installation.   https://www.nilsthornander.com/home

Table des matières détaillée