1677 - Phèdre de Racine, acte I scène 3

Un extrait de tragédie classique

PERSONNAGES

Thésée, fils d’Égée, roi d’Athènes.

Phèdre, femme de Thésée, fille de Minos et de Pasiphaé.

Hippolyte, fils de Thésée, et d’Antiope, reine des Amazones.

Aricie, princesse du sang royal d’Athènes.

Théramène, gouverneur d’Hippolyte.

Œnone, nourrice et confidente de Phèdre.

Ismène, confidente d’Aricie.

Panope, femme de la suite de Phèdre.

Gardes.

La scène est à Trézène, ville du Péloponèse.

Phèdre de Racine, mise en scène d’Ophélia Teillaud et Marc Zammit - Théâtre Mouffetard, février 2012

Acte I, scène 3

(...)

Œnone. - Quoi ! de quelques remords êtes-vous déchirée ?

Quel crime a pu produire un trouble si pressant ?

Vos mains n’ont point trempé dans le sang innocent ?

Phèdre. - Grâces au ciel, mes mains ne sont point criminelles.

Plût aux dieux que mon cœur fût innocent comme elles !

Œnone. - Et quel affreux projet avez-vous enfanté

Dont votre cœur encor doive être épouvanté ?

Phèdre. - Je t’en ai dit assez : épargne-moi le reste.

Je meurs, pour ne point faire un aveu si funeste.

Œnone. - Mourez donc, et gardez un silence inhumain ;

Mais pour fermer vos yeux cherchez une autre main.

Quoiqu’il vous reste à peine une faible lumière,

Mon âme chez les morts descendra la première ;

Mille chemins ouverts y conduisent toujours,

Et ma juste douleur choisira les plus courts.

Cruelle ! quand ma foi vous a-t-elle déçue ?

Songez-vous qu’en naissant mes bras vous ont reçue ?

Mon pays, mes enfants, pour vous j’ai tout quitté.

Réserviez-vous ce prix à ma fidélité ?

Phèdre. - Quel fruit espères-tu de tant de violence ?

Tu frémiras d’horreur si je romps le silence.

Œnone. - Et que me direz-vous qui ne cède, grands dieux !

À l’horreur de vous voir expirer à mes yeux ?

Phèdre. - Quand tu sauras mon crime et le sort qui m’accable,

Je n’en mourrai pas moins : j’en mourrai plus coupable.

Œnone. - Madame, au nom des pleurs que pour vous j’ai versés,

Par vos faibles genoux que je tiens embrassés,

Délivrez mon esprit de ce funeste doute.

Phèdre. - Tu le veux ? lève-toi.

Œnone. - Parlez : je vous écoute.

Phèdre. - Ciel ! que lui vais-je dire ? et par où commencer ?

Œnone. - Par de vaines frayeurs cessez de m’offenser.

Phèdre. - Ô haine de Vénus ! Ô fatale colère !

Dans quels égarements l’amour jeta ma mère !

Œnone. - Oublions-les, madame ; et qu’à tout l’avenir

Un silence éternel cache ce souvenir.

Phèdre. - Ariane, ma sœur ! de quel amour blessée

Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !

Œnone. - Que faites-vous, madame ? et quel mortel ennui

Contre tout votre sang vous anime aujourd’hui ?

Phèdre. - Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable

Je péris la dernière et la plus misérable.

Œnone. - Aimez-vous ?

Phèdre. - De l’amour j’ai toutes les fureurs.

Œnone. - Pour qui ?

Phèdre. - Tu vas ouïr le comble des horreurs…

J’aime… À ce nom fatal, je tremble, je frissonne.

J’aime…

Œnone. - Qui ?

Phèdre. - Tu connais ce fils de l’Amazone,

Ce prince si longtemps par moi-même opprimé…

Œnone. - Hippolyte ? Grands dieux !

Phèdre. - C’est toi qui l’as nommé !

Œnone. - Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace !

Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !

Voyage infortuné ! Rivage malheureux,

Fallait-il approcher de tes bords dangereux !

(...)