Situer l'extrait : Le narrateur, un homme misanthrope, névrosé et égocentrique qui se remémore un épisode marquant de sa jeunesse, a rencontré une jeune prostituée, Lisa. Avec elle, il entrevoit la possibilité d'une relation différente de toutes celles, généralement hostiles, qu'il a pu entretenir avec quiconque. Lisa, d'abord réticente, semble également s'attacher au narrateur et le lui témoigne en lui montrant une lettre d'amour qu'elle a reçue (fin du chapitre 6). Elle lui rend visite mais le narrateur, en colère pour autre chose, fait une "crise d'hystérie" et l'entretien est difficile. Cependant, à la fin du chapitre 9, ils tombent dans les bras l'un de l'autre et ont sans doute une relation charnelle. Mais au début du chapitre 10, il redevient fébrile tandis que Lisa demeure songeuse derrière le paravent.
Pour un roman, les passages purement narratifs sont plutôt rares, en voici un : peu ou pas d'action donc peu ou pas de récit et cet extrait est celui dont l'action ou l'inaction est le dénouement du roman.
Un récit :
* Système des temps du passé
* C'est un des rares passages où le narrateur âgé se contente d'être narrateur et s'efface : on est donc quand même à la première personne mais une première personne distanciée.
* De nombreux connecteurs temporels organisent le récit. (+CCL)
Mais un récit fait d'attente et de décalage (peu d'action)
* La première phrase souligne que le temps semble long : CCT, verbe "écouler", imparfait qui évoque une action qui dure, loc. adv. "toujours pas". -> le jeune homme est impatient de voir cette situation inconfortable prendre fin donc il "revendique" l'action. En découle une toute petite action "il frappe doucement". D'entrée, on mesure que le passage à l'action est problématique.
* Cet effilochage de l'action est également souligné par les points de suspension à deux titres : d'une part, ils traduisent l'attente inconfortable et d'autre part ils permettent à l'auteur de dissimuler assez longuement le geste désobligeant du jeune homme (lignes 57 et 63 + ligne 89) -> décalage de la révélation pour le lecteur.
* Dans la suite de l'extrait, le temps s'écoule encore par à-coups : le narrateur tarde à réagir dans chacun de ses gestes (l. 70 : "attendre une minute" -> temps élastique)
En fait le récit de l'inaction
* La seule action qui importe est inavouable.
* La psychologie même du personnage dont Dostoïevski souligne les contradictions (il décide certaine choses intellectuellement mais ne les assume pas spontanément (l.68) lui interdit l'action efficace.
* Des répétitions, des pauses insistent sur l'inaction (l.77 et 80)
* La dernière image de l'extrait, où le personnage est paralysé au milieu de la rue dans le froid et la neige est symbolique de son incapacité à agir.
Lorsque le narrateur âgé avoue enfin cet épisode douloureux, il cesse d'écrire dans ces Carnets. Il n'y a pas d'issue pour le personnage.