1908 - Avec vue sur l'Arno, d'E. M. Forster. "La mauvaise foi coupable de Lucy"

Lucy et Cecil

[Fin du chapitre 16]

Comment avait-elle supporté un instant Cecil ? Il était absolument insupportable. Le soir même, elle rompit ses fiançailles.

Chapitre 17. Elle ment à Cecil

Il n’y comprit rien. Il ne trouva rien à objecter. Sans éprouver même de colère, il demeura, son verre de whisky dans les mains, à chercher ce qui avait pu conduire Lucy à une telle conclusion.

Elle avait choisi le moment où, avant de se mettre au lit et selon les habitudes bourgeoises de la maison, elle dispensait aux messieurs des rafraîchissements. Invariablement Freddy et Floyd s’éclipsaient avec leurs verres ; Cecil, au contraire, s’attardait, buvant le sien à petites gorgées tandis qu’elle refermait le buffet.

- Je regrette infiniment, dit-elle. J’ai bien réfléchi à la question. Nous sommes trop différents l’un de l’autre. Je dois vous redemander ma liberté en vous priant d’oublier à jamais ma stupide existence.

Les mots n’étaient pas mal, mais Lucy était plus furieuse que peinée et le ton la trahit.

- Différents – comment... comment...

- D’abord je n’ai pas reçu vraiment une bonne éducation, poursuivit-elle toujours à genoux devant le buffet. Mon voyage en Italie est venu trop tard et j’oublie tout ce que j’ai appris là-bas. Je ne pourrais jamais converser avec vos amis, ni être la femme que vous méritez.

- Je ne vous comprends pas. Vous ne vous ressemblez plus. Vous êtes fatiguée, Lucy.

- Fatiguée ! s’écria-t-elle en prenant feu aussitôt. Vous êtes tout entier là-dedans. Vous pensez toujours que les femmes ne veulent pas dire ce qu’elles disent.

- Ma foi, votre voix trahit une fatigue – un ennui dirait-on.

- Et si cela était ? Je n’en verrais pas moins la vérité. Notre mariage est impossible et vous me remercierez un jour de vous l’avoir dit.

- Cette migraine d’hier... D’accord... – elle s’était exclamée avec indignation – je vois que c’était davantage qu’une migraine. Mais laissez-moi un moment... – il ferma les yeux – Il faut m’excuser si je dis des choses stupides mais j’ai le cerveau en miettes. Une moitié vit encore trois minutes en arrière, quand j’étais sûr que vous m’aimiez, et l’autre moitié... c’est trop difficile... je vais probablement dire ce qu’il ne faut pas...

Elle remarqua qu’il ne se conduisait pas trop mal et son irritation s’en accrut. De nouveau elle désira la lutte, non la discussion.