Lire ici le résumé, très complet, de Wikipédia.
"Les pélerins mangés en salade" - Illustration de Gustave Doré, 1873
" En premier lieu il vous faut tenir l'Asie Mineure, la Carie, la Lycie, la Painphilie, la Cilicie, la Lydie, la Phrygie, la Mysie, la Bithynie, Carrasie, Adalia, Samagarie, Kastamoun, Luga, Sébaste, jusqu'à l'Euphrate.
- Verrons-nous Babylone et le mont Sinaï ? dit Picrochole.
- Ce n'est pas nécessaire pour l'instant, dirent-ils. Vraiment, n'est-ce pas assez de tracas que d'avoir traversé la mer Caspienne et parcouru les deux Arménies et les trois Arabies à cheval ?
- Ma foi, dit-il, nous sommes épuisés ! Ah ! les pauvres gens !
- Qu'y a-t-il ? demandèrent les autres.
- Que boirons-nous dans ces déserts ? L'empereur Julien et toute son armée y moururent de soif, à ce qu'on raconte.
- Nous avons déjà donné ordre à tout, dirent-ils. Vous avez neuf mille quatorze grands navires chargés des meilleurs vins du monde, dans la mer Syriaque. Ils arrivèrent à Jaffa. Là se trouvaient deux millions deux cent mille chameaux et mille six cents éléphants que vous aurez pris à la chasse aux environs de Sidjilmassa, quand vous êtes entré en Libye, et de plus vous avez toute la caravane de La Mecque. Ne fournirent-ils pas suffisamment de vin ?
- Sûr ! dit-il, mais nous ne bûmes point frais.
- Vertu, non d'un petit poisson ! dirent-ils. Un preux, un conquérant qui aspire à l'empire universel ne peut pas toujours avoir ses aises. Remerciez Dieu d'être arrivés sains et saufs, vous et vos gens, jusqu'au Tigre.
- Mais, dit-il, que fait pendant ce temps la moitié de notre armée qui déconfit ce vilain, ce poivrot de Grandgousier ?
- Ils ne chôment pas, dirent-ils, nous allons bientôt les rencontrer. Ils vous ont pris la Bretagne, la Normandie, les Flandres, le Hainaut, le Brabant, l'Artois, la Hollande, la Zélande. Ils ont passé le Rhin sur le ventre des Suisses et des Lansquenets. Une partie d'entre eux a soumis le Luxembourg, la Lorraine, la Champagne et la Savoie jusqu'à Lyon. Là, ils ont retrouvé vos garnisons, de retour des conquêtes navales en Méditerranée et se sont rassemblés en Bohême après avoir mis à sac la Souabe, le Wurtemberg, la Bavière, l'Autriche, la Moravie et la Styrie. Puis ils ont foncé farouchement sur Lübeck, la Norvège, la Suède, le Danemark, la Gothie, le Groenland, les pays hanséatiques, jusqu'à la mer Arctique. Cela fait, ils ont conquis les Orcades et mis sous leur joug l'Ecosse, l'Angleterre et l'Irlande. De là, naviguant sur la Baltique et la mer des Sarmates, ils ont vaincu et dominé la Prusse, la Pologne, la Lituanie, la Russie, la Valachie, la Transylvanie, la Hongrie, la Bulgarie, la Turquie et les voilà à Constantinople.
- Rendons-nous vers eux au plus tôt, dit Picrochole, car je veux être aussi empereur de Trébizonde. Ne tuerons-nous pas tous ces chiens de Turcs et de Mahométans ?
- Que diable ferons-nous donc ? dirent-ils. Vous donnerez leurs biens et leurs terres à ceux qui vous auront loyalement servi.
- La raison le veut, dit-il. C'est justice. Je vous donne la Caramanie, la Syrie et toute la Palestine.
- Ah ! dirent-ils, Sire, vous êtes bien bon ! Grand merci ! Que Dieu vous donne toujours prospérité. "
Il y avait là un vieux gentilhomme, éprouvé en diverses aventures, un vrai routier de guerre, nommé Echéphron. Il dit en entendant ces propos : " J'ai bien peur que toute cette entreprise ne soit semblable à la farce du pot au lait dont un cordonnier tirait une fortune en rêve. Ensuite, quand le pot fut cassé, il n'eut pas de quoi manger. Qu'attendez-vous de ces belles conquêtes ? Quelle sera la fin de tant d'embarras et de barrages ?
- Ce sera, dit Picrochole, que nous pourrons nous reposer à notre aise quand nous serons rentrés. "
Alors Echéphron dit : " Et si par hasard vous n'en reveniez jamais ? Le voyage est long et périlleux: n'est-ce pas mieux de se reposer dès à présent, sans nous exposer à ces dangers ?
- Oh ! dit Spadassin, pardieu, voilà un bel idiot ! Allons nous cacher au coin de la cheminée et passons-y notre temps et notre vie avec les dames, à enfiler des perles ou à filer comme Sardanapale ! Qui ne risque rien n'a cheval ni mule, c'est Salomon qui l'a dit.
- Qui se risque trop, dit Echéphron, perd cheval et mule, c'est ce que répondit Marcoul.
- Baste ! dit Picrochole, passons outre. Je ne crains que ces diables de légions de Grandgousier. Pendant que nous sommes en Mésopotamie, s'ils nous donnaient sur la queue ? Quel serait le remède ?
- Il est facile, dit Merdaille: un beau petit ordre de mobilisation que vous enverrez aux Moscovites vous mettra sur pied en un moment quatre cent cinquante mille combattants d'élite. Oh ! si vous me faites lieutenant à cette occasion, je tuerai un peigne pour un mercier ! Je mords, je rue, je frappe, j'attrape, je tue, je renie !
- Sus ! sus ! dit Picrochole, qu'on mette tout en train et qui m'aime me suive ! "