Léopold Lajeunesse accueille dans son bistrot une classe de troisième d'un collège détruit par des bombardements pendant la Seconde Guerre mondiale. À force d'entendre les élèves ânonner les vers de Racine, il s'est pris de passion pour l'héroïne, Andromaque.
Tout en marchant, Léopold se laissa distraire de sa colère par le souvenir d'Andromaque. Ces gens qui tournaient autour de la veuve d'Hector, ce n'était pas du monde bien intéressant non plus. Des rancuniers qui ne pensaient qu'à leurs histoires de coucheries. Comme disait la veuve : « Faut-il qu'un si grand cœur montre tant de faiblesse ? » Quand on a affaire à une femme si bien, songeait-il on ne va pas penser à la bagatelle. Lui, Léopold, il aurait eu honte, surtout que les femmes, quand on a un peu d'argent de côté, ce n'est pas ce qui manque. Il se plut à imaginer une évasion dont il était le héros désintéressé.
Arrivant un soir au palais de Pyrrhus, ll achetait la complicité du portier et, la nuit venue, s'introduisait dans la chambre d'Andromaque. La veuve était justement dans les larmes, à cause de Pyrrhus qui lui avait encore cassé les pieds pour le mariage. Léopold l'assurait de son dévouement respectueux, promettant qu'elle serait bientôt libre sans qu'il lui en coûte seulement un sou et finissant par lui dire : « Passez-moi Astyanax, on va filer en douce. » Ces paroles, il les répéta plusieurs fois et y prit un plaisir étrange, un peu troublant, « Passez-moi Astyanax, on va filer en douce. » II lui semblait voir poindre comme une lueur à l'horizon de sa pensée. Soudain, il s'arrêta au milieu de la rue, son cœur se mit à battre avec violence, et il récita lentement :
Passez-moi Astyanax, on va filer en douce.
Incontestablement, c'était un vers, un vrai vers de douze pieds. Et quelle cadence. Quel majestueux balancement «Passez-moi Astyanax...» Léopold ébloui, ne se lassait pas de répéter son alexandrin et s'enivrait de sa musique. Cependant, la rue n'avait pas changé d'aspect. Le soleil continuait à briller, les ménagères vaquaient à leur marché et la vie suivait son cours habituel comme s'il ne s'était rien passé. Léopold prenait conscience de la solitude de l'esprit en face de l'agitation mondaine, mais au lieu de s'en attrister, il se sentait fier et joyeux.
Ettore e Andromaca, Georgio de Chirico, 1973
Bronze, taille inconnue
Osaka, Japon
Les exercices de réécriture au bac
Exemple 1 : mettre sous la forme d'un texte théâtral l'extrait du roman de Marcel Aymé
A) La forme théâtrale -> concevoir son texte en gardant toujours à l'esprit qu'il doit être joué et que l'on ne peut donc pas faire un montage cinématographique.
B) Respecter les caractéristiques des personnages -> Léopold, personnage populaire, devait conserver son niveau de langue et ses valeurs. Le décalage entre Andromaque et Léopold, source de comique dans l'extrait du roman, devait être conservé.