On peut remarquer des nuances de couleurs qui forment des traits tout autour de la toile. Ils correspondent à un ajout qui a été fait au XVIIIe siècle : à cause d'un incendie, la toile, endommagée, a dû être restaurée et comme à l'époque, on ne cherchait pas à respecter forcément l'œuvre originale, les éléments de trois des côtés, surtout en haut, on été ajoutés. (Voir fichier Arachné - la restauration du XVIIIe)
Nous ne considérerons donc que la partie d'origine. (Voir fichier Arachné aux dimensions d'origine)
La tapisserie du fond du tableau est un hommage que rend Vélasquez au Titien dont il a reproduit une toile qui se trouvait à Madrid à l'époque où Vélasquez a peint Les Fileuses.
Les Fileuses ou la Fable d'Arachné, Diego Vélasquez, 1655-1660
Huile sur toile, 220 x 289 cm, Le Prado, Madrid
L'Enlèvement d'Europe, Le Titien, 1559-1562
Huile sur toile, 189 x 205 cm
Deux espaces très délimités donnent beaucoup de profondeur à ce tableau qui est une scène de genre à un format paysage qui tend vers le panoramique.
La scène de genre est en fait double : au premier plan, un groupe de fileuses aux vêtements et à la mise populaire est en plein travail et au second plan, un groupe de femmes dont le niveau social est à l'évidence plus élevé s'affaire à ce qui ressemble à un spectacle théâtral.
La composition s'organise autour de ces deux plans puisque le groupe du fond, plus éloigné et donc plus petit à cause de la perspective, tient dans un presque carré autour duquel s'établissent les autres espaces de la toile. (Voir fichier Arachné - composition autour d'un espace scénique)
Les historiens des arts ont établi en retrouvant des documents écrits de la main de Vélasquez que cette toile faisait référence au récit mythologique sur Arachné dont la version la plus connue est sans doute celle des Métamorphoses d'Ovide. (Voir fichier Les Fileuses - Ovide - Les Métamorphoses - Livre VI)
Ce récit est celui du sort d'Arachné, une jeune fille du peuple qui s'enorgueillit de ses dons de tisseuse dont elle affirme qu'il ne doivent rien aux dieux, provoquant ainsi l'arrivée de la déesse Athéna qui se grime en vieille femme pour lui recommander d'être plus humble. Arachnée répond avec insolence et un "duel" de tapisserie a lieu. Arachnée réalise une tapisserie de l'enlèvement d'Europe et d'autres épisodes au cours desquels les dieux ne sont pas forcément à leur avantage, mais à la perfection. Athéna, en colère, arrache la toile et frappe Arachné qui, de désespoir, se pend avec le fil. Emue, la déesse adoucit son sort en la transformant en araignée : elle ne mourra pas mais pourra continuer à filer et restera suspendue à son fil.
Ce récit est certainement l'objet de la représentation théâtrale comme l'indique, en particulier, le casque qui, porté par un personnage féminin, renvoie forcément à Athéna. Par déduction, le personnage qui lui fait face doit être Arachné. (Voir fichier Arachné - La fable mise en scène)
Mais on peut également facilement retrouver les deux personnages du récit parmi les paysannes qui sont justement en train de filer et que certains éléments permettent d'identifier. (Voir fichier Arachné - La fable qui prend corps)
On a donc un récit et un récit-miroir et une fois que l'on a fait cette remarque, plusieurs éléments l'étaient :
* Les deux personnages principaux du premier plan apparaissent malgré tout au second plan puisque leurs mains sont visibles dans l'espace scénique, à des positions symétriques, et dans des positions assez proches de celles des actrices. Observer également le jeu main droite/main gauche qui se répète. (Voir fichier Arachné - les mains)
* La composition du premier plan correspond à celle du second plan. (Voir fichier Arachné - Organisation des groupes de personnages en 2-1-2)
On a donc une mise en abyme du récit : la "réalité" au premier plan, la représentation au second.
De nombreux éléments soulignent l'évocation du théâtre :
* La scène très éclairée et la salle dans la pénombre.
* La scène surélevée.
* Les costumes.
* Un "décor".
* Des spectatrices.
* Une musicienne.
* Le rideau.
Mais justement, le rideau concerne le premier plan, ce qui suggère que le premier plan est également une représentation.
De nombreuses interprétations ont été proposées, qui vont d'une opposition de classe (peu crédible au début du XVIIe) à une allégorie de la production artistique, avec la métaphore tapisserie/toile (beaucoup plus crédible, on est à un tournant, quand l'artiste naît là où auparavant on le considérait comme un artisan au service d'un maître).
Quelques questions pour terminer : pourquoi y a-t-il une femme sans visage au milieu, que représente-t-elle ?
Qui regarde la jeune fille de droite au second plan ?