Pourquoi les Européens colonisent-ils le monde au XIXème siècle ?
Le discours d'une puissance coloniale : la justification
Le discours colonial français d'après Jules Ferry, 28 juillet 1885.
Depuis le début des années 1880, la France cherche à coloniser de nouveaux territoires. La Tunisie, en 1881, l’Annam (Vietnam) en 1883 et le Tonkin (Vietnam) en 1885 deviennent des colonies françaises. La séance parlementaire du 28 juillet 1885 est consacrée à la discussion d’un projet de crédits extraordinaires pour financer une expédition à Madagascar où la France tente d’imposer une colonie. Jules Ferry est à la tête du gouvernement des Républicains sous la IIIème République.
Sur le terrain économique, je me suis permis de placer devant vous, en les appuyant de quelques chiffres, les considérations qui justifient la politique d'expansion coloniale au point de vue de ce besoin de plus en plus impérieusement senti par les populations industrielles de l'Europe et particulièrement de notre riche et laborieux pays de France, le besoin de débouchés. Oui, ce qui manque à notre grande industrie, ce qui lui manque de plus en plus ce sont les débouchés.
Il y a un second point, un second ordre d'idées que je dois également aborder, le plus rapidement possible, croyez-le bien : c'est le côté humanitaire et civilisateur de la question. Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. Ces devoirs, messieurs, ont été souvent méconnus dans l'histoire des siècles précédents, et certainement, quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l'esclavage dans l'Amérique centrale, ils n'accomplissaient pas leur devoir d'hommes de race supérieure. Mais, de nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquittent avec largeur, avec grandeur et honnêteté, de ce devoir supérieur de civilisation. Est-ce que notre premier devoir, la première règle que la France s'est imposée, que l'Angleterre a fait pénétrer dans le droit coutumier des nations européennes, n'est pas de combattre la traite des nègres, cet horrible trafic, et l'esclavage, cette infamie.
Il faut que notre pays se mette en mesure de faire ce que font tous les autres, et, puisque la politique d'expansion coloniale est le mobile général qui emporte à l'heure qu'il est toutes les puissances européennes, il faut qu'il en prenne son parti, autrement il arrivera... oh ! pas à nous qui ne verrons pas ces choses, mais à nos fils et à nos petits-fils ! il arrivera ce qui est advenu à d'autres nations qui ont joué un très grand rôle il y a trois siècles, et qui se trouvent aujourd'hui, quelque puissantes, quelque grandes qu'elles aient été descendues au troisième ou au quatrième rang. Le parti républicain a montré qu'il comprenait bien qu'on ne pouvait pas proposer à la France un idéal politique conforme à celui de nations comme la libre Belgique et comme la Suisse républicaine, qu'il faut autre chose à la France : qu'elle ne peut pas être seulement un pays libre, qu'elle doit aussi être un grand pays exerçant sur les destinées de l'Europe toute l'influence qui lui appartient, qu'elle doit répandre cette influence sur le monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie. »
Question : quels sont les arguments justifiant la colonie d'après Jules Ferry ? Chaque paragraphe présente un argument.
Réponse :
1er paragraphe : Le premier argument est économique. Il s'agit pour la France d'exporter sa production industrielle vers ses colonies : "le besoin de débouchés".
2ème paragraphe : Le deuxième argument est dit "humanitaire et civilisateur" Il s'agit de diffuser aux peuples colonisés, considérés comme inférieurs, la civilisation française, et plus globalement européenne. Cela se fait notamment à travers la diffusion de la religion, de la langue, de la législation, de l'architecture, des modes de vie etc.
3ème paragraphe : Le troisième argument est celui de la puissance. La France veut être reconnue comme une grande puissance mondiale, malgré, notamment, la perte récente de l'Alsace et de la Lorraine en 1870 après sa défaite face à la Prusse. Un empire colonial est un outil de puissance et de présence mondiale. La France "doit aussi être un grand pays exerçant sur les destinées de l'Europe toute l'influence qui lui appartient, qu'elle doit répandre cette influence sur le monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie."
Question : Quelle mission se donne la France après avoir analysé cette image ?
Réponse :
La France, comme d'autres puissances européennes, s'est donné une "mission civilisatrice". Elle s'estimait porteuse de la civilisation et se donnait comme devoir de la diffuser dans le monde auprès des sociétés qu'elle considérait comme inférieure, barbare.
Le discours face à la réalité coloniale : la contradiction
La colonisation se fait tout d'abord par la conquête militaire, par les armes et la violence. La conquête est appelée la "phase de pacification" non sans cynisme.
Carte de l'Afrique Equatoriale-Française (AEF) par G. Gicquel.
Les voies ferrées ne sont pas construites pour développer le territoire, mais pour permettre l'exportation des marchandises produites en AEF : elles sont reliées aux ports.
"C'est la mine. Des centaines de noirs creusent la terre, la ramassent à la pelle et la jettent dans de petits wagonnets. De temps en temps, on y trouve des pépites. La surveillance des noirs est très sévère. Malgré qu'ils sont déjà entièrement à poil, un vague torchon autour des reins, en rentrant au village, ils sont entièrement fouillés. On leur ouvre la bouche, regarde dans les dents, sous la langue. Ils arrivent de temps en temps à faire disparaître quelques pépites, mais quand on les attrape, ils sont battus presque à mort. Ils travaillent de douze à quinze heures par jour. C'est un travail harassant."
D'après G. Krull, Les conditions de travail d'une mine du Gabon à N'Dojé pendant la guerre, 1943.
Ce témoignage de la photographe allemande Germaine Krull, montre que la "mission civilisatrice" de la France n'est qu'un prétexte à l'exploitation économique des colonies. La mine de N'Dojé est visible sur la carte.
Question : Les Européens diffusent-ils vraiment la civilisation dans les colonies ?
Réponse :
La réalité de l'exploitation des colonies entre en contradiction avec la "mission civilisatrice". L'indigène est conquis avec violence, les ressources pillées grâce à la soumission des populations locales. L'esclavage, aboli par toutes les sociétés européennes dans la seconde moitié du XIXème siècle, est remplacé par du travail forcé.
L'étude d'un cas : la ligne Congo-Océan
La ligne Congo-Océan, reliant Brazzaville à Pointe Noire, a été construite pendant 13 ans, de 1921 à 1934.
Cette ligne a été difficile à construire et fut un véritable enfer pour les indigènes qui furent contraints et forcés d'y travailler.
Question : Pourquoi la ligne Congo-Océan a-t-elle été construite ? Son objectif est-elle de mettre en valeur le territoire colonial ?
Réponse :
Le ligne Congo-Océan a été construite, entre 1921 et 1934, pour relier Brazzaville au port atlantique de Pointe-Noire. Par cette ligne devait notamment être convoyés l’or ou encore le caoutchouc produit à l’intérieur des terres. Ces marchandises devaient enfin être exportés vers la métropole.
L'objectif n'est donc pas de mettre en valeur le territoire, notamment en améliorant les mobilités des habitants, mais bien de servir à l'exportation des ressources africains vers l'Europe.
Question : De quelle façon la ligne est-elle construite ? Cela correspond-il à la diffusion de la civilisation telle qu'elle est revendiquée dans le discours colonial français ?
Réponse :
La ligne est construite en utilisant le travail forcé. Des hommes provenant de la région sont déplacés de force et forcés à travailler. Cela provoque une très forte mortalité.
Avoir du recul sur le discours colonial : l'exemple de Tintin au Congo d'Hergé (version 1931)
Ces deux planches traitent de différents aspects de la colonisation. Le Congo était une possession coloniale personnelle du roi de Belgique Léopold II, entre 1885 et 1908, puis une colonie appartenant à la Belgique jusqu'en 1960.
La planche n°1 : Tintin fait cours.
La planche n° 2 : Tintin et le chemin de fer du Congo
Question : Indiquez à quel argument du discours colonial renvoie chaque planche. Trouvez des arguments issus du cours pour critiquer cette vision de la colonisation.
Réponse :
Planche n°1 : Cette planche montre Tintin donner un cours à des enfants congolais. C'est un aspect de la "mission civilisatrice" mis en avant par le discours colonial. La planche oppose tout d'abord deux mondes, celui du colon (habit colonial, notamment à travers le casque blanc, école avec tableau...) et celui de l'indigène bien plus "sauvage et primitif" (léopard, nudité des enfants...). La case centrale fait écho à la négation de la culture locale afin d'imposer la culture européenne : la Belgique, pourtant bien lointaine, est présentée comme leur patrie.
Un dernier aspect de la colonisation est la présence du missionnaire. La "mission civilisatrice" passe en grande partie par la diffusion de la religion chrétienne.
Planche n° 2 : Cette planche témoigne de la construction de chemins de fer en Afrique. Cela aurait pu être un signe de la mise en valeur de la colonie en développant les mobilités. Cependant, la grande majorité des voies ferrées étaient construites de l'intérieur des terres, où ont exploite les ressources, vers les ports, d'où on exporte les ressources. De même, les différentes voies ferrées construite sur le continent africain n'ont pas les mêmes largeurs de rails, y compris quand il s'agit de colonies dépendant d'une même métropole : cela témoigne de l'absence totale de cohérence dans le développement des infrastructures de communications : elles sont faites pour l'exportation des ressources et non pour la mobilité des populations indigènes.
L'action des indigènes, dans la planche est aussi révélatrice des représentations qu'on les Européens sur les Africains. Leur indolence ("moi fatigué") et leur mauvaise volonté ("Vous n'avez pas honte ? Laisser un chien faire tout le travail !") est mis en évidence et s'oppose complètement au dynamisme volontaire de Tintin ("Allons!, au travail !"), et même du chien Milou ("Allons, tas de paresseux ! A l'ouvrage"). Cette représentation négative a pour origine le refus, bien compréhensible, des populations indigènes de participer aux travaux forcés qui ont eu des conséquences lourdes (mortalité, déportation).
Le vocabulaire du cours
L’abolitionnisme : Mouvement en faveur de l’abolition de la traite et de l’esclavage.
Le Code de l’indigénat : Code de lois appliqué aux seuls indigènes, considérés comme inférieur aux Français (sujets et non citoyens de la France)/ Ce code leur retire des droits politiques et leur impose des peines juridiques plus lourdes.
Un colon / un indigène : Un colon est un habitant d’une colonie originaire de la métropole, et ses descendants. / Un indigène (ou autochtone) est une personne originaire d’une colonie.
L’impérialisme : Domination militaire, économique, politique ou encore culturelle exercée par un pays sur un autre.
Une métropole / une colonie : Une métropole est la puissance coloniale qui conquiert, occupe, exploite et administre un empire colonial. / Une colonie est un territoire conquis, occupé, administré et exploité par une métropole.
Fiche de révision du cours : les objectifs de l'évaluation
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Pour aller plus loin !
Le site du musée de l'histoire de l'immigration peut être visité virtuellement ou physiquement. Cliquer ici ou sur la photographie ci-contre.