01 janvier 1970

New York (Fillmore East) [Premier concert]

Titres :
1. Who Knows
2. Machine Gun
3. Them Changes
4. Power Of Soul (Crash Landing/Paper Airplanes)
5. Stepping Stone (Trying To Be)
6. Foxy Lady
7. Stop
8. Earth Blues
9. Burning Desire

Les deux premiers titres constituent la face 1 de l'album "Band Of Gypsys" publié du vivant de Jimi Hendrix, "Foxy Lady" fut disponible sur le "Band Of Gypsys 2" publié en 1986 puis en tant que bonus track sur la réédition de 1991 du "Band Of Gypsys", mais pas sur le "Live At The Fillmore East" sorti en 1999, qui reprend le reste du concert.
Les doutes suscités par la seconde performance du BOG se dissipent dès les premières mesures de Who Knows, Hendrix introduit les quelques notes qui servent de colonne vertébrale au morceau, rapidement doublées par la ligne de basse ternaire de Billy Cox, blues et funky à la fois, le riff est servi par un Buddy Miles magistral, qui joue "au fond du temps"... ou comment un très subtil décalage (ce n'est pas une syncope) peut créer un GROOVE imparable, beaucoup de groupes ont repris la rythmique de "Who Knows", qui semble si facile... mais bien rares sont les batteurs capables de dégager une telle force tout en jouant décontracté, une leçon de rythme.
Le premier couplet met en scène Jimi et Buddy qui se répondent : le Band Of Gypsys est ici à des années lumière du Jimi Hendrix Experience, cette musique a la peau noire, et baigne sous un ciel sans nuage., le premier solo de Jimi est concis, mais parfaitement ciselé : l'improvisation ne souffre d'aucune hésitation, Hendrix alterne des traits blues et funky, avec un son quasiment clair rendant le phrasé de Jimi presque palpable.
Jimi chante seul le second couplet, sa guitare rythmique finissant par faire corps avec ses lignes vocales, Hendrix attaque un deuxième solo dans un style très différent du premier : wah wah, feed back, son jeu est plus agressif, arraché, dans ce registre, il n'a tout simplement aucune concurrence.
Les aléas du Live font parfois sa magie : une corde cassée devient l'occasion d'un troisième couplet chanté par Buddy Miles qui donne le meilleur de lui-même, dans son élément, il enchaîne avec un scat très guitaristique particulièrement enlevé, Hendrix rejoint ses deux compères alors que la rythmique est presque susurrée, son troisième solo est de loin le plus radical : la combinaison Octavio plus wah wah a un rendu proche d'une voix cassée improbable, mais la part d'aléatoire d'un matériel qui est désormais archaïque est consubstantielle à la musique de Jimi, qui se nourrit de risque et de fantaisie.
"Bonne année tout d’abord, j’espère que vous en aurez un ou deux millions de plus… si nous arrivons à dépasser cet été. Nyeh heh heh.
Nous aimerions dédier celle-ci à, uh, c’est un genre de scène vraiment ennuyeuse qui se prolonge, tous ces soldats qui se battent à Chicago, Milwaukee et New York… Ah oui, et tous ces soldats qui se battent au Vietnam.
J’aimerais faire un truc qui s’appelle Machine Gun."
C'est ainsi que Jimi Hendrix présente Machine Gun, dont c'est la version soundboard la plus impressionnante jamais publiée à ce jour, l'introduction est suivie d'un solo inquiétant, qui nous plonge dans l'humidité rampante du Vietnam, plus suggérées que jouées franchement, les notes font leur chemin comme les GI's en territoire hostile, sur "Voodoo Chile", Hendrix poussait le blues dans ses derniers retranchements mais en respectant une architecture musicale relativement traditionnelle (les douze mesures du blues, son rythme).
Avec "Machine Gun", Hendrix aborde le stade ultime de son évolution, mais si l'on peut attribuer la paternité de l'absence d'accord et du type de phrases chantées à un John Lee Hooker, la fusion chant/guitare opérée ici par Jimi dépasse de très loin tout ce qui précède en terme de liberté, Billy Cox et Buddy Miles proposent alternativement (mais pas forcément aux mêmes moments) deux types de rythmiques chacun, contribuant ainsi au climat oppressant du titre, si les versions du Band Of Gypsys sont à ce point différentes de celles du Cry Of Love Band, c'est parce que Buddy Miles et Mitch Mitchell ont une philosophie du jeu diamétralement opposée : Buddy Miles rebondit sur la ligne de basse là où Mitch Mitchell colle au soliste, ce premier janvier 1970, force est de reconnaître que Buddy Miles sert au mieux la musique de Jimi, alternant groove et rythme martial évoquant la mitrailleuse éponyme.
Le solo débute par deux tirés INFINIS où Hendrix exprime plus avec une seule note que tout ce qui a pu être écrit ou filmé sur le Vietnam, douleur et compassion se fondent dans un cri déchirant, de longues phrases gorgées de blues précèdent des trilles modulés au vibrato qui se meurent dans le feed back, la batterie se fait mitraillette... les amplis de Jimi hurle l'horreur de la guerre dans un déluge de cris, de bombes…Hendrix réalise plus qu'un synthèse du blues et du free jazz : il les dépasse, transcende ces styles.
Jimi ré-accorde son Mi grave alors que Billy Cox lance le riff "No Quarter", il chante un dernier couplet où le malaise est décuplé par les choeurs (justes cette fois-ci) qui descendent chromatiquement, sur le même accompagnement, Jimi se lance dans le solo le plus radical de toute sa carrière, plus de note frettée, plus de mélodie ici : Vibrato, feed back et percussions servent un discours qui se moque des conventions, là encore, la fulgurance de la maîtrise instrumentale au service de l'émotion culmine au génie : Hendrix est un virtuose au sens noble du terme, qui sert la musique, et non son ego.
Buddy Miles chante l'ultime couplet de "Machine Gun" avec ses tripes, sans tomber dans le pathos, le solo final nous plonge en climat aquatique (Hendrix joue de la seule main droite, se servant de la gauche pour le vibrato), bruitiste et finalement apocalyptique... Changement radical d'ambiance avec le Them Changes de Buddy Miles, moins lourd émotionnellement bien sûr., les deux couplets sont excellents, si ce n'est le "Ah-Ouuhh" chanté par Buddy lors de la transition où il est complètement faux !
Jimi se contente d'un solo très court avant de laisse le devant de la scène à Buddy, égal à lui-même dans son rôle du Soul Brother, Hendrix reprend les commandes avec un Power Of Soul dont la structure complexe est pourtant maîtrisée de bout en bout, l'intro instrumentale, qui dure plus de trois minutes, est le théâtre de l'intensité du jeu de Jimi, décidément en forme pour ce premier concert, ses tirés sont fiévreux, superbement servis par la puissance de feu de la section rythmique, le chant de Jimi sur les couplets est bien senti, sa voix traînante à souhait, le premier refrain est chanté par le seul Buddy Miles, rejoint par Jimi sur le second.
Vient alors Stepping Stone, dont c'est la dernière version Live, de même que la veille, le chant de Jimi laisse à désirer, surtout comparé à la version studio, ses variations de timbre sont un peu perturbantes, la section rythmique assure pourtant sa mission lors des couplets, la partie instrumentale alterne passages où guitare et basse jouent à l'unisson avec des passages où Hendrix est en solo, malheureusement, les changements de tempo de Buddy Miles ne collent pas toujours avec les changements de structure... Le tout manque manifestement de cohérence, Hendrix explique d'ailleurs au public que ces titres sont nouveaux, qu'ils les font à leur sauce aujourd'hui, et qu'ils seront différents demain. Aveu d'échec ?
C'est donc logiquement que le groupe continue avec Foxy Lady (qui sera d’ailleurs le seul classique de l'Experience de la soirée), je trouve que le jeu de Billy Cox se marie sur ce titre mieux avec celui de Buddy qu'avec celui de Mitch, sur le passage chanté, la guitare souffre de quelques problèmes de justesse qui restent toutefois supportables. , Jimi se lance ensuite dans un long solo, sauvage à souhait, après un bref retour en rythmique (et une guitare très désaccordée), Hendrix repart en solo, il retente un plan en tirés à l'unisson dans une veine proche de celui joué la veille sur "Stone Free", malheureusement guère moins confus, en revanche, le trait mêlant feed back et vibrato joué à 4:29 est splendide.
Hendrix nous gratifie enfin d'un final digne des plus belles heures de l'Experience, Jimi tente de se réaccorder au plus vite avant d'annoncer à l’audience que Buddy Miles va jouer un truc appelé Stop, Jimi n'est pas parfaitement juste, mais le métier est là : il sauve les meubles avec professionnalisme, le premier solo, assez blues par ses tirés, est joué avec un son clair, mettant l'accent sur la mélodie......qui contraste avec le second solo, autrement plus agressif tant par le phrasé que par le son (Cf. l'usage de l'Octavio, dans une veine proche de "Who Knows"), on notera sinon que les choeurs du trio sont bien au point.
O
n plonge ensuite directement en plein Earth Blues avec un premier solo : très saturé, intense, mais imparfait, Billy Cox nous gratifier de quelques variations de lignes de basse intéressantes, le second solo de Jimi est totalement bruitiste, digne d'un Sonny Sharrock, avant un passage en octaves commençant sur les bases de la version studio.
Hendrix salue la foule
En rappel de ce troisième concert, le Band Of Gypsys propose la dernière version Live jamais jouée de Burning Desire, après une intro à la wah wah, le groupe attaque bille en tête, contrairement à Stepping Stone, la mise en place est très réussie malgré les arrangements hyper complexes (c'est sans doute le titre avec le plus de ruptures de tout le répertoire Hendrixien !), Jimi attaque son solo par un passage en octaves avec un son presque clair, les interventions en tant que soliste sont entrecoupées par une figure comportant de rapides changements d'accords, on a le droit à un excellent solo très rythmique (et un Hendrix manifestement concentré).
Vient ensuite le passage laid back, où Hendrix joue des traits bluesy du plus bel effet (en son clair), la reprise up tempo est maîtrisée de bout en bout (que de breaks successifs !), avant un ultime solo là encore très rythmique.
Conclusion : A ce stade, c'est le meilleur concert du Band Of Gypsys, si la performance souffre de quelques faiblesses absentes du premier concert, les moments forts sont tellement puissants qu'on se doit d'en faire abstraction, "Machine Gun" pourrait être le point d'orgue de son oeuvre.
Le génie Hendrixien se caractérise notamment par la prise de risque, voire la mise en danger ; et si les concerts du guitariste suscitent aujourd’hui encore un tel intérêt, c’est justement en raison de la spontanéité de ses performances.
Le concert est désormais disponible sur le coffret consacré aux quatre concerts livrés par le BOG au Fillmore : Songs For Groovy Children: The Fillmore East Concerts

New York (Fillmore East) [Second concert]

Titres :
1. Stone Free
2. Power Of Soul
3. Changes
4. Message To Love
5. Machine Gun
6. Lover Man
7. Steal Away
8. Earth Blues
9. Voodoo Child (Slight Return)
10. We Gotta Live Together
11. Wild Thing
12. Hey Joe
13. Purple Haze

La face 2 de l'album "Band Of Gypsys" publié en 1970 est entièrement consacrée à cette dernière performance du groupe au Fillmore East, on retrouve ainsi "Them Changes" (sous le nom de "Changes") et "Message To Love" a priori dans leur intégralité, par contre, les versions de "Power Of Soul" et "We Gotta Live Together" sont éditées, on retrouve le reliquat sur le "Live At The Fillmore East", ainsi qu'une version plus complète de "We Gotta Live Together", même si elle reste elle aussi largement éditée.
Le répertoire a une tonalité sensiblement différente des trois autres concerts (surtout vis-à-vis de ceux donnés en début de soirée) : nouvelles compositions et classiques de l'Experience sont représentés dans des proportions comparables, il est difficile de spéculer sur les motivations d'un tel recentrage : volonté de "casser la baraque" en alignant les tubes, enregistrement des classiques de l'Experience dans la perspective du Live, envie de se faire plaisir, désir de ne pas jouer les mêmes titres que lors des précédents concerts...
Le show commence ainsi avec les harmoniques de
Stone Free, titre phare de l'Experience dont la version studio ouvre la face 2 de l'édition américaine de "Smash Hits", publiée quelques mois plus tôt, comme la veille, le groupe s'approprie la composition de manière intéressante, le jeu de Buddy Miles est moins axé sur ses toms, plus sobre, son jeu, plus relâché sur le second couplet, gagne à être épuré, son apport vocal sur les refrains donne une nouvelle saveur appréciable, après le deuxième refrain, Hendrix se lance dans un long solo très saturé, sur la même rythmique que la veille (Billy Cox martèle le riff final d'"Astro Man").
Hendrix apprécie particulièrement ce type de contexte : l'absence de changement d'accord lui donne une grande liberté harmonique, laissant sa seule imagination comme fil rouge de ses improvisations, feed back, vibrato, jeu en octaves, tensions harmoniques, variations rythmiques... Hendrix s'exprime avec le langage qu'il a créé, unique, on notera qu'Hendrix cite très brièvement le thème de "Little Drummer Boy"... intégré peut-être un peu vite dans la setlist par le site officiel (sauf à ce qu'il en existe une version inconnue à ce jour... ce qui est peu probable),
Buddy Miles improvise ensuite un scat d'une minute trente, suivi par un passage semi-free où Hendrix joue au percussionniste sur son instrument... avant de procéder à un court lancer de bombes proche de celui joué sur "Machine Gun" quelques heures plus tôt.
Le groupe reprend le riff énergiquement et embraye avec le dernier refrain, la transition est impeccable, le coda de la veille sur deux accords se prolonge par un superbe passage chanté où Jimi improvise autour des paroles ("I've gotta be free") avant de repartir dans un nouveau solo, où il joue en octaves avec un son clair dans un style similaire à celui de "Burning Desire".
Hendrix souhaite une bonne année à l'audience.
Jimi attaque l'introduction de
Power Of Soul, ponctuée par Buddy et Billy avant de laisser résonner un accord suivi d'un "Aaahh !" du gargantuesque Buddy Miles, c'est tout du moins ce qui se passe sur l'album car Hendrix a édité tout ce qu'il avait entre cet accord et le cri de Buddy Miles, on bascule ainsi directement sur un formidable solo de Jimi, remarquable d'intensité : preuve qu'un cut bien placé n'est pas toujours une mauvaise chose, la conséquence logique est une rapide entrée en matière du premier couplet chanté par Jimi (alors que c'est Buddy qui chante seul le premier refrain), contrairement aux versions précédentes, Jimi développe le solo central, enclenchant fuzz et Octavio pour un rendu fantastique, où sa guitare hurle véritablement, il joue avec une autorité le rapprochant plus d'un saxophoniste ténor que d'un quelconque guitariste !
Hendrix joue à merveille de sa voix lancinante lors de la reprise,
Buddy Miles attaque seul le refrain, ce coup-ci, c’est Jimi qui lui répond (inversant ainsi les rôles avec "Who Knows", au bout du compte, nous avons une version phénoménale de "Power Of Soul", et confirmation de la rigueur de Jimi en tant que producteur : Hendrix faisait manifestement une excellente autocritique de son Oeuvre.
La quatrième et dernière version du
Them Changes de Buddy Miles fonctionne elle aussi à plein régime, Hendrix écrase le riff des cuivres à la wah wah alors que le groupe bastonne derrière, le solo de Jimi est le plus abouti, puissant et funky à la fois, là encore, Hendrix ne s'est pas trompé en retenant cette version.
Une question se pose tout de même : cette version ne serait-elle pas éditée ? Lors des trois précédents concerts, Buddy développe son numéro de preacher un bon petit moment alors qu'ici, ce passage est très resserré... d'autant que les gens claquent des mains dès la fin du solo de Jimi, avant même un "Everybody ! Clap your hand !"
Un petit cut de Jimi en studio à la fin de son solo n'est pas à exclure...
On enchaîne avec
Message To Love, dans ce qui reste, IMHO, la meilleure version jouée par Jimi, studio et live confondus, la composition tranche avec son travail antérieur, vous imaginez Noel Redding jouer une ligne pareille ? Musicalement, tout est là : une basse dynamique, le drive de Miles, et un chant communicatif, le premier solo, très saturé, est maîtrisé de bout en bout, et remarquablement construit, le niveau d'énergie, pourtant très haut dès le départ, ne retombe jamais, le second solo est dans une veine similaire, mais peut-être moins intense (il a de petits problèmes de justesse au début).
C'est donc avec une guitare légèrement désaccordée que Jimi lance le riff en octaves de
Earth Blues, le son n'étant pas trop saturé, les dégâts sont limités, malheureusement, le chant de Jimi est cette fois-ci très moyen (surtout comparé à la version studio publiée en 1971), Hendrix se lance rapidement dans un long solo aventureux, mais assez inégal, les idées se bousculent mais ne sont pas toujours en place, techniquement, on a vu Jimi plus rigoureux, et les soucis de justesse n’arrangent rien.
A noter l'excellence de la ligne de basse de
Billy Cox relançant efficacement le solo malgré le rythme imperturbable de Buddy Miles.
Hendrix commence l'introduction de Machine Gun sans même se ré-accorder (ce qui vaudra d'ailleurs aux premières mesures d'être éditées sur "Live At The Fillmore East"), et c'est tout à fait regrettable, car Jimi part sur des bases pour le moins instables, voire douteuses, contrairement à la version légendaire jouées quelques heures auparavant, les parties où guitare et chant sont à l'unisson sont réduites à la portion congrue, et les couplets nettement moins forts, Hendrix enclenche son fuzz dès qu'il lance le riff "No Quarter", et part aussitôt en solo.
Les choeurs avec la descente chromatique sont présents eux aussi, ils contribuent utilement à installer un malaise que ne dissipe pas un solo des plus furieux de Jimi, très original, sa technique de soliste permet de cacher les problèmes de justesse, qui sont moins flagrants dans le contexte volontairement dissonant de ce passage, solo intéressant donc, même si Kramer en a édité la fin, où Hendrix reprend le riff désaccordé comme jamais.
Le coeur n'y est pas forcément lors du couplet suivant...
Un échange de tirs entre Hendrix et Miles (où Buddy joue curieusement hors tempo par moments) précède un solo free de Jimi, mélangeant feed back et percussions, Hendrix dresse ensuite une montagne de saturation, déverse un flot de bombes sur le Fillmore puis termine en citant "Taps".
De bons moments... mais trop inégal.
Je pense que Kramer aurait pu nous faire l'économie des deux prises de "Machine Gun" présentées sur le "Live At THe Fillmore East" : elle ne rajoutent rien à la version publiée du vivant de Jimi... qui doit se retourner dans sa tombe à l'écoute d'une guitare à ce point désaccordée.
Hendrix présente ensuite "l'hymne national des Black Panthers" :
Voodoo Child (Slight Return), les problèmes de justesse se sont envolés, et c'est une superbe version présentée ici par le Band Of Gypsys, plus groove bien sûr, le jeu de Billy Cox se marie manifestement bien avec celui de Buddy Miles, il semble plus à l'aise avec une assise rythmique métronomique, le premier solo, typique de Jimi, est à la hauteur de ce qu'on peut attendre de lui en matière d'intensité, le second présente aussi de bons passages, même si les octaves de Jimi ne sont pas toujours justes, au final, c'est une relecture intéressante, relativement courte comparée aux versions de l'Experience.
Mais le groupe enchaîne sans interruption sur le Buddy We Gotta Live Together Miles show.
We Gotta Live Together, dernier titre chanté au Fillmore par Buddy Miles, est en fait très différent du titre qu'il a enregistré en studio, a l'origine, Miles voulait faire un clin d'oeil à Sly & the Family Stone et son "Everyday People", Jimi lance ici le riff d'un autre titre de Sly : "Sing A Simple Song" et c'est plus prétexte à une jam qu'autre chose en fait.
Extrait d'une interview d'Eddie Kramer, alors qu'il remixait la version CD du "Band Of Gypsys" :
"Je me souviens très bien de Jimi râlant lorsque l'on en venait au matériel solo de Buddy qui n'en finissait plus. Jimi disait un truc comme "Nom de dieu, Buddy, tu vas la fermer !" On a dû procéder à beaucoup de cuts pour améliorer tout ça, je veux dire par là qu'il adorait jouer avec Buddy... ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, c'est juste que par moments, Buddy pouvait être un peu excessif et que Jimi trouvait approprié de procéder judicieusement à des cuts."
Il tempère toutefois (ce qui explique de son point de vue la nouvelle version présentée sur le "Live At The Fillmore East") :
"J'écoute certains de ces passages édités actuellement et je grimace car je trouve ces cuts grossiers, car alors, c'est ce que nous avions réellement fait : trancher dedans pour que ça rentre dans l'album."
A titre personnel, je trouve le travail de cut de Jimi loin d'être grossier : il a pris les meilleurs passages de la Jam, les a mis bout à bout, et créé in fine un super morceau ! On verra malheureusement par la suite que tous les producteurs qui se sont penchés sur Hendrix sont loin d'avoir le même talent en la matière...
Quand le "Live At The Fillmore East" est sorti en 1999, j'avoue avoir été pour le moins surpris de voir
Wild Thing dans le répertoire du Band Of Gypsys ! La reprise des Troggs est tellement liée au répertoire des débuts de l'Experience... (il existe seulement deux versions postérieures à l'été 1968 : une au Winterland, l'autre au RAH).
Hendrix attaque furieusement l'introduction à l'Octavio, qu'il coupe lorsque le groupe entre en scène, et la sauce
Band Of Gypsys prend une nouvelle fois, pas de citation du "Strangers In The Night" de Sinatra lors du solo, mais des traits bluesy bien sentis et un final sans reprise du chant joué avec les dents, moins de trois minutes : le contraste est saisissant ! Au passage, le titre passe nettement mieux ainsi que sur le "Live At The Fillmore East", compilé sans grande cohérenc, une bonne décharge rock est effectivement du plus bel effet après l'interminable Buddy Miles show.
Hendrix remercie le public du Fillmore, et le salue...
...mais il revient pour un rappel inédit officiellement : "Hey Joe", une version de plus de
Hey Joe donc, mais par le Band Of Gypsys, Buddy Miles assure des choeurs dans l'esprit de la version studio, légèrement différents toutefois, le chant de Jimi est correct, mais sans plus, trois citations des Beatles ce coup-ci : deux fois le riff de "I Feel Fine", puis celui de "Day Tripper", le premier solo, qui dure les deux cycles habituels avant la traditionnel montée chromatique, est original mais sans surprise, il manque un peu de relief, le dernier solo de Jimi, très court, est appuyé par Buddy... manifestement moins inspiré sur ce tempo que Mitch Mitchell !
Pour finir en beauté, Jimi lance un
Purple Haze énervé (le premier couplet balance bien), mais très brouillon : il zappe des paroles pendant le second couplet, et rencontre de gros problèmes de justesse qui plombent définitivement l'exposé du thème après le solo central (où Jimi sauve toutefois les meubles) ainsi que le dernier couplet, je soupçonne ses deux compères de ne pas s'arrêter à temps lorsque Jimi joue le coda avec ses dents.
Conclusion : Une ultime performance très inégale du
Band Of Gypsys, des moments magiques, de l'intensité... mais aussi des longueurs et des ratés, la face 2 du "Band Of Gypsys" est le condensé idéal de ce dernier concert au Fillmore, les premiers shows des deux jours s'avèrent sans conteste supérieurs aux seconds, et la journée du 1er janvier plus dense que celle du 31 décembre, le troisième concert compte ainsi parmi les moments forts de la carrière de Jimi... alors que le deuxième est réservé aux seuls amateurs.
Si l'album édité en 1970 reprend la quintessence des concerts au Fillmore, l'idée d'un "Band Of Gypsys II" était intéressante, malheureusement, les deux tentatives publiées à ce jour s'avèrent décevantes. Le "Live At The Fillmore East" pèche par excès là où le "Band Of Gypsys 2" manque de consistance...
Le concert est désormais disponible sur le coffret consacré aux quatre concerts livrés par le BOG au Fillmore : Songs For Groovy Children: The Fillmore East Concerts