09 janvier 1969

Stockholm (Konserthuset) [Premier concert]

Titres :
1. Killing Floor
2. Spanish Castle Magic
3. Fire
4. Hey Joe
5. Voodoo Child (Slight Return)
6. Red House
7. Sunshine Of Your Love

Les deux concerts donnés par l'Experience au Konserthuset de Stockholm le 9 janvier 1969 ont été enregistrés professionnellement, mais seul le premier a été filmé, dans le cadre de l'émission suédoise "Number Nine", les deux derniers titres sont disponibles officiellement : ils font partie des bonus du DVD "Experience" publié en 2001, il faut souligner la qualité audio exceptionnelle de l'enregistrement.
J
anvier 1969 : L'ambiance au sein de l'Experience s'est considérablement dégradée, les rumeurs de séparation du groupe fleurissent alors dans la presse musicale anglaise, Disc & Music Echo parle même de Noel Redding comme étant l'ex-bassiste de l'Experience. Noel Redding ne cachait d'ailleurs pas son intention de s'investir dans son propre groupe, Fat Mattress, le film du premier concert est édifiant : l'ambiance au sein du groupe est délétère, à ce stade, ils ne se donnaient même plus la peine de faire semblant, Jimi semble totalement désabusé, et ne manifeste aucun enthousiasme pour ce début de tournée européenne.
"Et maintenant, un peu d'Electric Church Music, oui, c'est ainsi que le groupe aime appeler sa musique. Et le groupe... Le Jimi Hendrix Experience ! " Plutôt qu'attaquer dans la foulée, Jimi salue la foule et dédie le concert à la société des déserteurs américains puis à Eva Sundquist, une déesse d'Asgard : And The Gods Made Love !
"Nous n'avons pas joué ensemble depuis 6 semaines [ce n'est pas tout à fait exact : outre leur prestation TV au Happening For Lulu , ils ont joué la veille à Göteborg], alors nous allons jammer ce soir, et voir ce qui arrive, j'espère que ça vous convient ? Juste déconner et voir ce qui se passe ", il rajoute pour lui-même en s'écartant du micro chant (mais les micros le repique tout même) que "de toute façon, vous ne verrez pas la différence... " Pas sûr, car la différence entre la version de Killing Floor jouée ici et celle de Monterey est abyssale, tout va de travers : l'introduction de Killing Floor en solo de Jimi est poussive, Mitch est l'ombre de lui-même, Noel lourd... ça commence mal.
"On aimerait faire un truc enregistré en 1733 au Benjamin Franklin Studios, un truc qui s'appelle "Spanish Castle Magic"..." Mitch Mitchell est décidément en très petite forme : il massacre l'introduction de Spanish Castle Magic, Jimi chante sans passion le premier couplet, et zappe entièrement le premier refrain, il ne chantera que le premier vers du second, aussi incroyable que cela puisse paraître, le solo que Jimi plombe sur Spanish Castle Magic est par moment hallucinant : il réussit à traduire le malaise ambiant de façon étonnante, certaines phrases évoquent même le John McLaughlin du Mahavishnu Orchestra, par leurs dissonances... (alors que ce dernier ne jouait pas encore ainsi).
Jimi explore au-delà des contraintes harmoniques dans un solo free complètement névrotique : les spectateurs qui pensaient se rendre à un concert de rock ont dû être surpris
, l'improvisation prend toutefois l'eau sur la fin, manquant de direction, Jimi reprend le riff, mais ne se donne pas la peine de chanter le dernier refrain : il arrête le titre presque aussitôt.
Le jeu de mots est facile, mais force est de reconnaître que c'est un Fire bien éteint que le groupe nous propose ici, le groupe n'est pas en place : Mitch n'a jamais aussi mal joué, Jimi se trompe dans les paroles... quand il prend la peine de les chanter, Jimi joue ses solos par habitude : ils sont mécaniques, sans vie.
Les choses ne s'améliorent pas sur Hey Joe : la prestation est terne, sans la moindre inspiration, après le solo central, Jimi ne chante que quelques bribes.
"On nous demande de jouer un truc qui s'appelle "All Along The Watchtower" mais j'ai oublié les paroles, donc nous ne ferons pas celle-là. Nous ne l'avons jamais joué en concert auparavant, nous l'avons seulement enregistrée, parce qu'on l'aimait. Je suis vraiment désolé." Il peut l'être : c'était le plus gros hit scandinave du groupe ! Jimi se plaignait de toujours jouer les "mêmes vieux morceaux"... mais n'apprend pas ses propres hits, il propose de jouer Voodoo Child (Slight Return) à la place.
On part là encore sur de très mauvaises bases : Mitch Mitchell rate complètement l'introduction, le groupe est manifestement à côté de la plaque : la seule émotion qui passe ici est la lassitude, l'énergie, consubstantielle à la musique de l'Experience, est totalement absente. Après le dernier couplet, Jimi quitte la scène avec un comportement pour le moins étrange... Noel Redding se lance dans un solo de basse sans le moindre intérêt, cédant la place à Mitch Mitchell qui relève à peine le niveau, Jimi délaisse sa Fender Stratocaster et s'arme d'une Gibson SG blanche pour jouer Red House, dès les premières mesures, l'espoir suscité par un titre rarement raté retombe très vite : la version est pathétique, sans aucune inspiration, la palme revient ici à Noel Redding : s'il joue mal durant l'introduction et les couplets, il fait carrément n'importe quoi pendant le solo central, mais Jimi fait très fort lui aussi : il reprend le dernier couplet en plein milieu d'un cycle de 12 mesures...
Le groupe enchaîne avec le Sunshine Of Your Love de Cream : c'est ici le genre d'hommage dont Clapton aurait pu se passer, Jimi et Noel ne sont pas en phase lors de l'exposé du thème... Jimi cite "Outside Woman Blues" avant de laisser la place à Noel, dont la vacuité du solo est sidérale, Jimi se lance dans la mêlée, avec comme résultat une mauvaise caricature de Cream, il revient rapidement au riff de "Outside Woman Blues", suivi par Noel, avant de conclure en reprenant le thème de Sunshine Of Your Love
Au final ? Le pire concert de l'Experience ?

Stockholm (Konserthuset) [Second concert]

Titres :
1. I Don't Live Today
2. Spanish Castle Magic
3. Hey Joe
4. Voodoo Child (Slight Return)
5. Sunshine Of Your Love
6. Red House
7. Fire
8. Purple Haze
9. Star Spangled Banner

Le contexte de ce second concert du 9 janvier 1969 est simple : l'Experience vient de donner l'un de ses pires concerts quelques heures plus tôt, le groupe va-t-il profiter de cette deuxième chance pour remettre les pendules à l'heure ?
Après quelques rires que l'on pourrait sans doute qualifier de psychédéliques, Jimi dédie le concert "à l'organisation des déserteurs américains", puis débute par une version très longue de
I Don't Live Today, rarement joué en ouverture, les couplets sont interprétés correctement : l'Experience a retrouvé une part de l'énergie qui lui faisait tristement défaut lors du premier concert, il y a quelques flottements dans la mise en place, mais le premier solo de Jimi, relativement court, ne présente rien d'alarmant, par contre, on sent que Jimi se bat avec sa musique lors du second solo, long et inégal.
Spanish Castle Magic part sur de meilleures bases que la version jouée quelques heures plus tôt : Jimi se donne la peine de chanter le premier refrain... mais il ne chante qu'avec parcimonie les seconds couplet et refrain, le solo central de Jimi ne commence pas trop mal, mais la suite manque de cohérence, de ligne directrice et la reprise du chant nous laisse entendre un cafouillage monumental, montrant le manque de répétitions et le manque d'écoute.
Hey Joe retrouve son introduction à rallonge, avec une citation de "Taps" en prime, elle se termine malheureusement par une erreur manifeste de mise en place : Jimi joue le début de l'introduction du disque au mauvais moment...
Heureusement, Jimi s'implique cette fois-ci dans son chant et les
Beatles sont à l'honneur : après l'habituelle citation de "I Feel Fine", Jimi joue le riff de "Day Tripper", le solo central, plutôt réussi, est étonnamment long : Jimi continue son solo après l'habituel passage chromatique.
En net progrès donc.
"On a sorti cet album qui s'appelle "Electric Ladyland", eEt il n'y a qu'une seule chanson dont on se souvient, parce que, je sais pas, c'est comme un, je sais pas, c'est comme un journal ces albums vous savez ? C'est pour ça qu'on ne les joue pas forcément sur scène tout le temps, ce qu'on aime, c'est jammer sur scène vous savez, parce que nous n'avons pas joué ensemble depuis environ six semaines de toute façon.
J'aimerais dédier cette chanson à toutes les personnes qui sentent et pensent vraiment pour eux-mêmes et se sentent libre, un truc qui s'appelle
Voodoo Child (Slight Return), un mec chante, vous savez, il s'échafaude lui-même, vous voyez ce que je veux dire, il n'y a vraiment rien de mal là-dedans."
Mais il demande à Noel : "J'ai oublié ce que je viens de dire. Quelle chanson fait-on ?" qui lui répond "C'est en Mi. Mi."
A la dérive ?
Après un premier couplet correct, Jimi joue un solo central calqué sur celui de la version studio de
Voodoo Child (Slight Return), mais en moins brillant, après une fin de second couplet un peu brouillonne, Jimi se lance dans un second solo où Mitch tente de lui donner la réplique, à défaut de créativité, on peut noter plus d'envie... Mais le solo sombre assez rapidement, une seconde citation du "Day Tripper" des Beatles trahissant la confusion et le manque d'inspiration de Jimi ce jour-là.
Le groupe enquille aussitôt avec
Sunshine Of Your Love, dont le thème est joué énergiquement, mais lesté par une guitare pas tout à fait juste, suit un solo de basse de Noel Redding où l'on s'ennuie ferme, Jimi tente vainement de reprendre les choses en main, et laisse la place à Mitch qui se lance dans un solo de batterie assez nerveux, avant un retour au thème.
A un spectateur qui réclame sans cesse "Wild Thing", Jimi répond "Tu vis dans le passé !", et enchaîne avec
Red House, annoncée par Noel Redding, sans être inoubliable, les deux premiers couplets de Red House montrent une amélioration, au lieu de partir en solo, Jimi improvise un troisième couplet : doit-on mettre cette innovation sur le compte de la spontanéité ou de la défonce ?
Le solo central est catastrophique, rarement Jimi s'est montré aussi transparent sur un blues, Mitch se montre particulièrement mauvais lors du deuxième cycle de solo... égalant ainsi Noel et ses horribles lignes de basse, Jimi touche le fond au début de son troisième cycle de solo : il répète la même phrase indéfiniment durant les premières mesures, se montrant là aussi peu inspiré qu'un Alvin Lee...
Le groupe joue ensuite une version de
Fire à peine meilleure que celle jouée quelques heures plus tôt, si Jimi chante un peu plus, ce n'est forcément très bien, et son solo central est catastrophique.
L'Experience enchaîne directement sur
Purple Haze, dans une version particulièrement faible : la transition entre le thème et les couplets est complètement loupée, et les deux premiers couplets manquent terriblement de puissance, plus grave, lors du solo central, il est manifeste que chacun joue dans son coin, Noel tente d'improviser, mais il n'a pas le huitième du talent d'un Jack Bruce en la matière...
Jimi s'abstient de chanter une large partie du dernier couplet... retombant dans les travers du premier concert, dans la foulée il joue
Star Spangled Banner, l'exposé du thème n'a rien d'impressionnant, Mitch place ses plans de batteur de free jazz, mais chaque musicien reste dans sa bulle : il n'y a plus aucune écoute, le manque de communication sur le plan humain se traduit sur le plan musical, à ce stade, l’Experience semble au bord de l'implosion.
Au final ? Etrangement, ce concert jouit d'une bonne, voire très bonne réputation, peut-être est-ce parce que le premier concert est tellement raté que, au moins dans un premier temps, celui-ci peut passer pour un bol d'air frais ?
Il n'en est malheureusement rien : la seconde performance est certes moins catastrophique que la première, mais c'est sans hésiter l'une des pires de Jimi.