11 octobre 1968

San Francisco (Winterland) : 11 octobre 1968 [Premier concert]

Titres :
1. Are You Experienced*
2. Voodoo Child (Slight Return)
3. Red House
4. Foxy Lady
5. This Is America (Star Spangled Banner)
6. Purple Haze
* Virgil Gonsalves (Buddy Miles Express) : flûte
Avant d'aborder la matière musicale du troisième concert donné au Winterland, il est intéressant de voir comment
Noel Redding et Mitch Mitchell ont vécu, de l'intérieur, cette série de concert.
"Nous avions dépassé le point où nous étions encore capables de monter sur scène et de laisser nos problèmes de coté au moment où nous jouions... Je me tenais là, avec une profonde rancœur qui restait, j'en avais définitivement marre du style de Jimi, et son coté lunatique."
(Extrait de l'autobiographie de
Noel Redding)
"Nous essayons toujours de faire quelque chose de spécial au Winterland ou au Fillmore, lors de ces concerts, nous avons sans doute plus jammé, et beaucoup d'invités comme
Jack Casady, Virgil Gonsalves et Herbie Rick, du groupe de Buddy Miles."
(Extrait de l'autobiographie de
Mitch Mitchell)
Le contraste entre les deux témoignages est frappant :
Noel Redding est aussi aigri que Mitch Mitchell est enthousiaste, il faut noter que l'orientation musicale prise par le groupe était certainement plus de nature à satisfaire les aspirations jazz de Mitchell que la tentation pop de Noel Redding.
Le regard de
John McDermott mérite lui aussi qu'on s'y attarde, dans son premier livre consacré à Hendrix, sorti en 1992 (Hendrix: Setting The Record Straight), il est plutôt sévère sur les prestations du groupe, il estime que même le mixage de Douglas n'arrive pas à cacher les problèmes de justesse de Jimi et que le manque de cohésion et de répétitions du groupe est tout à fait perceptible, y compris par les non-spécialistes.
Le premier concert donné le 11 octobre 1968 affiche une setlist quasi identique à celui donné la veille, "Like A Rolling Stone" en moins.
C'est donc avec
Are You Experienced que le groupe ouvre le bal, Virgil Gonsalves à la flûte n'a pas le talent de Roland Kirk et en outre, l'ensemble manque de force sur la distance, Hendrix rencontre quelques problèmes de justesse sur la version qui suit de Voodoo Child (Slight Return), un peu lourd, l'ensemble ne décolle pas véritablement, le manque de mise en place fait parfois penser à une chute de studio en cours d'élaboration, encore un titre qui aurait pu rester dans les cartons.
Hendrix présente ensuite un titre enregistré en 1835, largement ignoré du public américain car absent (au grand regret de Jimi) de la version US de leur premier album :
Red House, le premier cycle de 12 mesures du solo est étonnant : Hendrix attaque avec un son très tranchant (même s'il fait un sacré pain à un moment) alors que Noel Redding joue une ligne de basse pour le moins étrange, qui passe mieux quand Mitch Mitchell met le turbo au début du second cycle, à ce stade, l'hostilité entre Redding et Hendrix est presque palpable musicalement.
Le troisième cycle est marqué par le passage en accords percussifs en contretemps, presque jazzy... mais, contrairement à la veille, Jimi reprend le chant tout de suite après, il change la fin du dernier couplet de façon plus radicale encore que la veille :
"Si mon bébé ne m'aime plus...Seigneur je sais très bien que sa sœur grassouillette au gros cul le fera... Heu, laissez-moi le dire correctement !...Sa sœur le fera !"
Publiée officiellement sur le "Live At Winterland", cette version est loin d'être une des meilleures, celle jouée la veille était nettement plus convaincante.
Les débuts de
Foxy Lady sont assez laborieux : la guitare de Jimi est salement désaccordée, et il met un certain temps à attaquer le chant, il tente même de se ré-accorder avant le second refrain...
Le solo part sur les bases de la version studio, mais manque de direction, sans doute en raison des soucis techniques rencontrés.
"Je suis légèrement désaccordé" Jimi concède-t-il alors que le feedback monte pour conclure la dernière partie, le groupe se lance alors dans
This Is America (Star Spangled Banner), dans une version aussi apocalyptique que celle de la veille : ce n'est pas à Woodstock que Jimi a commencé à lancer des bombes avec sa guitare !
Le thème de "Bonanza" précède l'hymne américain, véritablement défiguré, comme la veille, le groupe conclut par
Purple Haze, dans une version qui part plutôt bien, mais ne décolle pas vraiment là non plus (avec en prime quelques soucis de justesse), Jimi se trompe dans les paroles du dernier couplet : il chante les trois premiers du deuxième !
Au final ? Un concert médiocre de l'Experience, dont la postérité se passera volontiers.

San Francisco (Winterland) : 11 octobre 1968 [Second concert]

Titres :
1. Tax Free
2. Spanish Castle Magic
3. Like A Rolling Stone*
4. Lover Man*
5. Hey Joe*
6. Fire*
7. Foxy Lady*
8. Purple Haze
* Herbie Rich ( Buddy Miles Express) : Orgue Hammond.

Le second concert donné au Winterland le 11 octobre 1968 est sans conteste l'un des plus intéressants de la série, en effet, le trio est rejoint par un organiste sur une majorité de titres, ce qui nous donne une idée de ce que la musique de Jimi aurait pu donner dans le cadre d’une formation élargie, une idée seulement car, comme nous allons le voir dans le développement qui suit, les conditions n'étaient pas certainement pas toutes réunies pour que l'expérience ait été pleinement concluante.
Un qui ne fut certainement pas convaincu, c'est
Alan Douglas qui effacera la performance de Herbie Rich sur les trois titres publiés officiellement à la fin des années 1980...
C'est avec
Tax Free que le groupe débute son quatrième concert donné au Winterland, la jam s'étire sur une vingtaine de minutes, a priori en raison de problèmes techniques obligeant Mitch Mitchell et Noel Redding à combler pendant plus de 11 minutes, la version publiée sur le "Live At Winterland" est très largement éditée : il ne subsiste rien de cet intermède.
Chris Dixon, dans ses chroniques des concerts du Winterland (sur le site "Just ask the Axis"), note que Mitch Mitchell semble rejoint par un percussionniste, et émet l'hypothèse que ce soit Jimi lui-même qui profite de son kit (à ses cotés) en attendant que son ampli soit réparé, lintermède traîne en longueur... même si Mitch Mitchell et Noel Redding font ce qu'ils peuvent pour captiver l'audience, difficile de tenir sur une telle longueur avec un seul couple basse/batterie, d’autant que l’interruption se fait dès le premier titre du concert.
Le travail de Douglas est d'ailleurs plutôt bien vu car, à ce stade, c'est la meilleure version proposée par le groupe au Winterland, le thème est parfaitement exposé par Jimi, et sa première improvisation de qualité, pour ceux qui ne possèdent pas la version complète : le groupe reprend un peu avant que Jimi ne surfe sur les harmonies du "Tomorrow Never Knows" des
Beatles, précédant un passage en feed back rappelant son travail en studio sur "Cherokee Mist".
Le groupe enchaîne avec
Spanish Castle Magic, c'est une version relativement longue qui vaut surtout pour son long solo central : la guitare de Jimi est trop désaccordée lors des deux premiers couplets/refrains, puis se ré-accorde en début de solo et se lance dans un long solo, aventureux, où les idées se bousculent de manière inspirée, le solo est loin d'être parfait tant dans sa construction qu'en terme de justesse, mais les bons passages compensent sans problème.
Commentaire final de l'intéressé : "Je suis encore désaccordé... comme d'habitude".
"J'aimerais inviter sur scène un organiste important, qui est vraiment excellent, un membre du Buddy Miles Express. Merci d'applaudir Herbie Rich à l'orgue sur le prochain titre."
Le premier titre du quartette improvisé est
Like A Rolling Stone, sur le papier, l'idée d'ajouter un orgue sur ce titre de Bob Dylan semble imparable, malheureusement, Herbie Rich n'est pas accordé avec le reste du groupe : complètement faux lors de son entrée en matière, il tente de s'ajuster... mais n'y arrive jamais parfaitement, le problème va perdurer tout le temps de sa prestation, avec plus ou moins d'intensité selon les moments, prendre le temps de s'assurer que l'orgue était accordé avec le reste du groupe aurait été plus professionnel...
La version de Douglas sur son "Winterland + 3" est à ce titre édifiante : le reste du groupe est juste, et c'est une version très réussie... sous réserve de supprimer l'orgue de
Herbie Rich donc (qu'on entend tout de même par moment, repiqué par le micro du chant !), la performance de Jimi y est même remarquable, tant au niveau du chant que pour ses traits guitaristiques "Little Winguesques", seul le final est un peu raté.
La version
Lover Man a une couleur inédite (en cela, la version n'est pas inintéressante) : mais la présence de l'orgue retire malheureusement plus qu'elle n'ajoute au titre, le jeu de Herbie Rich est trop classique pour la modernité de l'Experience, il tire le groupe vers un blues plus classique en jouant des traits sans grande originalité, un Larry Young ou un Stevie Winwood aurait certainement fait mieux.
Hey Joe est peut-être le titre où l'orgue est le plus efficace : la structure répétitive du morceau permet à l'organiste d'être un peu moins sur la brèche que lors du titre précédent, les quelques tentatives de se caler sur la fréquence du groupe ne sont pas toujours du meilleur goût, mais le résultat d'ensemble est correct.
Fire est connu des amateurs, car publié officiellement sur le "Live At Winterland"... mais en version trio (sans problème de justesse d'ailleurs), la encore, Herbie Rich propose un style d'accompagnement qui n'est pas mauvais en soi (plus Motown/R'n'B pour le coup), mais qui ne colle pas vraiment avec la modernité de l'Experience : le brûlot rock qu'est Fire y perd beaucoup de son originalité.
Alors qu'un membre de l'audience réclame "51st Anniversary", l'Experience attaque
Foxy Lady, dont un mixage trio est disponible sur le "Live At Winterland" (en prêtant l'oreille, on entend tout de même l'orgue par moments), Herbie Rich propose quelques idées intéressantes mais les soucis de justesse relative posent tout de même problème par moment, ce cinquième et dernier titre avec Herbie Rich laisse lui aussi un goût d'inachevé... et de Jam improvisée en club., sans surprise, le groupe conclut avec Purple Haze, c'est une version solide, où Jimi se trompe encore une fois de parole lors du dernier couplet, le solo central part sur les bases de la version studio puis s'en écarte totalement.
La puissance du trio joue pleinement (malgré quelques imperfections... et des amplis qui semblent fatigués), Jimi nous gratifie d'un superbe coup de slide (avec le pied de micro sans doute) lors du dernier solo, avant de finir par une petite démonstration dentaire.
Au final ? Un concert étrange :
- Il est excellent par certains aspects (le mixage des titres publiés par Douglas montre que Jimi était en forme ce soir-là, tant vocalement que guitaristiquement), mais il est lesté par les soucis techniques ("Tax Free"), de justesse de la part de Jimi ("Spanish Castle Magic") et plus encore de
Herbie Rich qui n'épargne aucun titres, là encore, dans la perspective d’un Live de l’Experience, aucun titre n’était susceptible, en l’état, de prétendre à la postérité.
Dommage…