25 avril 1970


Los Angeles (LA Forum)

Titres :
1. Spanish Castle Magic
2. Foxy Lady
3. Lover Man
4. Getting My Heart Back Together (Hear My Train A Comin')
5. Message To Love
6. Ezy Ryder
7. Machine Gun
8. Room Full Of Mirrors
9. Hey Baby
10. Villanova Junction/Drum Solo
11. Freedom
12. Star Spangled Banner
13. Purple Haze
14. Voodoo Child (Slight Return) [Incluant : Keep On Groovin']

Le concert donné le 25 avril 1970 au LA Forum marque le retour de Jimi Hendrix sur le devant de la scène : c'est la première de ce qui s'avèrera son ultime tournée américaine (le "Cry Of Love Tour"), première d'autant plus importante que c'est avec un nouveau groupe que Jimi Hendrix se présente : si Billy Cox est toujours à la basse, Mitch Mitchell est de retour derrière les futs, Mike Jeffery avait profité du fiasco du 28 janvier 1970 au Madison Square Garden pour renvoyer Buddy Miles (qui assure pourtant ici la première partie avec son Buddy Miles Express), contrairement à ce que l'interview donnée en février 1970 à John Burks (Rolling Stone) aurait pu faire croire, Hendrix n'a pas reformé l'Experience avec son line up original, le nom de cette formation est d'ailleurs toujours sujet à caution : "Jimi Hendrix Experience" selon Billy Cox, "Cry Of Love Band" pour d'autres, Jimi Hendrix semble n'avoir jamais véritablement clarifié ce point.
Cette tournée marquait aussi une reprise en main de sa carrière : Hendrix enregistrait en semaine son nouvel album studio et se produisait en concert le week end, afin de financer les travaux de construction l'Electric Lady, son propre studio (à parts égales avec Mike Jeffery), le rythme de cette tournée, autrement plus raisonnable que celui des tournées US précédentes, n'est pas étranger à la qualité tant des sessions studio que des concerts US cuvée 1970, les critiques, biographes et journalistes tendent à décrire cette tournée dans des termes pour le moins mitigés... et c'est fort regrettable, car, ainsi que John McDermott le souligne dans "Setting The Record Straight", la tournée US 70 marque le retour d'une grande créativité, ce que les pirates ne manquent pas de souligner à ceux qui se donnent la peine de les écouter.
Selon Billy Cox, Hendrix n'arrêtait pas de setlists précises : il se contentait de préciser uniquement les premiers titres qu'ils allaient jouer, le répertoire du groupe est d'ailleurs nettement moins stéréotypé que celui de l'Experience, titres en devenir, hits de l'Experience et morceaux rescapés des aventures précédentes s'enchaînent de façon équilibrée... avec le recul, le 25 avril 1970, peu d'auditeurs devaient connaître d'autres morceaux que "Spanish Castle Magic", "Foxy Lady", "Purple Haze", "Voodoo Child (Slight Return)"... et "Star Spangled Banner" (le film "Woodstock" était sorti le mois précédent), les deux titres du "Band Of Gypsys" joués lors de cette tournée étaient déjà disponibles officiellement... mais depuis la veille seulement !
Le concert commence par une version relativement brève de Spanish Castle Magic (pas de long solo en coda) qui tient sans problème la comparaison avec les canons de l'Experience, le chant de Jimi est énergique, parfaitement servi par le groupe dans son ensemble, le solo central est inspiré, mélangeant habilement des phrases rock avec un vocabulaire plus complexe, la fin du solo, plus agressive, est particulièrement brillante.
Avec Foxy Lady, le public de Jimi reste en terrain connu, la version est solide, et présente un solo entièrement improvisé : il ne se réfère à aucun moment à la version studio, bluesy, assez court (mais avec pas mal de respiration), et réussi, à aucun moment Hendrix ne donne le sentiment d'un musicien lassé de jouer ses classiques, il conclut même en écrasant le manche de sa Stratocaster contre le pied de micro comme aux premières heures de l'Experience.
Lover Man est l'occasion d'une nouvelle décharge rock particulièrement efficace, l'arrangement est désormais bien établi (avec le "Vol du bourdon" en deuxième partie de solo !), et c'est une version carrée, ne souffrant d'aucune hésitation qui est proposée par le groupe, on comprend pourquoi "Lover Man" est devenu un des piliers du répertoire de Jimi en 1970.
Hendrix précise qu'il va calmer le jeu lors de l'introduction semi-parlée, semi-jouée de Getting My Heart Back Together, le tempo est à mi-chemin entre la version du BOG jouée quelques semaines auparavant et celles, parfois assez lentes, de l'Experience (Cf. celle du Winterland), de même qu'avec "Red House" (absent du répertoire), Hendrix ne se rate que très rarement sur ce titre, lors des couplets, il double souvent à l'unisson la mélodie du chant avec sa guitare, le solo commence par des traits blues bien sentis avant de décoller avec des cascades de notes qu'il entrecoupe de feed back... Encore une fois, Hendrix nous raconte une histoire, servie par son imagination, sa virtuosité et toute la charge émotionnelle qu'il imprime à chacune de ses phrases, il se ré-accorde avant de faire retomber la tension sur la fin de son solo, ce n'est peut-être pas la version où le chant est le plus impressionnant (il s'emmêle parfois les pinceaux avec les paroles), mais encore une fois, il se passe vraiment quelque chose.
Hendrix introduit ensuite Message To Love en évoquant le Band Of Gypsys, Hendrix est bien accordé (c'est indispensable pour un rendu correct de cette rythmique), ce qui saute aux oreilles est bien sûr la différence d’approche de Mitch Mitchell comparé à Buddy Miles, il change de figures sur chacune des structures rythmique, proposant un accompagnement autrement plus fluide, mais moins groove et carré, ce qu'on gagne d'un coté, on le perd de l'autre... Hendrix commence son solo avec quelques traits en octave avant de produire un solo énergique, reprenant d'ailleurs certains traits de la version publiée la veille, certainement une des meilleures versions proposées par ce groupe.
Les choses se gâtent un peu avec Ezy Ryder, dont les versions Live n'égalent jamais la version studio publiée sur "The Cry Of Love", le solo souffre de quelques imperfections, de même que l'interprétation dans son ensemble, rien de catastrophique pour autant.
Machine Gun fait partie de ces titres de Jimi Hendrix dont la seule vue sur la pochette d'un pirate suffit au lecteur de ce type de chronique pour nourrir de solides espérances quant aux 10 minutes qu'il sera susceptible de vivre à son écoute.
Je ne reviens pas sur les approches diamétralement opposées de Mitchell et Miles, déjà abordées lors de ma chronique des concerts du Fillmore East, le chant est d'ailleurs dans une veine assez proche de la version officielle, un peu moins réussi toutefois, le début du solo central est aussi impressionnant que celui de la version légendaire du Fillmore East, les premières notes relèvent de la métaphysique, il continue, comme sur le disque, avec de brillantes phrases très rapides, avant de ralentir avec un passage limite bruitiste dans les graves (en jouant a priori avec les positions des micros de sa Strat), le solo est malheureusement assez bref (pour "Machine Gun" !) et se termine avec un pain... qui ne ternit pas pour autant une bonne performance, le groupe attaque le riff "No Quarter" avant le second couplet post-solo, le second solo débute de façon très agressive (et très inspirée), revient au calme pour des variations bluesy autour de l'hymne américain puis vers un jeu plus free qui, cette fois-ci, ne débouche pas sur un coda apocalyptique, comme pour "Hear My Train", Hendrix ne déçoit pas, et se montre à la hauteur des espérances que l'on peut placer en lui.
Hendrix lance ensuite Room Full Of Mirrors, c'est révélateur des choix de Jimi alors : "Room Full Of Mirrors" est en effet le titre qui lui posa le plus de difficulté en studio de toute sa carrière, en comparaison, "Gypsy Eyes" semble avoir été une partie de plaisir... Hendrix trouvait que le texte n'était pas à la hauteur de la musique, et semblait ne jamais trouver d'issue dans ce combat créatif (Carlos Santana, qui a assisté à une des sessions, raconte dans une interview combien Hendrix a souffert sur ce titre), joué sur un tempo assez rapide, la version est satisfaisante, même si ses arrangements désormais complexes ne contribuent pas à la qualité du chant.
Sans attendre la réaction du public, Hendrix joue les traits flamenco caractéristiques de l'introduction Live de Hey Baby, mais il attaque la rythmique des couplets sans jouer l'introduction composée du thème (qui ouvre la version studio), encore en gestation, le titre ne manque pas d'intérêt pour autant : il y a du feeling dans la voix de Jimi, le solo qui suit le refrain commence en octave, mais ne décolle pas vraiment : il y a de belles phrases, mais elles sont lestées d'hésitations hasardeuses, avant même d'attaquer le second couplet...
...le groupe enchaîne sans pause sur le thème de Villanova Junction (qui a évolué depuis sa dernière performance à Woodstock : sa grille d’accords est plus complexe), suivi d'un solo en octave couvrant un seul cycle cédant rapidement la place à un solo de batterie de Mitch Mitchell,, favorablement accueilli par le public, Hendrix ponctue la fin de quelques accords...
... puis attaque directement sur le riff de Freedom, là encore, les versions Live ne rivalisent jamais sérieusement avec la fantastique version studio officielle, le début est un peu poussif, et Hendrix se plante sur un accord avant d'attaquer un solo incroyablement agressif comparé aux versions que je connais, vient ensuite le pont que l'on retrouve sur toutes les versions Live de 1970 (a priori édité sur la version studio...), sans conteste les meilleurs passages du titre, le dernier couplet montre par contre toutes les limites du power trio : Hendrix joue une rythmique pour le moins complexe... dont son chant fait directement les frais.
Avant de démonter Star Spangled Banner, Hendrix demande aux membres de son audience de "se lever, pour une fois dans leur vie", la prise "Audience" montre que la réaction du public est partagée : certains spectateurs huent, d'autres sifflent là où quelques uns applaudissent... C'est sans conteste une très bonne version, où Hendrix exprime avec force, émotion, dérision et même douceur ce qu'il a à dire.
Sans surprise, Jimi Hendrix enchaîne directement avec Purple Haze : la communication avec le public est alors totale., l'énergie emporte littéralement les deux premiers couplets mais le solo, surtout dans sa deuxième partie, connaît des problèmes de justesse trop importants, il y a toutefois assez de métier pour sauver le dernier couplet, jouer un court final avec les dents et remporter l'adhésion du public.
Hendrix remercie les spectateurs et annonce Voodoo Child (Slight Return), qui est devenu avec le temps un morceau de clôture traditionnel, Hendrix tente assez longuement de se ré-accorder avant de commencer (on sent que le public s'impatiente...), il reprend même son introduction... mais les problèmes de justesse, toujours présents, plombent la qualité globale de l'interprétation, sa guitare est trop fausse... et nombres de ses fulgurances habituelles tombent à l'eau : même le métier n’y suffit plus, encore un fois, on se demande tout de même pourquoi il ne change pas de guitare ? Avec le matériel de l'époque, jouer "Star Spangled Banner" était forcément synonyme de guitare complètement désaccordée ! Après le dernier couplet, Hendrix mélange certains couplets de "Keep On Groovin'" (a.k.a. "Midnight Lightning") avec la rythmique de "Voodoo Child".
Au final ? Un excellent concert, la performance du LA Forum souffre certes de quelques moments de faiblesses mais prise dans sa globalité, elle est tout à fait réjouissante et pleine de promesse : Jimi est bien de retour !