19 mars 1968

Ottawa (Capitol Theater) : [Premier concert]

Titres :
Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band s'approche seulement des deux minutes, mais c'est une superbe version que l'Experience nous livre (la meilleure ?) : le groupe, parfaitement en place, sert le chant énergique de Jimi, qui nous distille quelques parties de guitare remarquables.
La version de
Fire qui suit est elle aussi celle d'un groupe qui maîtrise complètement son sujet, guère plus longue (moins de trois minutes), elle est fraiche, énergique et efficace, Jimi est vraiment en forme : il réussit même à tirer parti du léger flottement qu'on entend en fin de second couplet !
Après s'être ré-accordé, Jimi débute "
Purple Haze" par une introduction bruitiste, complètement free dont il est clair que l'aboutissement se matérialisera l'année suivante avec "Star Spangled Banner", le titre, qui dure à lui seul plus que les deux précédents, comporte de bons éléments... et de moins bons, même si les deux minutes d'introduction n'arrangent rien quant à la justesse de son instrument, Jimi a assez de métier pour faire avec.
Après son jeu de mot habituel de fin de premier couplet ("
Kiss this guy!"), Jimi zappe largement le chant du deuxième couplet (il ne chante que le dernier vers), problème technique ?
Le solo central, qui part sur les bases de la version originale, prend rapidement l'eau, Jimi n'insiste pas et reprend le thème d'introduction, il recadre le morceau avec le troisième couplet, même s'il chante le dernier vers ("
Est-ce demain ou juste la fin des temps ?") sur un ton étrangement détaché, la partie instrumentale qui conclut le titre est par contre irréprochable.

Ottawa (Capitol Theater) : [Second concert]

Titres :
1. Killing Floor
2. Tax Free
3. Fire
4. Red House
5. Foxy Lady
6. Hey Joe
7. Spanish Castle Magic
8. Purple Haze
9. Wild Thing

A défaut d'enregistrement du premier concert donné au Capitol Theater ce 19 mars 1968, la presse nous apprend que le répertoire du groupe comprenait "Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band" et "I Don't Live Today", absents de la setlist du second concert, alors que "Fire" et "Foxy Lady" (les classiques du groupe) étaient communs aux deux concerts, on notera enfin que c'est Soft Machine qui assura la première partie de l'Experience.

"Introducing to you... THE JIMI HENDRIX EXPERIENCE !"
Dès son entrée en scène, Jimi monte un mur de feed back avant de se lancer dans une introduction de
Killing Floor très percussive, après un court solo, nous assistons au réglage de la balance en direct lors des deux premiers couplets.
Le solo central commence sur des bases très blues, avec des tirés évoquant
Albert King, mais le troisième cycle est nettement moins académique : Jimi le joue entièrement en trilles, alors qu'il utilise sa wah wah pour le dernier, excellente version.
"
Nous avons quelques petits problèmes avec notre, uh, matériel, alors patientez un minute s.v.p. OK ? Juste une seconde."
"
Je déteste massacrer mes propres trucs à cause de ce matériel en ruine avec lequel nous jouons en ce moment."
Avant d'attaquer
Tax Free, Jimi précise que "si vous pouvez comprendre un mot de ça, vous êtes dans quelque chose".
Prétexte à de longs développements instrumentaux improvisés, la présence de
Tax Free (dont c'est une des premières versions documentées) montre l'évolution des concerts du groupe, où la place réservée aux jams et à l'improvisation ne cessera de grandir au fil de cette année 1968, ainsi que la série de concerts donnés au Winterland nous le rappelle, le groupe joue ici une musique très libre, plus proche des improvisations d'un club que d'un concert de musique pop.
"
Nous nous accordons parce que nous faisons très attention à vos oreilles. C'est pour cela qu'on ne joue pas si fort.
Nous allons continuer avec un titre qui s'appelle "Let me stand next to your old lady"... je veux dire "Let me stand next to your fire" uh en fait c'est pareil.
"
Fire marque un retour à une musique plus carrée : c'est une version explosive où l'Experience vise l'efficacité, tout en gardant une part de spontanéité, comme en témoigne le dernier solo de Jimi.
"
Nous aimerions faire un blues qui s'appelle "Red House" qui est sur le LP anglais. J'aimerais le faire pour vous maintenant, aujourd'hui, en 1948".
Albert King avait assuré les premières parties du groupe lors des premières dates de la tournée (du 1er au 4 février) : ce n'est que depuis le début de cette tournée que Red House figure régulièrement au répertoire du groupe.
Génial précurseur, Jimi se nourrissait sans complexe de ses contemporains : l'influence d'
Albert King est ici manifeste, surtout lorsqu'il joue en son clair/crunchy, certains tirés sonnent exactement comme ceux d'Albert King, alors que Jimi, contrairement à son modèle, gaucher lui aussi, joue sur une guitare avec les cordes inversées.
Si l'introduction reste brève (seulement 12 mesures), le solo central commence à connaître de (très) longs développements, on notera la présence du passage jazzy/percussif qu'il ne cessera d'explorer en 1969.
Lors du dernier cycle, Jimi joue avec la fuzz et apporte une intensité alors inédite dans le blues,
Noel Redding annonce le titre suivant : Foxy Lady, Jimi n'est pas tout à fait juste mais ceci est compensé par la lourdeur de la section rythmique, d'autant que la composition est joué au bon tempo (ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas de "Foxy Lady").
Le solo s'inspire de la version studio dans un premier temps, alors que la suite sonne un peu comme du
Albert King sous acide, sans les problèmes de justesse, ce serait une excellente version.
"
Nous aimerions continuer et faire un truc qui a été enregistré en 1778, et c'était sacrément difficile pour nous d'enregistrer alors, très très dur en effet. Trouver un studio... mais nous l'avons trouvé d'une certaine manière.
Et maintenant, nous aimerions la faire dans une toute nouvelle version psychédélique. Nouvelle, lui donner une fessée, genre version d'une nouvelle ère...
Yeah, nous la jouons avec un nouvel arrangement de 1948 qui est vraiment formidable, vous devriez entendre ça !"
Hey Joe débute par sa nouvelle introduction, encore en gestation à ce stade, Jimi chante bien, et livre deux soli au son impressionnant... mais ne s'étant ré-accordé, plombe quelque peu la version.
"
C'est pour ça qu'ils tentent de jouer "Spanish Mag"... Uh, "Spanish Magic Blackfish". Yeah! Composé par Henry Schwartz ! Ils appellent ça "Spanish Castle Magic", OK ?
Nous allons essayer de faire ça pour vous.(...)
Applaudissez parce qu'on enregistre le concert, et vous ne voudriez pas qu'on soit embarrassé quand on le passera à nos copines, disant : écoute mec... regarde ça mec. Nous avons joué à Ottawa, mec, pige ça ! Ecoute ! Merci mesdames & messieurs, merci beaucoup... PAS D'APPLAUDISSEMENT. Mec, c'est vraiment le sale coup : nos copines diront qu'on a rien fait de bien là-bas !
[La foule se manifeste !]
Merci beaucoup, merci beaucoup. Nous ne... nous ne le méritons pas vraiment, vraiment, merci beaucoup. J'apprécie vraiment, donc j'aimerais continuer et jouer "Spanish Castle Magic", voir si on peut partager un truc ensemble
."
Spanish Castle Magic est le seul titre du nouvel album en date de l'Experience, alors que le groupe assure sa promotion lors de cette tournée, le titre, dont c'est une des premières versions, n'est pas encore devenu le prétexte aux longs développements des mois à venir, le chant est absolument remarquable, Noel rencontre peut-être un problème lors du solo de Jimi (dont le fuzz fonctionne bien !) : il s'arrête de jouer pendant quelques mesures.
"
Et maintenant j'aimerais jouer cette chanson connue dans le monde entier avant que nous, hum, nous lancions dans nos deux dernières chansons, cette chose s'appelle "Tune-up time blues" !"
Jimi se plaint encore de son ampli en imitant la voix de
Bill Cosby, puis demande au public de faire une ovation... à Bill Cosby !
Purple Haze débute une longue introduction free de plus de deux minutes absolument phénoménale, Jimi est bien sûr désaccordé à son issue mais il a tellement de métier qu'il réussit à compenser lors des couplets et lors du solo, c'est à peine si cela le dérange. Le son de sa guitare est vraiment fantastique.
Jimi est dans ses bons jours : il gratifie le public d'un long final avec les dents, Jimi constate à quel point il est désaccordé, et parodie "Rock Me Baby" de toute sa bonne humeur un court instant.
"
Et hum, comme à la place de tous les soldats, vous savez comment tous les soldats se font attraper au... bon vous savez...
Mais de toute façon, à la place de tout ce qui se passe là-bas, pourquoi est-ce que tout le monde ne revient pas à la maison ?
Et au lieu d'avoir, vous savez, des M16, des grenades et des tanks tous sur le dos et leur attirail, et s'ils revenaient à la maison avec hum... des guitares faisant du feedback ?
Et hum, c'est mieux que des flingues !
[Énorme feedback]
Un truc dans ce genre. Je pense que j'ai pigé ça.
Et de toute façon, nous allons dédier ça à la famille Feedback. Et, hum, tous les êtres humains, et vous...
Et rejoignez-nous dans la chanson, car j'ai oublié les paroles !
"
Jimi lance le riff de
Wild Thing... complètement désaccordé pour le final.