12 octobre 1968

San Francisco (Winterland) : 12 octobre 1968 [Premier concert]

Titres :
1. Fire
2. Lover Man
3. Like A Rolling Stone
4. Foxy Lady
5. Bass/Drum Jam
6. Tax Free
7. Hey Joe
8. Purple Haze
9. Wild Thing

Premier concert donné le 12 octobre 1968, c'est aussi l'avant-dernier de la série de six concerts enregistrés professionnellement au Winterland, après quatre performances mitigées, c'est l'occasion pour l'Experience de se racheter...
"A la basse, Monsieur Noel... Redding. A la batterie, Monsieur Mitch Mitchell., au chant et à la guitare, Monsieur Jimi Hendrix, le Jimi Hendrix Experience !"
Le groupe enchaîne aussitôt avec une version explosive de
Fire, retenue fort judicieusement par Alan Douglas pour ouvrir "The Jimi Hendrix Concerts", avant de chanter le dernier couplet, Hendrix propose à l'audience "de piger le batteur" : c'est l'occasion de souligner l'excellence de Mitch Mitchell, dont la qualité du jeu est exemplaire lors de ce concert.
A un spectateur qui lui demande de jouer "All Along The Watchtower" (son plus gros hit US à ce jour), Hendrix répond : "J'ai oublié les paroles. Je n'arrive jamais à me souvenir des paroles des autres."
Et il annonce à la place un titre alors inconnu de son public :
Lover Man, c'est une version solide, Hendrix commence son solo par des phrases très blues, avant d'enclencher sa wah wah et de proposer des traits plus agressifs, contrairement à ce qu'il vient d'annoncer quelques minutes plus tôt, Hendrix arrive tout de même à retenir les paroles des autres songwriters, pour preuve, le groupe lance Like A Rolling Stone, du même Dylan que "All Along The Watchtower"… dont le texte est autrement plus long !
C'est globalement une bonne version, même si de légers soucis de justesse ainsi que deux trois erreurs de mise en place justifient certainement que le groupe n'ait pas retenu ce titre dans la perspective d'un Live, avec le recul, on ne peut que regretter l'absence de version studio définitive de ce titre : les arrangements, le tempo, la guitare Little Winguienne et le chant de Jimi... le potentiel était énorme.
"Ah oui, Aujourd'hui... c'est notre second anniversaire en tant que groupe aujourd'hui."
Après une petite annonce légèrement explicite, le groupe joue
Foxy Lady, malheureusement, les problèmes techniques rencontrés auparavant atteignent des sommets : l'ampli de Jimi lâche en plein solo...On notera la réactivité de Mitch Mitchell, qui tente de meubler comme il peut.
Jimi propose ensuite à l'audience d'écouter
Mitch Mitchell le temps de réparer son matériel, mais à l'impossible nul n'est tenu, et cet intermède instrumental basse/batterie ["Bass/Drum Jam"] (où il n'est pas exclu là encore que Jimi soit lui aussi aux baguettes un moment) traîne en longueur, et manque de direction, au bout d'une dizaine de minutes, la jam se transforme progressivement en Tax Free avec le retour de Jimi (dont le son de guitare reste un peu surprenant), l'improvisation part sur des bases plus calmes que d'habitude, et Jimi joue dans un registre assez blues (on entend un trait évoquant "Get My Heart Back Together"), le groupe reprend le thème sur ce tempo relâché avant de durcir le ton, puis d'accélérer considérablement, musicalement, ce passage (assez court) évoque Cream, et est assez réussi.
L'Experience n'a pas pour autant abattu ses dernières cartes : la version qui suit de
Hey Joe est fabuleuse, le groupe réussit de main de maître les nouveaux arrangements de l'introduction, le chant de Jimi est tout simplement excellent, le premier solo de Jimi, très bon, diffère de la version studio notablement (avec un son proche du Clapton de "Disreali Gears"), a noter aussi une fin de morceau où Mitch Mitchell casse la baraque.
Il va sans dire que retenir ce titre pour le "Live At Winterland" relevait de l'évidence, tout n'est pas parfaitement en place sur
Purple Haze, mais la version est énergique, servie par l'enthousiasme de groupe, là encore, la présence de ce titre sur le "Live At Winterland" se justifie sans problème.
Il n'en va pas de même pour
Wild Thing, déjà présent sur "The Jimi Hendrix Concerts" , on est d'ailleurs loin de la magie de Monterey, d'autant que le solo de Jimi semble plus visuel qu'autre chose... mais que le performer prenne le dessus en fin de concert n'est pas forcément choquant.
Au final ? Quel dommage que l'ampli de Jimi ait cédé en milieu de concert ! Car le groupe était manifestement plus en forme que les deux jours précédents, un concert inégal donc... mais avec de grandes réussites pour le coup ("Fire", "Hey Joe").

San Francisco (Winterland) : 12 octobre 1968 [Second concert]

Titres :
1. Foxy Lady
2. Manic Depression
3. Sunshine Of Your Love
4. Little Wing
5. Spanish Castle Magic
6. Red House
7. Voodoo Child (Slight Return)
8. This Is America (Star Spangled Banner)
9. Purple Haze

Le Jimi Hendrix Experience monte pour la sixième et dernière fois sur la scène du Winterland : pas d'invité, moins de jams... mais toujours de gros problèmes techniques !
Dès l'introduction de
Foxy Lady, il est manifeste que les soucis techniques rencontrés lors du concert donné l'après-midi sont loin d'être résolus, le feed back ne sort pas comme d'habitude mais là encore, Mitch Mitchell impressionne par sa réactivité : il vient au secours de Jimi, remplissant l'espace laissé vacant avec maestria, la partie chantée est interprétée efficacement par le groupe.
Hendrix se lance dans un solo très différent de celui de la version studio (sans doute difficile à reproduire dans ces conditions), et, un peu contre toute attente, nous livre de 3:45 à 4:00* un moment de pur géni, avec un minimum de notes, Jimi réussit à faire monter l’intensité de deux crans par son incroyable créativité rythmique, une version impressionnante compte tenu du contexte…
"C'est vraiment dommage d'avoir tous ces problèmes aujourd'hui."
Alors qu'un spectateur réclame "Watchtower", Jimi lui répond "s'il te plait, j'essaie de parler au gens, OK ? Silence ! De toute façon, j'ai oublié les paroles..."
Hendrix demande ensuite au public de comprendre son message (et développe son discours plus qu'à l'accoutumée), il précise que son ampli est cassé, et qu'il va falloir deux minutes pour le réparer...
Il en profite pour introduire
Manic Depression : "c'est une histoire à propos d'un mec qui aimerait faire l'amour à sa musique plutôt qu'aux sempiternelles femmes ordinaires OK ?"
Les problèmes ne sont pas réglés pour autant et l'attente se prolonge...
Le groupe livre une bonne version de
Manic Depression (la dernière jamais jouée d'ailleurs), d'autant que c'est un morceau dont la mise en place n'est pas des plus faciles : les 3/4 ternaires se font plutôt rares dans un contexte rock, Jimi assure d'ailleurs un chant correct malgré la complexité rythmique, il se bat un peu avec sa guitare au début du solo, mais les tensions créées correspondent bien à l'ambiance du titre.
"Cry on guitar !" lâche-t-il avant de reprendre le dernier couplet, on se rend là encore compte des qualité musicales de
Mitch Mitchell, qui excelle dans sa performance.
"Il nous reste environ 4 haut-parleurs, et environ trois lampes (...) Noel n'a plus que deux haut-parleurs, et Mitch en est à sa troisième paires de bras, mais putain de merde, j'en ai rien à branler !"
Jimi lance aussitôt le thème de
Sunshine Of Your Love, il joue quelques riffs en devenir avant laisser le devant de la scène à Noel Redding pour un solo de basse (Jimi utilise sa guitare comme d'une percussion pour l'accompagner), Jimi insiste sur le riff de "Outside Woman Blues", mais Noel ne le rejoint pas sur cette voie, après la reprise du thème, Jimi part en solo, mais le son de sa guitare est sans doute moins saturé qu'il ne le souhaiterait...
Vient ensuite
Little Wing, qui constitue peut-être le sommet de ces trois jours, l'Experience transcende littéralement la version studio, Alan Douglas ne s'y est pas trompé en la retenant pour son "Jimi Hendrix Concerts"... mais, fidèle à son habitude, il a eu la main lourde lors de son mixage : non seulement il a mis de la réverbération partout, mais il a aussi rajouté un bonne dose de Flanger sur la guitare de Jimi, le chant de Jimi est magnifique : posé, nuancé, émouvant... ce qui ne l'empêche pas de jouer des contrepoints guitaristiques tous plus inspirés les uns que les autres !
La rythmique de Noel et Mitch est un modèle du genre : Mitch comble tous les espaces laissés par le minimalisme de Noel, mais sans jamais charger l'espace sonore, le solo de Jimi prend le même chemin que celui de la version originale, modulé par un jeu de wah wah étonnant de nuance, l'équilibre entre tension et relâchement est idéal : seule la version du
Royal Albert Hall ira plus loin encore en la matière.
"Je suis vraiment désolé pour l'attente..."
"Un deux trois quatre..." et retentit l'introduction de
Spanish Castle Magic : retenue sur le "Live At Winterland" de Douglas, c'est une version solide malgré les problèmes techniques, le chant de Jimi est irréprochable, mais c'est le groupe dans son ensemble qui impressionne : solidité rythmique de Redding, inventivité éclatante de Mitch Mitchell et un solo très inspiré de Jimi, dont les idées fusent comme aux meilleurs jours, Jimi se plaint encore de la qualité son équipement, et regrette que l'Experience ne se présente pas "tels qu'ils sont vraiment".
Il demande soudain à un spectateur si ce qu'il lui propose est un "space cake" ("hash cookie" en anglais) puis déconne en prenant une voix digne d'un dessin animé : "Oh, je perd complètement les pédales !"
Reprenant son sérieux, il annonce "une chanson qu'on a enregistré il y a environ deux ans, elle est sortie sur notre album anglais... mais tout le monde avait peur de la sortie aux USA"... parce que c'était un blues !
Comme à son habitude, Jimi profite de
Red House pour improviser au gré de son inspiration, les deux premiers couplets sont ainsi parfaitement interprétés, malheureusement, les problèmes techniques des amplis de Jimi plombent littéralement le solo : le manque de puissance est criant, surtout lorsque la rythmique s'emballe, et pour couronner le tout, Jimi rencontre en plus des problèmes de justesse !
Le solo s'étire tout de même sur 4 cycles de 12 mesures : les deux derniers, plus calmes, passent mieux, sans transition, Jimi lance l'introduction de
Voodoo Child (Slight Return)... mais dès que Mitch et Noel rentrent en scène, on ne peut que constater le manque de puissance de l'amplification de Jimi, pour autant, il assure très professionnellement le premier couplet, avant de se lancer dans un court solo où il réussit à sauver les meubles, puis repart en solo après le second couplet, mais laisse à Mitch le soin de conclure les débats.
Jimi confie à son audience que "c'est une situation très embarrassante..." et annonce le titre suivant :
This Is America, après une longue introduction plus proche du free jazz que d'autre chose, Jimi joue le thème de Star Spangled Banner, accompagné de longues notes tenues par Noel tandis que Mitch marche sur les pas de Tony Williams et d'Elvin Jones, des moments intéressants, même si le tout est un parfois décousu.
Après ses deux mesures d'introduction, Hendrix lance le thème de
Purple Haze, c'est une version solide et efficace (à défaut d'être rigoureuse !), avec quelques fulgurances guitaristiques. Jimi se trompe encore dans les paroles du troisième couplet... et alors que le titre semble devoir se terminer, il reprend le troisième couplet en insistant bien sur les paroles oubliées, le final pour le moins bruitiste laisse supposer un règlement de compte définitif avec ce matériel si capricieux.
Jimi remercie la foule, avant de la laisser avec le seul feed back de sa guitare.
Au final ? Sans doute le meilleur des six concerts donnés au Winterland, et ceci malgré les problèmes techniques, la première partie du concert est à la hauteur de ce que l'on peut attendre de Jimi ; et la version de
Little Wing jouée ce soir inoubliable, la suite est moins forte, mais le groupe fait preuve d'un grand professionnalisme dans l'adversité et mérite d'être salué à ce titre.