XVII - L'ORGANISATION DE LA PROFESSION
Les communautés d'Ancien Régime
Sous l'Ancien Régime, les huissiers étaient organisés en communautés. Ces dernières étaient constituées au niveau de la juridiction de rattachement et se caractérisaient principalement par une représentation collective des intérêts professionnels et par l'existence d'une bourse commune constituée à des fins de solidarité. Certaines de ces communautés ont été constituées dès le Moyen Age, d'autres plus tardivement lorsque de nouvelles juridictions ont été créées ou lorsque plusieurs catégories d'huissiers fusionnèrent (par exemple, dans le ressort du Châtelet de Paris, un édit de février 1705 regroupa en une seule communauté les huissiers à pied, les huissiers à cheval, les huissiers fieffés, les huissiers-priseurs et les huissiers à la douzaine).
La représentation collective était une fonction essentielle de toute corporation sous un régime socio-économique où les professionnels dotés de prérogatives monopolistiques et d'un rang social particulier devaient défendre l'exclusivité de leurs attributions, leur titre et les droits honorifiques qui en dépendaient. Au Parlement de Paris, cette fonction était dévolue au premier huissier qui parlait au nom de tous les huissiers du Parlement et défendait leurs intérêts (notamment en s'opposant à certaines nominations qui auraient augmenté leur nombre). Cette représentation est à l'origine de nombreux procès où l'on vit tel corps d'huissiers contester à un autre corps d'huissiers ou à une autre profession l'accomplissement de certains actes ou l'utilisation d'un titre.
La communauté d'huissiers avait aussi une fonction de redistribution entre ses membres de ressources collectives, à commencer par le produit de certains exploits (par exemple, selon un Arrêt de la Cour de Parlement portant règlement entre les Huissiers, du 19 août 1606, les huissiers du Parlement de Paris devaient reverser à la communauté la moitié des deniers provenant des exploits plus importants que les simples significations ou assignations effectués en dehors du Palais, dans la ville ou les faubourgs de Paris). Le premier huissier du Parlement recevait les dons et les courtoisies que faisaient les prélats ou les officiers, pour les redistribuer ensuite entre tous les huissiers.
Comme pour les autres corporations, chaque communauté d'huissiers ou de sergents était généralement assortie d'une confrérie religieuse constituée au sein d'une église et dédiée à un saint (cf. le chapitre sur les saints patrons). Certaines de ces confréries ont été fondées dès le Moyen-Age, comme pour les sergents à cheval du Châtelet de Paris ou les sergents de la douzaine qui, quoiqu'issus du corps des sergents à pied ou à verge, avaient une confrérie distincte. (1)
Les communautés les plus importantes en nombre de membres ou en prestige avaient leur propre confrérie, alors que d'autres en partageaient une avec d'autres officiers (procureurs par exemple). L'existence des confréries était liée à la fois à l'omniprésence de la religion et au souci - par essence corporatif - de favoriser une entraide fraternelle. L'adhésion des professionnels y était obligatoire et chaque membre était tenu de verser annuellement, à date fixe (celle d'une fête catholique) une cotisation nommée droit de confrérie qui constituait généralement une recette non négligeable pour la communauté. Ce droit permettait de financer les services religieux et d'alimenter un fonds de secours.
Ces fonds d'entraide sont à l'origine des bourses communes. Plusieurs communautés d'huissiers avaient ainsi constitué des fonds de solidarité destinés au secours des huissiers âgés ou malades, de leurs veuves ou orphelins. Ces caisses étaient réglementées par les communautés elles-mêmes et faisaient l'objet de dispositions particulières tel le concordat du 19 septembre 1671 (homologué le 25) par lequel les huissiers du Grand Conseil convenaient de faire bourse commune et déclaraient la part de chacun insaisissable.
De manière plus générale, chaque communauté d'huissiers établissait son propre règlement afin, notamment, de policer les relations entre ses membres et ceux d'autres corporations (autres communautés d'huissiers, communautés de procureurs...) pour éviter les conflits de compétences.
En revanche, ces communautés n'avaient aucun pouvoir disciplinaire, celui-ci étant exercé par la juridiction d'appartenance. En général, les huissiers encourraient une amende en cas de négligence et la destitution en cas de faute, mais des peines plus sévères pouvaient être prononcées en cas d'infractions graves. (2)
Cette organisation exista jusqu'à la Révolution de 1789 qui eut pour effet l'abolition des communautés et des confréries. Celles des huissiers n'échappèrent pas à la règle : les huissiers et les sergents se trouvaient désormais dépourvus de tout groupement corporatif et il a fallu attendre deux décennies pour assister à une nouvelle organisation professionnelle.
Le renouveau du corporatisme : les communautés d'arrondissement
Le rétablissement d'une organisation corporatiste des huissiers a été prévue en 1810-1811 : « En exécution de l'article 120 de notre décret du 6 juillet 1810, notre grand-juge ministre de la justice, après avoir pris l'avis de nos cours royales, qui lui transmettront leurs délibérations, nous présentera, d'ici au 1er janvier 1812, un rapport...Sur l'organisation en communauté des huissiers résidant et exploitant dans chaque arrondissement communal...Et sur l'établissement d'une bourse commune entre tous les membres de chaque communauté d'arrondissement ». (3)
Le nouveau régime corporatif a été mis en place par le décret du 14 juin 1813 portant règlement sur l'organisation et le service des huissiers, qui a effectivement regroupé les huissiers au sein de communautés constituées au niveau de l'arrondissement, siège du tribunal civil.
Chaque communauté d'arrondissement comprenait une chambre de discipline élue et présidée par un syndic nommé annuellement. Formée d'un nombre d'huissiers variable en fonction de celui des huissiers présents dans l'arrondissement, chaque chambre avait son rapporteur, son trésorier et son secrétaire.
La chambre de discipline avait des attributions diverses que l'on peut classer selon deux axes principaux :
La discipline des membres de la communauté : La chambre devait veiller au maintien de l'ordre et de la discipline parmi tous les huissiers de l'arrondissement, et à l'exécution des lois et règlements concernant les huissiers. Elle intervenait à ce titre dans le processus de nomination des huissiers, en délivrant tous certificats de moralité, de bonne conduite et de capacité nécessaires aux candidats (4). A l'égard des huissiers en exercice, elle était chargée de donner des avis sur les plaintes ou réclamations de tiers contre les membres de la communauté à raison de leurs fonctions, sur les réparations civiles qui pourraient en résulter, sur les difficultés qui peuvent s'élever au sujet de la taxe de tous frais et dépens réclamés par des huissiers et sur la conduite ou la moralité des huissiers en exercice, toutes les fois qu'elle en sera requise par les autorités judiciaires. Elle était habilitée à appliquer elle-même, selon une procédure réglementée, des sanctions disciplinaires déterminées (rappel à l'ordre, blâme, blâme avec réprimande par le syndic devant la chambre assemblée et interdiction d'accès à la chambre pendant six mois) et de dénoncer au ministère public les faits qui donneraient lieu à des peines de discipline excédant la compétence de la chambre (une amende ou la suspension devait être ordonnée par la juridiction dont l'huissier fautif relevait), ou à d'autres peines plus graves.
La cohésion des membres de la communauté : La chambre de discipline était chargée de prévenir et concilier tous différends qui pouvaient s'élever entre huissiers relativement à leurs droits, fonctions et devoirs. Elle représentait tous les huissiers dans la défense de leurs droits et intérêts communs, et administrait en conséquence une bourse commune. Celle-ci était alimentée, d'une part par le versement, par les huissiers entre les mains du trésorier, à peine d'amende, des 2/5èmes de leurs émoluments et, d'autre part, par le quart des amendes prononcées contre des huissiers pour délits ou contraventions relatifs à l'exercice de leur ministère. Chaque année, l'assemblée générale de la communauté décidait de la somme qui serait prélevée pour payer les dépenses de la chambre (frais de bureau notamment) et de celle qui serait destinée à subvenir aux besoins des huissiers retirés pour cause d'infirmités ou de vieillesse, ainsi que des veuves et orphelins d'huissiers. Le surplus faisait l'objet chaque trimestre (ou plus souvent si la communauté le jugeait opportun) d'un partage entre les huissiers de la communauté en fonction de leurs droits (une part et demie pour un huissier audiencier de cour impériale ou un huissier audiencier faisant un service continu près une cour d'assises établie dans un chef-lieu de département autre que celui où siège la cour impériale, une part un quart pour un huissier audiencier de tribunal de première instance, une part pour les autres huissiers audienciers ou ordinaires).
L'ordonnance du 26 juin-1er juillet 1822 relative à la bourse commune des huissiers a modifié l'assiette et le quantum des contributions des huissiers, instauré la trimestrialité de ces versements, limité à 4/5èmes le montant pouvant être prélevé pour frais et secours, et remplacé le partage du surplus par son placement en rentes sur l'Etat dont les intérêts étaient capitalisés jusqu'à ce que le fonds de réserve ainsi constitué suffise à couvrir les frais et secours.
L'organisation professionnelle actuelle
Aujourd'hui encore, les huissiers de justice sont rattachés à une organisation professionnelle à caractère corporatif, mais à la différence des communautés rétablies en 1813, l'organisation professionnelle moderne présente une structure pyramidale à trois niveaux hiérarchisés : les chambres départementales (que l’on appelle aussi chambres de discipline et auxquelles on peut assimiler les chambres interdépartementales créées par le Gouvernement pour remplir le rôle de chambre départementale dans plusieurs départements), les chambres régionales et la Chambre nationale.
Pour l’essentiel, la profession d’huissier de justice est organisée par les articles 4 à 9 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 et les articles 40-1 et suivants du décret du 29 février 1956.
A chacun de ces échelons, sont appliqués les principes corporatistes classiques : les chambres ont la qualité d’établissements d’utilité publique soumis à une tutelle ministérielle, sont dotées de la personnalité juridique, sont composées de représentants élus, fonctionnent de manière démocratique et remplissent, sous le contrôle des instances supérieures et selon une répartition précise des compétences, diverses missions de représentation, de conciliation, de réglementation, de discipline, de formation professionnelle ou d’entraide.
Les chambres départementales sont les instances les plus proches, géographiquement des huissiers de justice. Structures de base de l’organisation corporative, elles sont composées d’un nombre de membres variable selon l’importance de la communauté qu’elle figure. Elles ont à leur tête un bureau élu composé d'un président (le plus ancien des membres) chargé de convoquer les huissiers de justice de la communauté en assemblée générale et d’assurer la police de la chambre ; un syndic investi du pouvoir de convoquer la chambre en cas d’empêchement du président et de poursuivre l’exécution des décisions de cette dernière ; un rapporteur chargé d’informer la chambre sur les affaires soumises à délibération ; un secrétaire (le plus jeune des membres) dont la mission consiste à rédiger les délibérations de la chambre, de conserver les archives et de délivrer les expéditions ; enfin, un trésorier qui garde les fonds et tient les comptes de la bourse commune. Les chambres les plus importantes peuvent désigner un secrétaire adjoint et un trésorier adjoint.
Chaque chambre départementale se présente comme l’interlocuteur privilégié des huissiers de justice rattachés à la compagnie locale. Elle a été au demeurant investie de fonctions nombreuses et très importantes, clairement définies et énumérées par les textes (5) : elle a été chargée d’établir un règlement (soumis à l’approbation du garde des sceaux) en ce qui concerne les usages de la profession et les rapports des huissiers de justice entre eux et avec la clientèle, de préparer le budget de la communauté et d’en proposer le vote à l’assemblée générale, de gérer les biens de la compagnie et de percevoir les cotisations professionnelles, de prononcer (toujours suivant une procédure fixée par le législateur) ou proposer l’application de sanctions disciplinaires (6), de prévenir ou de concilier tous différends d’ordre professionnel entre les huissiers de justice du ressort et de trancher ces litiges par des décisions immédiatement exécutoires à défaut de conciliation (7), d’examiner toutes réclamations de la part des tiers contre les huissiers à l’occasion de leurs fonctions, de délivrer ou refuser les certificats de moralité nécessaires à l’investiture des candidats, d’assurer le suivi du stage, de participer à l’élection du délégué régional siégeant à la Chambre nationale et de donner des avis consultatifs sur diverses questions : actions en dommages-intérêts intentées contre les huissiers de justice pour les actes de leur fonction, différends soumis au tribunal de grande instance en matière de règlement des frais, candidatures à un office, transferts et suppressions d’offices et création de bureaux annexes. Elle s’estime en outre statutairement habilitée à représenter les huissiers de justice de son ressort en ce qui concerne leurs droits et intérêts communs : c’est ce qui lui permet d’intervenir dans une instance touchant une question de principe intéressant l’ensemble des huissiers de justice du département. (8)
D'importants changements sont intervenus récemment dans les fonctions de ces instances professionnelles. En particulier, leur fonction réglementaire a été supprimée par l'article 17 de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées (JORF n° 0074, 29 mars 2011, p. 5447) qui a abrogé l'article 6 de l'ordonnance de 1945 ; en réalité, cette compétence a été transférée à la Chambre nationale (cf. infra). De même, le législateur a dernièrement attribué aux chambres régionales siégeant en chambre de discipline la faculté de prononcer ou proposer des sanctions disciplinaires (art.7 bis de l'ordonnance de 1945 issu de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010).
Enfin, lorsqu’elle siège en comité mixte (formation composée des membres du bureau et d'un nombre égal de clercs ou d’employés élus), elle traite des questions relatives au recrutement et à la formation des clercs et employés, aux conditions de travail dans les études et, sous réserve de dispositions particulières, au salaire et et à ses accessoires. Elle assure aussi la surveillance et la discipline des stagiaires avec le pouvoir de prononcer à leur encontre des sanctions allant du rappel à l’ordre à la suspension du stage.
Comme auparavant, les chambres locales gèrent une bourse commune. Alimentée essentiellement par la cotisation annuelle des huissiers de justice calculée selon l’importance de leurs offices, mais aussi par des donations faites à la compagnie et, au besoin, par des appels de fonds extraordinaires, elle constitue toujours, dans la plus pure tradition corporative, un fonds de secours et une source de financement des besions de fonctionnement des organismes professionnels (achat ou location de locaux, leur entretien, frais de réunion, frais de vérification des comptabilités, etc.). Jusqu’en 1992, la bourse commune était également affectée à la garantie collective de la responsabilité professionnelle des membres de la communauté. Depuis, cette garantie a été confiée à la Chambre nationale dans un souci de meilleure gestion.
Enfin, la chambre départementale est chargée d'assurer l’exécution des décisions prises par la chambre régionale et par la Chambre nationale.
Les chambres régionales (et, par assimilation, les chambres interrégionales créées par le Gouvernement pour remplir le rôle de chambre régionale dans plusieurs ressorts de cour d’appel) sont constituées par ressort de cour d'appel (sous réserve des ressorts de cour d’appel ne comprenant qu’un seul département, auquel cas la chambre départementale exerce les attributions de la chambre régionale, et des attributions des chambres interdépartementales qui peuvent dans certains cas être amenées à tenir lieu de chambre régionale).:Composées de délégués élus par les huissiers du ressort de la cour d'appel et dotées d'un bureau (un président, un vice-président, un secrétaire et un trésorier également élus), elles sont chargées de diverses missions dont certaines complètent, à l'échelon régional, celles des chambres départementales.
Chaque chambre régionale est ainsi chargée d’établir son budget (et d’en répartir ensuite les charges entre les différentes chambres départementales du ressort), de prévenir ou de concilier tous différends d’ordre professionnel entre les chambres départementales du ressort ou entre huissiers de justice relevant de plusieurs chambres départementales du ressort, de trancher ces litiges par des décisions immédiatement exécutoires à défaut de conciliation, de participer à l’élection du délégué siégeant à la Chambre nationale et de donner un avis, toujours dans le cadre de son ressort, sur les créations, transferts et suppressions d’offices, sur les candidatures et sur l’ouverture de bureaux annexes. Lorsqu'elle siège en comité mixte (formation constituée des membres du bureau et d'un nombre identique de clercs ou employés), elle règle toutes les questions relatives au fonctionnement des cours professionnels existant dans le ressort et aux institutions sociales intéressant le personnel des études.
La chambre régionale a aussi une fonction représentative : en vertu de l’article 7 de l’ordonnance de 1945, elle représente les droits et intérêts communs des huissiers de justice du ressort de la cour d’appel. Cette mission est limitée géographiquement à la circonscription de la chambre, mais présente du point de vue matériel une grande généralité puisque la chambre représente l'ensemble des intérêts professionnels de la communauté régionale.(9)
Certaines attributions sont plus spécifiques. Notamment, c’est à la chambre régionale que revient la mission de donner un avis sur les règlements établis par les chambres départementales du ressort et de désigner les huissiers de justice membres de la commission d’examen. C'est elle aussi qui est chargée, depuis le décret du 13 juillet 1992, de vérifier la comptabilité des études de son ressort. (10)
Dans tous les cas, la chambre assure, au niveau régional, l’application des décisions prises par la Chambre nationale.
La Chambre nationale, située au sommet de l’édifice corporatif, est l’organisme supérieur de l’organisation professionnelle des huissiers de justice (elle a son siège à Paris 9ème, 44 rue de Douai). Jusqu'en 2011, elle était composée de délégués élus par les bureaux des chambres régionales et départementales à raison d’un délégué par ressort de cour d’appel (seul le bureau de la chambre départementale de Paris, assumant les fonctions de chambre régionale, en désigne deux) et administrée par un bureau dirigé par un président. Le mode de scrutin a été modifié dans le sens d'un élargissement de l'électorat : désormais, l'ensemble des huissiers de justice relevant de chaque chambre régionale élit un délégué appelé à faire partie de la chambre nationale (art. 7 ter de l'ordonnance de 1945, issu de l'article 18 de la loi de modernisation du 28 mars 2011). La légitimité de la représentation nationale de la profession s'en trouvera inévitablement renforcée.
Plusieurs attributions des chambres inférieures sont transposées à l’échelon national. Ainsi, la Chambre nationale est chargée d’établir son budget avant d’en répartir les charges entre les chambres régionales, d’élaborer son règlement intérieur, de prévenir ou de concilier tous différends d’ordre professionnel entre les chambres régionales ou départementales et entre huissiers de justice ne relevant pas de la même chambre régionale, de trancher ces litiges par des décisions immédiatement exécutoires à défaut de conciliation et de donner un avis sur le règlement intérieur des chambres départementales et régionales (11). L'article 20 de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 lui a confié une importante mission d'unification des règles déontologiques au plan national, en lui reconnaissant le pouvoir d'établir, en ce qui concerne les usages de la profession à l'échelon national, un règlement qui est soumis à l'approbation du garde des sceaux, ministre de la justice (fonction auparavant dévolue aux chambres départementales).
La Chambre nationale règle aussi, en comité mixte (formation composée des membres du bureau et d'un nombre égal de clercs ou employés), les questions d’ordre général relatives au recrutement et à la formation des clercs et employés, l’admission au stage des candidats aux fonctions d’huissier de justice, l’organisation des cours professionnels, la création, le fonctionnement et le budget des œuvres sociales intéressant le personnel, les conditions de travail dans les études et, sous réserve de dispositions particulières, le salaire et les accessoires du salaire.
La Chambre nationale exerce en outre plusieurs attributions spécifiques telles que des fonctions budgétaires relatives aux œuvres sociales intéressant les huissiers de justice, mais surtout par sa représentativité, son rôle en matière de formation professionnelle et ses activités financières. D'une part, elle représente l’ensemble de la profession auprès des services publics (12), à la fois comme interprète des huissiers de justice auprès des pouvoirs publics nationaux - en particulier le ministère de la justice - et comme interlocuteur privilégié de ces derniers pour tout ce qui concerne la profession (13). A ce titre, elle est amenée à donner son avis sur les questions professionnelles rentrant dans ses attributions, chaque fois qu’elle en est requise par le garde des sceaux. Par son intermédiaire, la communauté professionnelle peut faire valoir son point de vue dans les domaines qui la concernent, comme le font d’autres professionnels par le biais d’ordres ou de syndicats. Il va de soi que la Chambre nationale représente pour les pouvoirs publics un précieux conseiller technique seul capable d'adapter des objectifs généraux à des spécificités professionnelles. Cette représentativité a été considérablement accrue par la loi du 28 mars 2011 qui reconnaît à la Chambre nationale le droit de se constituer partie civile devant toute juridiction relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession (art. 26 modifiant l'article 8 de l'ordonnance du 2 novembre 1945).
D'autre part, la Chambre nationale assure la formation initiale et continue des huissiers de justice et a la charge de l’organisation matérielle de l’examen professionnel. Au niveau de la formation, trois organismes jouent un rôle essentiel : le Centre National de Formation Professionnelle (CNFP) qui ne dispense pas d'enseignement mais est chargé, au sein de la Chambre nationale, d’aider les candidats aux fonctions d’huissier en assurant le suivi du stage ; l’Ecole Nationale de Procédure Etablissement Paritaire Privé (ENPEPP) qui assure depuis 1960 la formation initiale du personnel des études aux fonctions d’huissier de justice sous la forme d'enseignements par correspondance et élabore le contenu du stage, le tout en étroite collaboration avec le Département Formation des Stagiaires (14) ; l’Institut de Formation Continue des Huissiers de Justice (IFOCH) créé en 1995 pour gérer la formation continue des huissiers de justice. (15)
Enfin, la Chambre nationale exerce d'importantes attributions financières au profit des membres de la profession. Elle en a effet pour mission d’assurer la garantie collective de la responsabilité professionnelle des huissiers de justice (16) et a été habilitée à octroyer à ces derniers certaines aides pécuniaires aux stagiaires (17) et à certains membres du personnel des études inscrits auprès du CNFP (18). En outre, un service particulier nommé Caisse des prêts est destiné à consentir des prêts aux aspirants aux fonctions d’huissier de justice et au premier titulaire des offices créés (19) ; le bénéfice de des aides a été étendu par l'article 19 de la loi du 28 mars 2011 (art. 9 bis, al. 1 de l'ordonnance de 1945) à tout huissier en activité, y compris ceux qui exercent comme salariés.
A cette aide financière propre aux huissiers de justice s’ajoutent les aides financières prévues par l’article 21 de la loi n° 73-546 du 25 juin 1973 commune à tous les officiers publics ou ministériels. Les huissiers de justice bénéficient ainsi d’une caisse ayant pour objet très large l’octroi de subventions et d’avances destinées à améliorer les conditions de recrutement, d’exercice de la profession et de répartition des offices. Cette caisse est alimentée notamment par une cotisation spéciale payable par les membres de la profession et éventuellement modérée pour les offices les moins rentables.
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(1) V. FERRIERE, Dictionnaire de droit et de pratique, v° Sergent ; JOLY (Jacques) dans ses observations sur les Trois livres des offices de France de E. Girard, titre Des sergens de la douzaine, Paris, Richer, 1628.
(2) Parmi les nombreuses condamnations pénales d'huissiers conservées aux Archives Nationales, on peut citer, à titre d'exemple, un arrêt du Parlement du 17 octobre 1731 (Paris, Simon, 1731) condamnant le sergent royal Jean Chauvin, reconnu coupable d'exactions et de malversations dans l'exercice de ses fonctions, à être appliqué au carcan pendant deux heures avec l'écriteau « Huissier prévaricateur » puis banni pour neuf ans de la ville et sénéchaussée d'Angoulême.
(3) Décr. 18 juin 1811 contenant règlement pour l'administration de la justice en matière criminelle, de police correctionnelle et de simple police, et tarif général des actes, chap. VI, art. 69.
(4) Par exemple, la Note sur les pièces à produire par les candidats aux fonctions d'huissier, publiée en 1879 (Paris, Renou) par la chambre de discipline des huissiers de la Seine (ce département ne comprenant qu'un seul tribunal civil était assimilé, du point de vue de l'organisation corporative, à un arrondissement) mentionnait le certificat de capacité et de moralité délivré par la chambre de discipline de la compagnie.
(5) Not. ord. 1945, art. 6 ; décr. 1975, art. 25, 29, 37 et s.
(6) L’ordonnance du 28 juin 1945 établit, pour tous les officiers publics ou ministériels, une hiérarchie de sanctions allant du simple avertissement à l’interdiction d’exercer. Ces peines disciplinaires sont, par ordre de gravité croissant, le rappel à l’ordre, la censure simple, la censure devant la chambre assemblée, la défense de récidiver, l’interdiction temporaire et la destitution. Elles peuvent être assorties d’une mesure complémentaire d’inéligibilité aux chambres et organismes professionnels pendant une durée ne pouvant excéder dix ans (cette mesure provisoire ne peut en réalité accompagner que les peines autres que l’interdiction et la destitution, ces dernières entraînant à titre accessoire une inéligibilité définitive.
(7) En prévoyant que la chambre départementale prévient et concilie tout différend d’ordre professionnel, le législateur permet à la profession d’éviter ou de régler elle-même les litiges entre huissiers de justice. C’est là l’expression juridique d’un paternalisme traditionnel au sein des professions organisées, expressément réaffirmé par le règlement intérieur type des chambres départementales : « En cas de difficultés ou de litige entre associés et préalablement à toute action judiciaire, l’associé plaignant ou les associés en informent la chambre départementale. Le Président de la chambre départementale peut désigner un ou plusieurs médiateurs en vue de concilier les parties » (art. 15). En pratique, l’exercice de cette fonction est permis par une procédure simplifiée : en cas de différend entre huissiers de justice du même ressort, ceux-ci peuvent se présenter contradictoirement devant la chambre départementale, sans convocation préalable. Chaque partie peut également faire convoquer l’autre par lettre simple adressée au secrétaire de la chambre et dont une copie, visée par le président, est envoyée à l’huissier de justice appelé à comparaître.
(8) V. not. CA Paris, 16 avr. 1996, préc., sur la compétence territoriale.
(9) Une chambre régionale peut ainsi faire valoir les intérêts de la profession devant les juridictions lorsque l’un de ses membres a subi un outrage ou des voies de fait (v. not. T. corr. Mâcon, 23 oct. 1974, Rev. huissiers 1974. 229 et T. corr. Reims, 3 juill. 1975, ibid. 1975. 175) ou lorsqu’un préjudice a été causé à la profession tout entière (v. S. Gobert, Publicité : l’habit ne fait pas l’huissier, in Journ. huissiers, n° 58 - nov./déc. 1999, p. 50, à propos d’un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 24 mars 1999 dans une affaire où l’animateur d’une loterie organisée dans un magasin s’était fait passer pour un huissier aux yeux de la clientèle). La chambre régionale agit alors non pas en représentation de la victime - selon un principe bien connu, nul en France ne plaide par procureur - mais en vertu d’un véritable intérêt collectif qui est celui de la communauté professionnelle qu’elle figure (v. D. Lochouarn, Intérêts professionnels : notion et représentation par les ordres professionnels, in Rev. huissiers 1999. 149).
(10) Cette mission, auparavant confiée aux chambres départementales, a été transférée à la chambre régionale avec quelques modifications substantielles.
(11) Ces diverses attributions sont assurées par le Bureau, qui exerce tous les pouvoirs d’administration nécessaires au bon fonctionnement de la Chambre et de ses services administratifs, instruit les litiges d’ordre professionnel, examine les projets de règlements intérieurs des chambres régionales et départementales, élabore les projets de modification de lois ou de décrets qui intéressent la profession, organise et propose le budget de toutes les œuvres sociales intéressant les huissiers de justice. Plus particulièrement, le Président dirige les travaux du Bureau, assure les liaisons avec les pouvoirs publics, représente la chambre dans les actes d’administration courante (il dirige les services administratifs, il propose les dates des réunions et convoque les participants). Le trésorier établit le budget et le bilan annuels, et le secrétaire (assisté du personnel administratif de la Chambre) rédige les procès-verbaux des séances du bureau, en délivre les expéditions à l’ensemble des délégués et assure la conservation des archives.
(12) Ord. 1945, art. 8.
(13) Nous retrouvons ici le même trait essentiel qui caractérise les instances professionnelles supérieures de tous les officiers ministériels et de tous les professionnels organisés en ordres.
(14) Les enseignements de l’ENPEPP doivent également être suivis par les stagiaires soumis au régime du Centre National de Formation Professionnelle (v. n° 270) et s’adressent plus largement à tous les autres stagiaires qui désirent compléter leur préparation à l’examen professionnel.
(15) Après avoir assuré des formations par l’intermédiaire des chambres départementales et régionales, il s’adresse aujourd’hui directement aux huissiers de justice en proposant à leur choix les thèmes, les dates et les lieux des animations.
(16) Cette garantie collective a remplacé le cautionnement individuel exigé autrefois des huissiers. D’abord assurée au niveau départemental par la bourse commune, elle a été confiée à la Chambre nationale par la loi n° 92-644 du 13 juillet 1992 (ord. n° 45-2592 du 2 nov. 1945, art. 2, al. 4). Elle est assurée par une Caisse de garantie placée sous l ‘autorité du Président de la Chambre et administrée par un comité de gestion (composé du trésorier et de six autres membres) et également chargée de gérer tout contrat d’assurance qui pourrait être souscrit pour le compte de la profession. Cette caisse est financée par une cotisation spéciale de chaque huissier de justice, perçue par les chambres départementales.
(17) Le Centre National de Formation Professionnelle est habilité à aider financièrement les stagiaires qui ont subi avec succès un concours spécial ouvert sous certaines conditions, en réglementant la rémunération du stage et en lui accordant une aide à l'installation et la prise en charge de tout ou partie des frais de gestion de l’emprunt souscrit auprès de la Caisse des prêts. Ces aides sont subordonnées à l'assiduité aux enseignements dispensés et à une obligation de résultats aux examens.
(18) Cette aide prend la forme d'une bourse (versée à l'employeur qui la rétrocède au bénéficiaire) en contrepartie de l'assiduité aux enseignements du DFS.
(19) Cette caisse est alimentée principalement par une cotisation spéciale due mensuellement par tout membre de la profession.
Dernière mise à jour le 10 mai 2011
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