X - LA MONTRE DES HUISSIERS
Chaque année, à Paris, le jour du Mardi-Gras et plus tard (à compter de 1559) le lendemain de la fête de la Trinité à un heure de l'après-midi, les officiers du Châtelet faisaient une cavalcade pour aller saluer les principaux magistrats. Cette cérémonie rappelait le temps où le prévôt parcourait la ville avec ses subalternes pour faire la police et recevoir les plaintes que le peuple n'osait pas faire au tribunal contre ses officiers.
L'imposante procession à cheval (elle comptait parfois plus de cinq-cents participants) partait du Châtelet, sur deux files, guidon et musique en tête. Les huissiers et sergents portaient la main de justice et autres attributs.
E. Drumont, Les fêtes nationales à Paris, Paris, Boschet, 1879.
Le lendemain, chaque huissier devait se présenter au châtelet et était appelé par son nom et dans l'ordre de réception, pour répondre des plaintes qui pouvaient être formées contre lui par les justiciables.
Par la suite, l'institution connut quelques modifications importantes dans son déroulement : comme il était devenu impossible de régler verbalement et sur le champ toutes les réclamations formulées par les particuliers, cette manifestation fut scindée en deux phases qui se déroulaient sur deux jours : la montre et l'appel des huissiers.
Au XVIIIème siècle, la montre proprement dite consistait en un simple cortège auquel le prévôt n'assistait plus depuis longtemps. Seule une représentation des différentes catégories d'officiers y participait, sous la présidence d'un magistrat : pour les huissiers, il s'agissait d'un premier huissier, de quelques huissiers audienciers, huissiers-priseurs, huissiers à verge et huissiers à cheval.
Les huissiers à cheval, revêtus d'une robe d'ordonnance rouge galonnée d'or, ouvraient la marche précédés d'une fanfare et des divers attributs de la justice : casque, cuirasse, gantelet, bâton de commandement et main de justice. Suivaient, dans l'ordre, les huissiers-priseurs, les huissiers-audienciers, le premier huissier et le greffier, tous en robe noire et montant des chevaux couverts de longues housses de la même couleur, puis les magistrats en robe rouge et les commissaires en robe de soie noire. Enfin, également précédés par des attributs de justice, les huissiers à verge fermaient la marche, également à cheval et portant robe d'ordonnance bleue galonnée d'argent.
Ce cortège équestre partait du Châtelet à une heure de l'après-midi, se rendait chez le premier président du Parlement, auquel le lieutenant civil ou son un remplaçant faisait un discours sur l'hommage que le Châtelet rend au Parlement. De là, la troupe se dirigeait chez le Chancelier, chez les présidents à mortier, chez les avocats et procureurs généraux du Parlement, chez le gouverneur de Paris, chez le prévôt, chez les lieutenants civils et principaux magistrats du Châtelet puis, enfin, à Sainte-Geneviève. Finalement, le cortège reconduisait le magistrat qui l'avait dirigé jusqu'au Châtelet, d'où les huissiers à cheval et à verge le raccompagnaient chez lui.
Plusieurs témoins du temps ont ironisé sur le caractère disgracieux du cortège, les huissiers étant de piètres cavaliers.
Le poète Antoine-Martin Le Mierre (1) écrivait à ce sujet :
« Voyez-vous s'avancer, couverts de noirs manteaux,
Ces roides écuyers juchés sur leurs chevaux.
Cavalcade peu faite aux marches régulières.
Qui vient parodier nos brigades guerrières,
Et tenant mal les rangs, plus mal les étriers.
Saisit au moindre choc le crin de ses coursiers. »
Louis-Sébastien Mercier (2) décrivait à son tour la procession des huissiers : « le lendemain de la Trinité, les huissiers à cheval et à verge, et les huissiers priseurs montent à cheval, couverts de leurs robes noires. Ils ont mauvaise grâce, et tout le peuple rit de voir ces suppôts de la justice caracoler, garder mal leurs rangs, et au moindre choc saisir le crin des chevaux. Cette main qui griffonne et faite pour l’écritoire, conduit mal la bride ».
La procession des huissiers, dessin d'Etienne Bocourt publié dans le Magasin Pittoresque de 1872 (vol. 40),
d'après une gravure de 1791 extraite d'un recueil intitulé
Costumes de moeurs et de l'esprit français avant la grande révolution, à la fin du dix-huitième siècle,
et xcvi planches gravées en caricature par un habile maître, pouvant servir d'appendice au tableau de Mercier.
Le lendemain était consacré à l'appel des huissiers, audience spéciale au cours de laquelle étaient jugés les abus commis par ces officiers dans l'exercice de leurs fonctions, non plus sur plainte orale, mais sur placet. Tous les huissiers du ressort étaient tenus de se rendre au Châtelet pour comparaître devant le magistrat qui avait dirigé la montre. A partir de sept heures du matin, étaient appelés, dans l'ordre de leur réception, les huissiers-priseurs puis les huissiers à cheval. Les huissiers à verge comparaissaient l'après-midi.
Lors qu'une plainte était formulée contre un huissier, le magistrat lisait le placet, entendait l'officier concerné, permettait au plaignant de répliquer en personne et statuait sur-le-champ. Si l'accusé ne s'était pas présenté, il jugeait par défaut. Le magistrat pouvait prononcer l'interdiction, la contrainte par corps ou une amende. Toutefois, comme le soulignait Mercier, « les chefs les punissent si rarement, que sur cent plaintes une à peine est admise ».
Une cérémonie similaire avait lieu à Abbeville le jour de la Saint Louis, pour tous les huissiers ordinaires et extraordinaires du comté de Ponthieu, excepté les huissiers-audienciers du présidial et les huissiers-priseurs-vendeurs. En Artois, les huissiers étaient tenus de se rendre aux synodes tenus deux fois par an, l'un le mardi d'après Quasimodo (où comparaissaient également les notaires), l'autre le premier mardi suivant la rentrée du Conseil d'Artois en octobre. (3)
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(1) Les Fastes ou Les usages de l’année, chant VI, Paris, Gueffier, 1779.
(2) Le tableau de Paris, chap. CCCCXXV, Hambourg, Vichaux et Neufchâtel, Fauche, 1781.
(3) cf. GENTY (Lucien), La basoche notariale, Paris, Delamotte, 1888, p. 69.
Dernière mise à jour le 31 mai 2018
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