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III - LA COMPETENCE DES ANCIENS HUISSIERS ET SERGENTS

La profession d'huissier, véritablement unifiée par les lois révolutionnaires, connaissait auparavant une distinction essentielle entre les sergents et les huissiers proprement dits.

Si l'on se plonge dans la lecture des textes constitutifs du statut de ces officiers, on y trouve de très nombreuses règles de compétence, soit générales, soit spéciales à l'une des différentes catégories de sergents ou d'huissiers qui existaient alors.

Dans la mesure où ces officiers exerçaient des fonctions le plus souvent identiques, il avait été nécessaire de déterminer aussi précisément que possible les attributions de chacun. Pour cela, un grand nombre de dispositions et de décisions juridictionnelles ont eu pour objet, principal ou accessoire, de définir le champ d'intervention de chacun. Il en résulte un ensemble de règles éparses et complexes que nous avons tenté de systématiser. Pour cela, nous avons commencé par opérer une première distinction, traditionnelle en matière de compétence et qui semblait déjà s'imposer, entre la compétence matérielle (I) et la compétence territoriale (II).

I - LA COMPETENCE MATERIELLE

Des attributions précises déterminaient le droit d'exercer telle ou telle activité. Certaines de ces attributions étaient communes à tous sergents et huissiers (A). D'autres, en revanche, faisaient l'objet d'un monopole strict (B).

A - Les activités concurrentielles

Depuis que les huissiers ont pu ajouter à leurs anciennes fonctions de portier celle d'exécution et de signification (ceux du Parlement de Paris exécutaient déjà les décisions de la cour au XIIIème siècle), ils se sont trouvés en concurrence avec les sergents à qui ces missions étaient confiées de longue date. Mis à part le service des audiences, leurs compétences étaient donc identiques.

Au demeurant, à côté des actes qu'ils exploitaient parfois exclusivement en vertu d'un monopole (infra), les différents huissiers ou sergents avaient le droit d'exploiter dans toutes matières, concurremment avec les autres huissiers et sergents.

Par exemple, un édit du mois de novembre 1527 avait autorisé les huissiers du Grand Conseil à faire tous les actes permis aux huissiers du Parlement de Paris et aux autres huissiers et sergents. En 1553, les huissiers-audienciers des sièges présidiaux reçurent le pouvoir de faire tous les exploits des sergents ordinaires.

En 1626, pour mettre un terme aux conflits qui s'étaient élevés entre les sergents du Châtelet de Paris et les huissiers et sergens des Eaux et Forêts, Maréchaussée et Connétablie, le Parlement déclarait maintenir ces derniers dans leur droit de faire tous les exploits non réservés aux premiers (1). De même, lorsque les huissiers des juridictions consulaires furent créés, une déclaration du 20 décembre 1712 leur permit d'exploiter dans toutes matières non commerciales, en concurrence avec les autres huissiers.

B - Les attributions monopolistiques

A côté des actes communs que tout sergent ou huissier pouvait accomplir, certains exploits ne pouvaient être faits que par une catégorie d'officiers bien déterminée. L'exclusivité de ces attributions dépendaient, soit de la nature de la charge de l'officier, soit de la juridiction où il avait été reçu et immatriculé.

1 - Les attributions ratione officii : le cas des huissiers proprement dits

Les compétences déterminées par la nature de l'office étaient de deux ordres : les unes tenaient au caractère royal ou seigneurial de l'office, sachant que certaines affaires étaient réservées aux officiers du roi ; les autres étaient liées à la nature des actes et de ce point de vue, les huissiers avaient obtenu certains privilèges en raison du service personnel attaché à leur charge.

a) Le caractère royal ou seigneurial de l'office

Les huissiers et les sergents faisaient l'objet d'une distinction essentielle entre deux catégories : les officiers royaux et les officiers seigneuriaux.

Tous ces officiers exerçaient pourtant des fonctions matériellement identiques. Il s'agissait d'officiers publics chargés des significations, assignations et exécutions sur les biens ou sur les personnes. Mais en réalité, leurs compétences obéissaient à des règles bien précises, destinées à tenir compte de l'autorité de celui qui les avaient nommés.

Pour leur part, les huissiers et sergents seigneuriaux exploitaient le sceau d'un seigneur et exécutaient les ordres de ses juges. Dans la mesure où la justice seigneuriale comprenait plusieurs niveaux selon l'importance de la seigneurie (haute justice, c'est-à-dire justice plénière ; moyenne justice ; basse justice limitée à des affaires d'importance mineure), le pouvoir des huissiers et sergents des seigneurs dépendait de cette distribution : le sergent d'un haut-justicier pouvait exploiter en toutes matières, mais celui d'une basse justice n'avait pas le droit d'instrumenter en ce qui concernait la moyenne ou la haute.

En outre, les sergents seigneuriaux étaient tenus de respecter la compétence des huissiers et sergents royaux, qui s'imposait dans des cas précis. Il s'agissait des causes d'appel, qui étaient nécessairement soumises au juge royal en vertu d'une hiérarchie juridictionnelle issue du droit féodal, et des cas royaux concernant des questions importantes dont la connaissance était réservée aux juges royaux quoique l'affaire eût lieu dans les terres d'un seigneur justicier.

La prééminence de la justice royale fut rappelée notamment dans un arrêt de la Chambre du Domaine du 30 avril 1738, confirmé par le Parlement de Paris le 6 septembre de la même année, prononçant la nullité d'une assignation donnée par un sergent seigneurial en vertu d'une commission qui ne pouvait s'adresser qu'à un sergent royal.

b) Les actes réservés aux huissiers

Seuls habilités à signifier dans l'enceinte de leur juridiction (infra), les huissiers avaient parfois même - toujours en raison de leur attachement à cette juridiction - l'exclusivité de certains actes à l'extérieur.

En ce sens, il fut décidé par un arrêt de 1544, que seuls les huissiers du Parlement de Paris pouvaient exécuter les commissions du Parlement pour faction d'enquêtes, confection d'inventaires et exécutions d'arrêts.

Parfois, un monopole territorial entrait en ligne de compte et se combinait avec une exclusivité matérielle. Par exemple, l'arrêt du Parlement de Toulouse du 3 février 1744 avait décidé que nul huissier ou sergent du ressort, autre que les huissiers de la cour, ne pouvait signifier ou exécuter dans la ville et les faubourgs aucun acte du Parlement ni aucun acte pour l'exploitation duquel une autorisation judiciaire était requise. Le règlement du 10 avril 1753 disposait aussi que seuls les huissiers du Parlement pouvaient faire les premières significations des actes de la cour dans la ville et les faubourgs, ainsi que les exécutions qui se faisaient en conséquence et les significations ou assignations faites dans la ville en vertu de lettres de la chancellerie adressées à la cour. Selon un autre arrêt du 17 août 1744, les huissiers des sénéchaux et présidiaux du ressort obtinrent le droit d'exploiter, à l'exclusion de tout autre sergent royal, les sentences et jugements des sénéchaux et présidiaux, lettres royaux à eux adressées, déclarations d'appel, assignations aux dits sénéchaux et présidiaux et pareatis desdites juridictions, dans les villes, faubourgs et banlieues des sièges des sénéchaux ou présidiaux, à peine de 300 livres d'amende et autre arbitraire, de nullité et de restitution du salaire perçu.

2 - Les attributions ratione jurisdictionis

Parmi les multiples éléments qui déterminaient la compétence des huissiers et qui conféraient à chaque catégorie des fonctions très spécifiques, la compétence juridictionnelle du tribunal ou de la cour dont ils dépendaient avait une grande importance. On constate en effet, à la lecture d'arrêts et de dispositions notables, que l'huissier avait généralement le monopole des exploits dans les matières attribuées à sa juridiction de rattachement.

Par exemple, les sergents du Châtelet de Paris pouvaient seuls, en principe, mettre à exécution les contrats, obligations, sentences, jugements, ordonnances et autres actes passés sous le sceau de la Prévôté de Paris. La restriction apparaissait clairement dans les commissions du prévôt qui contenaient cette adresse : « Au premier notre sergent à cheval, fieffé ou à verge ». Par exception, il était permis à d'autres sergents royaux d'exploiter le sceau de la Prévôté de Paris dans les villes de prévôté, bailliage ou sénéchaussée où ne résidait aucun sergent à cheval.

De même, conformément à l'arrêt du 22 août 1626, les actes, sentences et jugements des juridictions des Eaux et Forêts, Connétablie, Maréchaussée et Bailliage du Palais devaient être mis à exécution par les huissiers et sergents reçus après de ces juridictions. Pareillement, les huissiers des consulats pouvaient seuls signifier, dans les juridictions consulaires de leur établissement, les défauts, sentences de réception de caution et autres actes dispensés du sceau (2) et le Parlement de Toulouse avait décidé, le 3 février 1744, que les huissiers du Présidial auraient l'exclusivité des exécutions des jugements présidiaux partout en ville et dans les faubourgs, à l'exception bien entendu de l'enclos du Palais où seuls les huissiers de la cour exploitaient.

Inversement, d'après ce dernier arrêt, un huissier ou sergent ne pouvait exploiter aucun acte de justice émanant d'une juridiction autre que celle où il avait été reçu. Au XVIème siècle, même, il ne pouvait assigner que devant son juge (arrêt du 30 mai 1524). Cette règle, abrogée par la suite, a seulement survécu pour faire la distinction entre la justice laïque et la justice ecclésiastique, en interdisant à l'appariteur du juge d'Eglise d'ajourner devant le juge laïc et au sergent du juge séculier de citer devant l'official.

II - LA COMPETENCE TERRITORIALE

Au plan géographique, la compétence des huissiers et des sergents dépendait principalement de la distinction des officiers royaux (A) et des officiers seigneuriaux (B).

A - Le territoire des officiers royaux

Lorsque l'huissier ou le sergent tenait sa charge en vertu de provisions données par le roi, son pouvoir empruntait à l'autorité de la justice royale et se heurtait à ses limites. En outre, au sein même de la justice royale, la compétence de chaque officier dépendait généralement du ressort territorial de la juridiction à laquelle il était attaché. Enfin, la qualité d'huissier ou de sergent n'était pas sans importance dans la mesure où les huissiers bénéficiaient d'un monopole à l'intérieur des murs de leur juridiction. Tel sont donc les trois paramètres que nous envisageront successivement : la qualité d'officier royal, le ressort territorial des juridictions et la qualité d'huissier.

1 - La qualité d'officier royal

Selon une maxime fondamentale du gouvernement monarchique, la justice, d'inspiration divine, appartenait au roi seul dans son royaume. Par conséquent, aucun droit de justice ne pouvait être exercé autrement qu'en vertu d'une concession du roi ou d'une possession immémoriale. Tel était, à l'époque franque, la base d'une organisation judiciaire où le roi chargeait quelques comtes d'exercer la justice en son nom dans leur circonscription. Mais après que l'autorité royale se fût effondrée, les seigneurs s'étaient attribués eux-mêmes le droit de rendre la justice dans leur domaine et avaient concédé à leurs vassaux certaines compétences plus ou moins étendues selon leur dignité. Au XIIIème siècle, la justice se trouvait ainsi divisée entre de nombreux seigneurs exerçant la haute-justice, compétente pour les causes importantes, ou seulement la basse-justice réservée à des affaires mineures (3). La coutume avait consacré ce fractionnement et le roi dût s'y résigner. (4)

En concédant ou en reconnaissant la justice aux seigneurs, le roi leur avait en même temps permis de créer des sergents pour exécuter les décisions de leurs juges, privant de ce fait les sergents royaux de la possibilité d'exploiter dans les terres de ces seigneurs. Au Moyen Age, un sergent royal ne pouvait pas opérer sur les terres d'un haut-justicier sans la permission de celui-ci. Même un huissier du Parlement, qui avait le droit d'instrumenter dans toute la France, ne pouvait exploiter sur les terres d'un haut-justicier qu'accompagné d'un sergent de la seigneurie.

Cette règle était toutefois écartée en présence d'un cas d'appel ou d'un cas royal. Pour ces sortes d'affaires, les sergents royaux pouvaient mettre à exécution les ordres des juges royaux, fut-ce contre le gré du seigneur justicier. Il y avait ainsi une brèche dans le pouvoir des officiers seigneuriaux et cette faille ne fit que s'agrandir avec le temps. On constate, en effet, que la liste des cas royaux n'a cessé de s'allonger, donnant toujours plus de compétence aux juges royaux et à leurs auxiliaires. De plus, les plaideurs prirent l'habitude de demander aux juges royaux des autorisations de saisir et exécuter les sujets des hauts-justiciers dans leur seigneurie, permissions prétendument exceptionnelles que les juges royaux ne manquaient pas de délivrer.

Les sergents royaux faisaient aussi l'objet, selon une ordonnance de Philippe le Bel, d'une interdiction de résider à l'intérieur des seigneuries. La raison en était, tout simplement, qu'un officier devait en principe résider dans le lieu où il devait exercer sa charge : ne pouvant exercer habituellement dans les terres des hauts-justiciers, un sergent royal ne pouvait donc pas y demeurer. Par dérogation, les sergents qui étaient nés ou mariés dans une seigneurie pouvaient y habiter, à la seule condition de ne jamais y exploiter, même pour cas de ressort ou cas royal : ils devaient, lorsqu'un tel cas se présentait, laisser d'autres sergents royaux s'en charger afin d'éviter tout conflit entre leur qualité d'officier du roi et leur condition de sujet du seigneur (5). Toutefois, lorsque le nombre des sergents royaux a été augmenté, l'interdiction de résidence a été assouplie par nécessité : ne pouvant tous les contenir sur les terres du roi, on leur a permis de résider dans celles des seigneurs, à la condition de ne pas distraire leur justice et de n'exploiter dans la seigneurie qu'en cas royal ou de ressort.

Une troisième prohibition s'imposait aux sergents royaux en conséquence de la distinction entre la justice royale et la justice seigneuriale : celle d'exécuter les obligations passées sous le sceau des hauts-justiciers et les sentences de leurs juges. Cette interdiction, rappelée plusieurs fois par le Parlement de Paris au XVIème siècle (6), se justifiait de deux manières : d'une part, elle protégeait les droits du seigneur sur ses terres et le pouvoir corrélatif de ses sergents ; d'autre part, on ne pouvait admettre qu'un sergent royal exécutât les ordres d'un juge subalterne sans mettre le roi au service de son vassal.

La nullité des exploits effectués dans de telles conditions était discutée, certains auteurs estimant que leur validité s'imposait par respect envers le roi. En revanche, le sergent royal pouvait être ajourné devant le juge seigneurial aux fins de donner copie de son exploit, ainsi qu'il fut jugé par arrêt du 5 mars 1554. Il pouvait aussi être condamné par le juge royal dont il dépendait en une bonne réparation envers le seigneur lésé ou ses sergents particuliers. Mais en aucun cas, il n'appartenait au seigneur de punir un sergent royal et ce, pour deux raisons : la première tenait à l'impossibilité traditionnelle qu'il y a à être à la fois juge et partie ; la seconde, à la règle selon laquelle les huissiers et sergents étaient justiciables de la juridiction auprès de laquelle ils étaient immatriculés. La Coutume de Normandie, par exemple, disposait que « lesdits Hauts-Justiciers ne peuvent user d'arrest ou emprisonnement sur aucuns Officiers ou Sergens Royaux et ordinaires, qui exploiteront dans le district de leurs Hautes-Justices, et ne peuvent prendre connoissance des fautes que lesdits Officiers ou Sergens Royaux pourroient commettre en faisant l'exercice de leurs Offices en leurs Hautes-Justices. Mais s'ils vouloient prétendre que lesdits Officiers ou Sergens eussent failli en leurs Exploits, ils se pourront plaindre au prochain Bailly Royal qui en fera la justice » (art. 18). Le Parlement de Paris avait lui aussi jugé en ce sens le 1er février 1545 en annulant la saisie du cheval d'un sergent royal pratiquée par un seigneur justicier dont il avait ajourné sans droit un justiciable.

2 - Le ressort territorial des juridictions

Une autre règle générale voulait que la justice royale fût exécutée par des huissiers ou des sergents royaux. Ainsi jugea le parlement de Paris le 2 juillet 1523 en enjoignant aux baillis et aux sénéchaux de ne charger des exécutions que des sergents royaux, à peine de nullité.

En contrepartie, et suivant une organisation juridictionnelle complexe, chacun de ces officiers avait pour obligation de ne pas exploiter en dehors du ressort de la juridiction auprès de laquelle il était reçu. Par ordonnance de 1318, renouvelée par des édits en 1345 et en 1402, le roi prescrivit que « tous Sergens n'ayent puissance sergenter Seneschaussée et Bailliage generallement mais voulons qu'ils ayent puissance chascun singulierement de sergenter par Prevosté et Chastellenie ». A ce principe, toutefois, dérogeaient des règles spéciales.

a) Le principe général

La justice royale, telle qu'organisée par les ordonnances, comprenait trois degrés de juridiction : la châtellenie ou prévôté, le bailliage ou sénéchaussée et la cour de parlement. Dans chaque province et à chacun de ces échelons, des huissiers ou sergents étaient installés. Dès lors, des règles précises avaient dû être édictées pour empêcher tout empiétement entre officiers attachés à des juridictions de degré différent et entre officiers de juridictions de même niveau mais de ressorts différents.

Bien entendu, par le jeu de la hiérarchie juridictionnelle, le sergent royal d'un juge supérieur pouvait exécuter les mandements de celui-ci dans les justices royales inférieures du ressort, sans être tenu de se faire autoriser par le juge inférieur (par exemple, un sergent bailliager se passait de l'accord du juge prévôtal pour exploiter dans le territoire d'une prévôté du bailliage).

En revanche, un huissier ou sergent reçu dans une juridiction royale ne devait pas exploiter hors de son ressort (7), notamment dans une juridiction de même degré (8). Le Parlement de Paris a toujours veillé au respect de cette règle. Dans les premiers temps, il recevait les appels formés contre de tels exploits pour les faire annuler. La raison première en était, qu'autoriser un sergent à exploiter hors de son territoire obligeait la partie assignée à se déplacer, après l'intervention du sergent, pour aller chercher l'exploit au lieu de sa résidence. Mais à la suite de l'ordonnance du 1er octobre 1535 qui obligea les sergents à laisser le double de leurs exploits, les particuliers avaient perdu tout intérêt à avoir affaire à tel ou tel sergent. Le Parlement rejeta donc leurs appels mais continua toutefois de recevoir ceux du ministère public afin d'empêcher que les officiers d'une juridiction n'entreprissent sur ceux d'une autre. En cas de contravention, l'exploit restait valable mais le sergent fautif pouvait être contraint par la saisie de son cheval à venir s'expliquer en justice et y être condamné à une amende envers le roi et à des dommages-intérêts envers sa partie (9). Le pouvoir royal, constatant que « plusieurs Huissiers et Sergens Royaux, contre la disposition des Ordonnances et le titre même qui les rend Officiers, ont entrepris depuis long-temps dans quelques Provinces de notre Royaume, d'exercer leurs fonctions hors de l'étendue du Siège dans lequel ils sont immatriculez », renouvela l'interdiction à peine de nullité des exploits et de cinq cents livres d'amende, par deux déclarations quasiment identiques des 1er mars 1730 et 18 août 1742.

Cependant, l'officier pouvait être exceptionnellement autorisé à exploiter en dehors de son ressort. Par exemple, pour pouvoir exécuter un arrêt prononcé par une cour de parlement dans le ressort d'un autre parlement, l'huissier devait obtenir des lettres de pareatis délivrées par le Grand Sceau ou par la chancellerie du parlement dans le ressort duquel l'exécution devait avoir lieu. Ainsi fut jugé par le Parlement de Paris le 2 juillet 1543, puis par arrêt du Conseil privé du 7 septembre 1733 condamnant Bernard Labat, huissier audiencier en la sénéchaussée d'Armagnac résidant à Lectoure, pour avoir signifié sans permission une commission de la chancellerie du Parlement de Paris à un seigneur du ressort du Parlement de Toulouse. Ce dernier arrêt décida en outre qu'en cas de contravention, l'exploit serait nul, le sergent interdit et passible d'une amende de cinq cents livres par infraction.

Une fois autorisé à exercer dans un autre ressort, l'huissier ou sergent était soumis à certaines obligations envers la juridiction du lieu. Au XIVème siècle, le sergent d'un bailliage commis pour exploiter dans un autre bailliage, devait se faire accompagner d'un sergent du lieu chargé d'aller avec lui et de le voir faire son exploit. Au XVIème siècle, il était tenu de donner copie de son exploit au juge du lieu, faute de quoi celui-ci pouvait le décréter d'ajournement personnel et saisir son cheval jusqu'à ce qu'il ait obéi. Toutefois, en cas de faute commise dans l'exercice de son office, il ne pouvait être jugé et puni que par le juge qui l'avait commis.

En revanche, les sergents royaux pouvaient exécuter sans permission les jugements des juridictions qui n'avaient pas de territoire véritablement limité. Ils exploitaient ainsi les jugements des Requêtes du Palais, de la Table de Marbre et de la Chambre du Domaine dans toute l'étendue du ressort du Parlement de Paris, et ceux de la Prévôté de l'Hôtel, des Requêtes de l'Hôtel et du Grand Conseil dans tout le royaume.

b) Les règles spéciales

Plusieurs dispositions dérogeaient à la compétence territoriale des huissiers et des sergents, permettant à des communautés locales d'officiers de bénéficier de régimes spéciaux. On peut citer pour l'exemple, l'arrêt du Parlement de Toulouse du 10 avril 1753 portant règlement entre les huissiers du Parlement et ceux des juridictions inférieures : aux termes de cette décision, les huissiers de la cour devaient exploiter, concurremment avec les autres, les déclarations d'appel et les décisions des juridictions étrangères dans la ville et les faubourgs ; ils étaient aussi en concurrence pour exploiter les lettres d'appel dans les faubourgs et pour faire, dans la ville, tout exploit non réservé.

Sans doute, le plus important de ces régimes spéciaux concernait les sergents du Châtelet de Paris. Par privilège accordé par Charles V en 1366 et confirmé en 1406, les sergents à cheval du Châtelet de Paris pouvaient exploiter dans tout le ressort du Parlement, pourvu qu'ils eussent mandement de leur juge et permission de celui du lieu où ils instrumentaient. Ils obtinrent aussi par édit du mois d'août 1492 le droit de résider en tout lieu du royaume, privilège que pas moins de quatre autres édits sont venus confirmer ultérieurement (10). Quant aux sergents à verge, ils n'exploitaient à l'origine que dans la ville et la banlieue de Paris, où les sergents à cheval n'avaient aucun pouvoir. Mais lorsqu'une multitude d'huissiers et de sergents furent créés dans les juridictions parisiennes, les sergents à verge durement concurrencés obtinrent le pouvoir d'exploiter non seulement dans la ville, mais aussi dans toute l'étendue de la Prévôté et Vicomté de Paris (11). En réaction, les sergents à cheval sollicitèrent le droit d'exploiter dans la ville et dans la banlieue, ce qui fut accordé à deux cent soixante d'entre eux par édit du mois d'avril 1544 confirmé par le Parlement le 5 mai suivant.

Bien que Charles IX tentât de ramener le pouvoir des deux catégories de sergents à ce qui avait été prévu par leur première institution, les deux dispositions qu'il prit en ce sens (12) ne furent jamais entérinées par le Parlement. Du reste, les lois royales ultérieures montrent que les prérogatives respectives des sergents à verge et des sergents à cheval ont été conservées jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. On peut se référer à l'arrêt du Parlement de Paris du 22 août 1626, qui permettait aux sergents à verge et aux sergents à cheval d'exécuter concurremment les actes passés et expédiés sous le sceau du prévôt, dans la ville, Prévôté et Vicomté de Paris, les sergents à cheval pouvant en outre exploiter dans toute l'étendue du Royaume. Plus d'un siècle après, les deux déclarations des 1er mars 1730 et 18 août 1742, tout en interdisant aux huissiers et sergents d'instrumenter hors du ressort de la juridiction où ils étaient immatriculés, précisaient que le roi n'entendait pas comprendre ceux du Châtelet de Paris qui avaient le pouvoir d'exploiter par tout le royaume. Le 3 novembre 1761, le Conseil d'Etat devait lui aussi affirmer que les huissiers à cheval (comme d'ailleurs les huissiers fieffés du Châtelet, les premiers huissiers des juridictions royales, les huissiers audienciers des chancelleries près les présidiaux et les huissiers en la Connétablie et Maréchaussée de France) avaient le droit d'instrumenter dans toute la France.

3 - La qualité d'huissier

En raison du service personnel qu'ils accomplissaient au sein des juridictions, les huissiers avaient très souvent obtenu le droit d'instrumenter au Palais, à l'exclusion de tous autres huissiers ou sergents. Au Parlement de Paris, seuls les huissiers de la cour pouvaient exploiter. Ce privilège était d'ailleurs jalousement défendu par ceux qui en jouissaient et protégé par les magistrats, comme on le voit par un arrêt du 12 juillet 1546 interdisant à tous sergents de venir exécuter au Palais et dans les murs de celui-ci sans permission expresse de la cour, à peine de nullité des exploits, d'amende arbitraire, de suspension de leurs états pour le première fois ou de privation en cas de récidive et d'emprisonnement par les huissiers qui les trouveraient contrevenants. De même, au Parlement de Toulouse, un huissier de la sénéchaussée nommé Rocques fut condamné le 3 février 1744 pour avoir empiété sur le monopole des huissiers du Parlement. La cour en profita pour défendre à tous huissiers et sergents du ressort d'exploiter dans l'enceinte du Parlement, à peine de faux, de nullité, de prison et de cinq cents livres d'amende.

Ce monopole des exploits intra muros curiae, dont l'exercice ne nécessitait par hypothèse aucun déplacement, avait été accordé aux huissiers en raison de l'interdiction qui leur était faite de s'absenter du tribunal ou de la cour. Il fut à l'origine de l'exclusivité des significations de procureur à procureur (qui devait donner plus tard le monopole des huissiers audienciers à l'égard des significations d'avoué à avoué) que l'on trouve affirmée, notamment, dans l'arrêt du Parlement de Toulouse du 10 avril 1753 portant règlement entre les huissiers du Parlement et ceux des juridictions inférieures. Aux termes de ce texte, les huissiers du Parlement pouvaient seuls faire les significations de procureur à procureur dans toutes les instances pendantes devant la cour.

B - Le territoire des officiers seigneuriaux

L'huissier ou le sergent seigneurial tenait lui aussi sa charge en titre d'office, mais en vertu de provisions données par le seigneur dont il servait la justice. De la sorte, les simples seigneuries qui n'avait point de justice annexée ne pouvaient avoir de sergents. En revanche, les seigneurs justiciers devaient tous instituer des sergents pour l'exécution des décisions de leurs juges. De là, certaines précautions ont été nécessaires pour éviter la concurrence, entre les sergents royaux et les sergents seigneuriaux d'une part et, d'autre part, entre sergents de seigneuries différentes. Nous avons déjà déterminé les compétentes des officiers royaux, il ne nous reste donc plus qu'à indiquer les règles applicables aux officiers des seigneurs.

Une première règle destinée à éviter tout concours avec les officiers du roi ou d'un autre seigneur interdisait aux huissiers ou sergents seigneuriaux d'exploiter en dehors du ressort de la juridiction seigneuriale qui les avait reçus (13). Telle était la conséquence naturelle de la limitation de la justice seigneuriale : puisque les seigneurs n'avaient pas de juridiction en dehors de leurs terres, les officiers pourvus par eux ne pouvaient faire aucun exploit hors de la seigneurie.

Selon une autre règle, les huissiers et sergents seigneuriaux ne pouvaient pas exécuter les mandements des juges royaux à l'intérieur de la seigneurie, à peine de nullité des exploits.

Réciproquement, les officiers seigneuriaux étaient seuls en droit d'exécuter un acte passé et scellé dans la seigneurie. Quand un juge seigneurial voulait que sa décision pût être mise à exécution par un sergent royal ou un sergent d'une autre seigneurie, il lui fallait mettre à la fin de l'acte une formule spéciale que la pratique nommait rogat ou clause rogatoire et qui s'écrivait en ces termes : « si donnons en mandement au premier sergent de la cour de céans, requérant tous autres sergents royaux, ou de seigneurs hauts justiciers, mettre ces présentes à exécution due. »

Ces règles, qui avaient une grande utilité lorsque le roi coexistait avec de très nombreux seigneurs justiciers, ont vu leur importance diminuer à partir du XIVème siècle. A cette époque en effet, de nombreuses seigneuries furent réunies au domaine du roi (par achat, pariage, succession, confiscation ou conquête), qui y installa bien entendu ses propres juges. Parfois même, le roi décidait de racheter le droit de justice de telle ou telle seigneurie, comme il le fit en 1674 de toutes les justices seigneuriales de Paris pour les réunir à la juridiction royale du Châtelet. De la sorte, le nombre des justices seigneuriales n'a cessé de diminuer et celles qui subsistaient avaient généralement un ressort très étroit.

Conclusion : évolution de la compétence de l'huissier depuis la fin de l'ancien régime

La Révolution de 1789 et les lois qui l'ont suivie ont véritablement bouleversé le système que nous venons de décrire. Par l'effet de l'abolition des privilèges et de la féodalité, toute justice seigneuriale a disparu et, du fait même, la distinction entre officiers royaux et officiers seigneuriaux n'avait plus aucune raison d'être. Il ne restait plus que des officiers royaux dont la légitimité devait changer au gré des vicissitudes des régimes politiques. Au surplus, la vieille séparation des huissiers et des sergents, déjà atténuée au XVIIIème siècle, ne devait pas tarder à disparaître elle aussi. S'il est encore question de sergents dans les premières lois de l'Assemblée Nationale et les dernières dispositions de Louis XVI (14), plus aucune allusion n'y est faite dans les textes adoptés par la Constituante. Désormais, il n'était question que d'huissiers dont certains, choisis périodiquement par les juridictions, étaient tenus d'assurer le service des audiences.

Ainsi, de nombreuses règles qu'il avait fallu concevoir, appliquer et réaffirmer pour régler la concurrence entre les différents officiers ne trouvaient plus à s'appliquer. Néanmoins, des principes tels que l'exclusivité de certains huissiers pour certains actes et la limitation territoriale ont continué de régir le quotidien des huissiers modernes.

- Certains huissiers ont continué de recevoir des attributions exclusives au XIXème et au XXème siècles : ce fut le cas des huissiers des justices de paix auxquels les lois réservèrent le service personnel de leur tribunal, les significations d'avoué à avoué près la justice à laquelle ils étaient attachés (15) et la signification tous les actes relatifs à cette juridiction (16). De même, les huissiers reçus auprès des tribunaux de première instance avaient seuls qualité pour signifier les jugements de première instance (un arrêt de la cour de Liège du 21 mars 1810 refusa ce droit aux simples huissiers des juges de paix). Ces exclusivités, qui étaient la conséquence de la coexistence de plusieurs catégories d'huissiers, ont naturellement disparu lorsque tous les huissiers se virent reconnaître le même caractère, les mêmes attributions et le droit d'exploiter concurremment dans l'étendue du ressort du tribunal civil d'arrondissement de leur résidence (décr. 14 juin 1813, art. 2).

Pareillement, le privilège des huissiers-audienciers a été maintenu : au XIXème siècle, ceux des cours impériales et ceux des tribunaux de première instance faisaient seuls les significations d'avoué à avoué près leurs cours et tribunaux respectifs (22) ; les huissiers-audienciers du tribunal (puis cour) de cassation instrumentaient seuls pour les affaires portées devant la cour et dans l'étendue du lieu de sa résidence (23), puis uniquement au siège de cette cour (24). La notification des actes du Palais entre toujours dans les attributions des huissiers-audienciers, au titre de leur service des juridictions.

En dehors des domaines de compétences réservées, les huissiers instrumentaient concurremment. L'huissier du juge de paix pouvait exploiter en concurrence avec les autres huissiers du ressort du tribunal de première instance (25) car aucune loi ne lui défendait d'exercer les actes qui n'étaient pas réservés aux huissiers des tribunaux de première instance (26). En principe, les huissiers des cours impériales et des tribunaux de première instance avaient les mêmes attributions et exploitaient concurremment dans l'étendue du ressort du tribunal civil d'arrondissement de leur résidence (27). Quant aux huissiers du tribunal de cassation, la loi de ventôse an VII leur permettait d'instrumenter concurremment avec les autres huissiers dans tout le département de la résidence du tribunal de cassation.

- Au plan territorial, les compétences de l'huissier étaient toujours limitées. L'huissier du juge de paix ne pouvait instrumenter que dans le ressort de sa juridiction (17). En matière de simple police, il ne pouvait instrumenter hors du canton de sa résidence que pour pallier le défaut ou l'insuffisance des huissiers d'un ressort voisin, et en vertu d'une cédule délivrée par le juge de paix (18) ; les huissiers (au nombre de deux) d'un tribunal civil ou d'un tribunal correctionnel exerçaient concurremment dans l'étendue du département ; en matière pénale, l'huissier d'un tribunal de première instance ou d'une cour impériale (ancienne appellation de la cour d'appel) ne pouvait instrumenter hors du canton de sa résidence sans un mandement exprès du ministère public ou du juge d'instruction (19) ; enfin, les huit huissiers du tribunal de cassation avaient une compétence exclusive à Paris et exploitaient en concurrence avec les autres huissiers dans le département. Ce principe de limitation territoriale existe toujours puisque la compétence de l'huissier de justice est aujourd'hui limitée au ressort du tribunal d'instance de sa résidence (20). Elle peut être exceptionnellement étendue, lorsque l'insuffisance d'huissiers de justice dans le ressort de certains tribunaux d'instance, l'intérêt des parties, la gravité des affaires pénales, les difficultés de communication ou certaines particularités locales de la répartition géographique des tribunaux l'exigent, mais ne peut jamais dépasser le ressort du tribunal de grande instance. Dans tous les cas, les actes accomplis en dehors du ressort et sans habilitation spéciale sont entachés d'une nullité d'ordre public. (21)

Aujourd'hui, les huissiers de justice peuvent faire concurremment tous les actes de leur ministère dans le ressort du tribunal d'instance de leur résidence. (28)

__________

(1) Arrêt du 22 août 1626.

(2) Déclaration du 20 décembre 1712.

(3) Au siècle suivant est venue s'ajouter un degré intermédiaire : la moyenne justice.

(4) On le verra encore bien plus tard affirmer, dans une déclaration du 24 février 1537 sur l'édit de Crémieu réorganisant la justice royale, qu'il n'était point touché à la juridiction qu'avaient ses sujets et vassaux sur leurs terres et seigneuries.

(5) En tant que sujets du seigneur du lieu de leur résidence, ils étaient justiciables de ce dernier pour tout ce qui était étranger à l'exercice de leur office.

(6) Arrêts des 13 juillet 1551, 20 décembre 1575, 11 février 1580 et 16 janvier 1587.

(7) Parlement de Paris, 30 avril 1523 : un exploit fait par un sergent de Montargis dans le ressort de Sens fut déclaré abusif.

(8) Parlement de Paris, 26 mai 1521 ou 30 mai 1524 : un sergent reçu en un seul bailliage ne pouvait valablement exploiter dans un autre bailliage.

(9) Parlement de Paris, 1er février 1543.

(10) En avril 1544, juin 1603, septembre 1672 et le 22 juillet 1692.

(11) Lettres Patentes du mois de novembre 1543.

(12) Art. 29 de l'édit de Roussillon du mois de janvier 1563 et art. 5 de la déclaration du 9 août 1564.

(13) Not. Parlement de Paris, 20 mars 1603 ; Parlement de Toulouse, 14 juillet 1678.

(14) Par exemple, ils étaient encore cités comme tels dans le décret des 9-21 juillet 1790 et les Lettres Patentes du 26 juillet supprimant les offices de jurés-priseurs.

(15) Arr. 22 thermidor an VIII, art. 7.

(16) Cass. req. 10 brumaire an XII.

(17) L. 19 vendémiaire an IV, art. 27.

(18) Décr. 14 juin 1813, art. 34.

(19) L. 5 pluviôse an XIII ; décr. 18 juin 1811, art. 84 ; décr. 1813, art. 29 et s.

(20) Décr. 29 févr. 1956, art. 5.

(21) Cass. civ. 2°, 20 mai 1976, D 1976. 125 , n. Cornu, Gaz. Pal. 1977. 1. 182, RTD civ. 1976. 678, obs. Perrot.

(22) Décr. 14 juin 1813, art. 26.

(23) L. 2 brumaire an IV, art. 11 ; L. 27 ventôse an VIII, art. 70 ; décr. 1813, art. 25.

(24) Décr. 1956, art. 9.

(25) Arr. 22 thermidor an VIII, art. 7.

(26) Liège, 19 mai 1808.

(27) Décr. 1813, art. 1 et 24).

(28) Décr. 1956, art. 5.

Dernière mise à jour le 7 février 2009

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