01

I - DE L'APPARITOR MAGISTRATUUM A L'HUISSIER DE JUSTICE :

UNE HISTOIRE DE FONCTIONS ET DE TITRES

L'antiquité romaine nous enseigne que les magistrats étaient assistés par plusieurs officiers (officiales) dont l'appellation correspondait à des fonctions bien précises. Certains, apparitores, introduisaient les plaideurs devant le tribunal et assuraient la police des audiences. D'autres, executores, étaient chargés de l'application des décisions de justice et notamment des saisies de biens et de corps. Ciceron signalait aussi l'existence des accensi chargés de convoquer le peuple aux assemblées, d'introduire les plaideurs devant le prêteur et de maintenir le silence dans les audiences ; des statores qui se tenaient auprès des magistrats pour recevoir leur ordres et comprenaient à la fois les portiers (ostarii) et les geôliers ; des viatores qui allaient chercher ceux que le Sénat avait choisis pour commander les armées. Enfin, les magistrats s'entouraient de toute une série de licteurs lors de leurs déplacements. L'un d'eux, primus lictor marchait en tête ; on l'appelait aussi virgarius par référence à la verge (virga) qu'il tenait à la main, ou submotor en raison de sa fonction (submotio) qui consistait à écarter la foule pour faire le passage. Les autres, en nombre variable selon l'importance du magistrat, portaient les fasces, faisceaux de verges disposées autour d'une hache dont on punissait les condamnés ; le dernier, qui se trouvait le plus proche du magistrat, s'appelait proximus lictor. Tous ces officiers faisaient partie, avec les crieurs, les coursiers et autres interprètes, des apparitores magistratuum.

Après la chute de l'empire romain, les appellations changèrent mais les fonctions demeurèrent. Au Moyen Age, à partir du moment (indéterminé) où les sergents d'armes furent employés pour citer en justice, il fut question de bedeaux, de sergents et d'huissiers.

I - Les Bedeaux

Ces officiers tiraient leur nom du latin médiéval bedelus ou bidellus, issu vraisemblablement du francique bidal désignant un messager de justice (1). D'après certaines sources, leur ministère consistait à citer en jugement et à exécuter les sentences des baillis, des juges pédanés et des agents inférieurs de l'administration royale tels que maires et voyers. L'ancienne coutume de Normandie semblait quant à elle réserver aux bedeaux les actes d'exécution les moins importants en disposant : « Li bedel sont li mineur serjant qui doivent prendre les nans, et les offices faire qui ne sont pas si honnêtes et les meneures semonces » (2) ce qui signifie, en langage moderne, que les bedeaux étaient des sergents inférieurs chargés de prendre les biens saisis, de faire les assignations de peu d'importance et toutes les basses fonctions.

Toutefois, ces distinctions entre bedeaux et sergents relevant de juridictions supérieures ou chargés d'actes plus considérables sont très incertaines.

Plusieurs ordonnances médiévales traitent au contraire indifféremment des bedeaux et des sergents. Par exemple, une ordonnance de saint Louis de 1254 dispose qu'aucun crédit ne doit être accordé aux bedeaux ou sergents envoyés hors du ressort de leur juridiction sans lettres de leur supérieur : « Ubi bedelli vel servientes ad remota loca mittuntur, eis absque litteris superioris, non credatur , alioquis seneschali eos competenter puniant ». Une autre ordonnance du même roi a consacré un article aux bedeaux des baillis et des sénéchaux : « Senescalli autem nostri, et inferiores baillivi caveant sibi à multitudine bedellorum, et quanto paucioribus poterunt sint contenti ad curiarum exequenda praecepta ».

En définitive, la distinction entre bedeau et sergent est hasardeuse. Tous deux étaient à la fois emissarrii (commissionnaires), nuncii (envoyés), citatores (chargés d'ajourner) et compulsores (investis du pouvoir de contraindre).

On appelait aussi bedeaux des employés au service de certaines communautés, notamment les bedeaux de universités et ceux - mieux connus - des paroisses, chargés de maintenir le bon ordre pendant les offices et, baguette à la main, de faire la place aux quêteurs, de précéder les processions et d'accompagner le clergé dans les cérémonies. On doit encore ranger dans cette catégorie d'officiers, les sergents à masse ou massiers, dont parlaient, par exemple, les articles 17 et 28 de la coutume locale d'Amiens et l'article 48 de la coutume de Hainaut. Descendants des licteurs dont s'entouraient les prêtres et les vestales dans l'Antiquité, ils étaient également nommés bidellos par les jurisconsultes italiens du XIVème siècle, Bartole et Balde de Ubaldis. Mais leurs fonctions étaient totalement étrangères au ministère de la justice : ils étaient simplement chargés de convoquer des assemblées, de précéder le roi dans les cérémonies, de faire place aux grands dignitaires ou au corps de l'université, marchant de l'avant en portant une masse de métal plus ou moins précieux. Ainsi, lorsque le roi venait tenir son lit de justice, le premier huissier du Parlement le conduisait encadré de deux huissiers massiers.

Finalement, seuls ces serviteurs de communautés ont survécu, gardant leur nom dans les églises et prenant celui d'appariteur dans les universités. Les bedeaux de justice, quant à eux, ont été peu à peu confondus avec les sergents et il n'en restait, au XVIIIème siècle, qu'un souvenir méprisant lorsque les sergents royaux qualifiaient de bedeaux les sergents des justices subalternes dans les procès qui les opposaient.

Bedeau de l'Université de Paris, au XVIème siècle.

II - Les sergents

Les premiers sergents étaient eux aussi les serviteurs et les domestiques des juges, comme l'atteste l'origine de leur nom, serviens qui donna d'abord sergiens. Ils étaient même, à l'origine, les serviteurs des juges inférieurs (baillis, sénéchaux et prévôts) commis par ces derniers pour exécuter leurs ordres au même titre que les bedeaux dont il était difficile de les distinguer. Au XIIIème siècle, ces bas officiers furent désignés par la lexie générique de sergents du Roi. Désormais, ils étaient chargés d'exécuter non seulement les ordres des juges subalternes, mais aussi ceux du Roi et du Parlement.

La catégorie des sergents était elle-même très diversifiée. Il existait en effet plusieurs sortes de sergents, dont les compétences dépendaient de la juridiction qui les recevait : sergents des Tailles exploitant en matière d'impôts jusqu'en 1598, sergents extraordinaires des Lieutenants criminels créés en 1554 pour exploiter en matière criminelle dans le ressort des présidiaux, sergents-collecteurs des amendes des eaux et forêts créés la même année dans chaque vicomté, sergents dangereux chargés de février 1554 à 1563 d'exploiter et de faire les prises dans les forêts soumises au droit de danger (4), sergents de l'Amirauté, sergents des monnaies chargés d'exploiter les décisions de la cour des Monnaies, sergents-priseurs-vendeurs de biens institués en 1575, et autres sergents de ville créés en mars 1709 pour signifier et exécuter les décisions judiciaires des maires et échevins. On opposait en outre les sergents royaux, provisionnés par le Roi, aux sergents seigneuriaux nommés par les seigneurs justiciers pour exploiter sur leurs terres les actes passés sous leur sceau.

Du reste, plusieurs catégories de sergents pouvaient coexister au sein d'une même juridiction. A cet égard, l'exemple du Châtelet de Paris est très significatif, puisque cette juridiction en comprenait traditionnellement quatre sortes. Après que les sergents de la prévôté de Paris aient vraisemblablement formé un seul et même corps, Louis IX décida de les diviser en deux groupes. Les uns furent tenus de résider dans la ville et chargés d'y instrumenter tout en assurant des fonctions de police. On les appela sergents à pied eu égard à la manière dont ils se déplaçaient en ville, puis sergents à verge relativement à la baguette dont ils furent munis pour imposer le respect. Les autres, obligés au contraire de résider hors de la ville dans les bailliages et les sénéchaussées, furent chargés d'instrumenter dans les campagnes du ressort du Parlement. On les nomma sergents à cheval en raison de la nécessité d'avoir une monture pour parcourir de longues distances.

Il y avait en outre, au Châtelet, deux autres variétés de sergents : les sergents fieffés et les sergents de la douzaine. Les premiers étaient les plus anciens huissiers de cette juridiction. Ils tiraient leur nom de ce que leur office avait été érigé en fief à une époque où tous les offices étaient inféodés et se trouvaient ainsi à la tête d'une sorte de seigneurie dépourvue de domaine et de droit de justice. Au nombre de quatre, ils avaient pour principale charge d'exploiter en matière féodale, principalement de procéder aux saisies des fiefs (5) mais avaient été finalement intégrés au corps des huissiers-commissaires-priseurs vendeurs de meubles.

Les sergents de la douzaine quant à eux, étaient des sergents à verge (ou à pied) détachés de leur corps pour être spécialement affectés à la garde personnelle du Prévôt de Paris. Au nombre de douze (d'où leur appellation), ils se rapprochaient ainsi des sergents d'arme (servientes armorum) établis par Philippe Auguste comme gardes du corps du Roi.

Les sergents fieffés et ceux de la douzaine avaient le droit de faire toutes sortes d'exploits dans la ville, faubourgs et banlieue de Paris, tout comme les sergents à verge, mais sans être tenus de faire aucun service au Châtelet, ni d’assister les juges dans l’exercice de leur charge.

La distinction de ces catégories d'huissiers et la fragmentation de leurs compétences matérielles ou territoriales dura jusqu'à ce qu'un édit du mois de février 1705 vînt réunir ces différents officiers en une seule communauté et sous le même titre d'huissier permettant de résider en tout lieu du royaume et d'exploiter en toute matière dans toute son étendue. La traditionnelle distinction entre huissiers et sergents était vouée à disparaître, mais ce furent les lois révolutionnaires qui y mirent un terme définitif.

III - Les huissiers

Les huissiers, enfin, ont été appelés de la sorte en souvenir de leurs anciennes fonctions de portiers. L'ostiarius romain, en effet, avait pour unique fonction d'assurer un service de police qui consistait essentiellement à garder la porte (ostium, puis ustium en bas latin) du juge qui l'employait. Même aux premiers temps du Moyen Age, l'huissier se différenciait des bedeaux et des sergents en ce qu'il n'effectuait aucune semonce ni aucune exécution : sa fonction se bornait au service intérieur et à la police des audiences.

Puis, l'huissier a pu remplir les fonctions des sergents dans les juridictions les plus importantes. Ainsi, les huissiers du Conseil du Roi étaient compétents pour les citations devant leur juridiction et l'exécution de ses décisions, ceux du Parlement exécutaient les décisions de la cour.

Dès lors, pour justifier la distinction des deux catégories d'officiers, d'anciens auteurs ont écrit que la différence résidait dans l'importance de la juridiction qu'ils servaient respectivement, à savoir les huissiers, les juridictions supérieures et les sergents, les justices subalternes. Or, on s'aperçoit que cette affirmation n'est pas tout à fait exacte si l'on considère que les juridictions inférieures, telles que les présidiaux et les bailliages, avaient elles aussi des huissiers-audienciers. En réalité, la différence essentielle entre les huissiers et les sergents tenait essentiellement à la nature de leurs fonctions : les sergents ne faisaient qu'exploiter alors que les huissiers exerçaient en outre, au sein des juridictions, des fonctions d'assistance des juges, de maintien de l'ordre et d'accompagnement de la cour lors des cérémonies.

Du Moyen Age au XVIIIème siècle, un grand nombre d'huissiers avaient été installés auprès des différentes juridictions royales, aussi bien les cours souveraines que les juridictions subalternes.

A commencer par le Parlement de Paris : au XIIIème siècle, cette juridiction employait deux portiers ou huissiers (hostiarii, portarii) chargés de essentiellement de garder la porte de la Chambre, ainsi que l'énonçait une ordonnance de décembre 1320 : « Nous voulons que les huissiers de parlement laissent passer les sénéchaux, baillis et nos procureurs par devers les mestres, forz tant seulement quand ils seront en conseil sur les arretz ». Sous Philippe le Bel, ils étaient trois, dont un servant en permanence et deux autres détachés de l'Hôtel du roi dont ils dépendaient, pendant les sessions de la cour. Leur nombre augmenta par la suite : onze en 1328, ils furent réduits à huit par ordonnance du 7 février 1337 mais étaient en réalité neuf en 1338, à titre exceptionnel, jusqu'à ce qu'une nouvelle ordonnance du 2 janvier 1339 confirme le chiffre de huit. A compter du 27 janvier 1360, leur nombre fut porté à douze, y compris le portier du palais, l'huissier de la chambre des Enquêtes et celui de la chambre des Requêtes. Lorsque Charles VII établit son parlement à Paris, il conserva toutefois les huissiers créés au parlement de Poitiers et porta ainsi le nombre des huissiers du parlement à seize. Le 6 juillet 1468, Louis XI le réduisit à quatorze mais ce maximum ne fut jamais respecté dans les faits. En 1689, il y avait vingt-neuf huissiers au Parlement de Paris.

Une ordonnance de 1344 précise que ces huissiers assuraient leur service par équipes de six et par périodes de deux mois. Ils constituaient un véritable service d'ordre chargé de garder l'entrée principale du parlement, de surveiller l'accès au parquet, de maintenir le calme dans la salle, de conduire en prison ceux qui troublaient les audiences et d'exécuter les commandements de la cour. Pour ce faire, ils étaient répartis par tiers : « deux pour le premier huis du parlement, deux pour les deux guichez du parc garder et deux pour oster et garder la noise de derrière les bancs et de toute la chambre de parlement, et pour faire accomplir les commandements de la cour ». Au siècle suivant, les modalités de ce service furent modifiées : il y avait désormais cinq huissiers ordinaires dont trois devaient demeurer continuellement en la cour sans pouvoir partir exploiter au dehors ; leur service était réglé par mois (6). Les huissiers du Parlement avaient aussi en charge l'entretien, le chauffage et l'éclairage du parlement, autant de tâches sont ils confiaient l'exécution, sous leur responsabilité, à des serviteurs. Outre le service de la cour, ils pouvaient effectuer des citations et exécutions hors de Paris. Parfois, sur commission spéciale, ils se voyaient aussi confier des missions aussi diverses que la surveillance de certains prisonniers, des enquêtes ou expertises, des exécutions testamentaires, des inventaires après décès, le paiement des gages à un conseiller, la délivrance de requêtes au roi, aller chercher des document chez les procureurs ou encore garder la maison d'un magistrat malade pour protéger des pièces de procédure qui s'y trouvaient (ainsi, le 30 avril 1490, l'huissier Etienne Bonnet fut envoyé à l'hôtel du conseiller Guillaume de Montboisier pour expulser les sergents du Châtelet qui s'y rendaient souvent et les empêcher ainsi d'emporter des pièces). (7)

Ces huissiers, qui avaient pourtant un rang inférieur aux notaires du Parlement, constituaient la catégorie d'huissiers la plus renommée en raison de l'importance de leur juridiction de rattachement. Comme les autres officiers du Parlement, ils se virent octroyer le droit de committimus (droit d'évoquer leurs causes personnelles devant le Parlement, confirmé par Lettres-Patentes du 28 décembre 1724) et l'exemption du droit de confirmation. (8)

Parmi les huissiers su Parlement de Paris, le plus ancien prenait le titre de premier huissier (apparitorum princeps ou apparitionis princeps) et un autre était huissier de la chambre des Enquêtes. Le premier huissier (dont la place fut érigée en titre d'office en 1418) appelait les causes suivant le rôle, distribuait les cédules aux autres huissiers, percevait les amendes dues par les avocats retardataires. Il avait le droit d'entrer aux chambres et de s'adresser aux présidents sans se découvrir (cette prérogative fut abolie le 18 janvier 1453) et jouissait, outre les privilèges accordés aux autres huissiers du Parlement, du titre de maître, du rang d'écuyer (sa fonction ne dérogeait donc pas à la noblesse), de la noblesse transmissible (9) et du droit d'indult permettant de recevoir un bénéfice (10). Au niveau du protocole, c'est lui qui précédait le roi lorsqu'il se rendait au Parlement ou allait tenir son lit de justice. Le premier huissier avait aussi le droit d'exploiter mais n'en usait que très rarement. (11)

Pour les autres juridictions, on peut mentionner les huissiers des parlements de provinces, installés au fur et à mesure de la création de ces derniers ; les huissiers des Requêtes de l'Hôtel ; l'huissier de la Chambre des Comptes chargé de mettre en ordre les locaux et de garder les portes (1454) ; les huissiers du Grand Conseil (4 en 1515 puis 20 à la fin du siècle suivant) et de la Grande Chancellerie ; ceux des différentes Cour des Aides chargés du service de la cour et des exploits en matière fiscale ; les huissiers-audienciers de la Conétablie et Maréchaussée de France ; ceux de l'Amirauté ; ceux de la conservation de Lyon ; les huissiers de la Chambre des Comptes chargés en mars 1543 d'instrumenter en tout ce qui relevait de cette juridiction ; les huissiers des sièges présidiaux (1551) ; ceux des Tables de Marbre (qui ont succédé en 1555 aux huissiers des Eaux et Forêts) ; ceux des Elections ; ceux des juridictions consulaires (1708-1720) ; ceux des sénéchaussées, etc.

On pourrait penser que ces différents huissiers avaient des compétences déterminées par celles de la juridiction qui les avait reçus et que toute concurrence était ainsi écartée entre eux. En réalité, il n'en était rien, dans la mesure où ces officiers avaient le plus souvent, outre leurs attributions exclusives, le droit d'exploiter en toutes matières non réservées à certains d'entre eux.

Bien plus, une concurrence s'était inévitablement instaurée entre les huissiers et les sergents pour les assignations, significations et exécutions. La ressemblance des fonctions était telle, que les sergents tentèrent de s'assimiler aux huissiers en empruntant leur titre, au moins dans le ressort des juridictions souveraines. D'un point de vue pratique et juridique, une fusion aurait certainement été possible si de précieux privilèges pécuniaires et honorifiques n'avaient été attachés au titre d'huissier. Aussi, les huissiers du Parlement de Paris n'ont-ils cessé de défendre jalousement leurs droits et, pour cela, de faire interdire à leurs concurrents d'utiliser leur titre.

Au sein même du Parlement, l'utilisation du titre d'huissier était source de querelles. Le 21 novembre 1405, les huissiers de la Grand-Chambre et de la Chambre des Enquêtes (qui constituaient les chambres originaires du Parlement) obtinrent un arrêt de règlement interdisant au autres huissiers du Parlement de porter le titre d'huissier. En réaction, les huissiers de la chambre des Requêtes et ceux des Requêtes de l'Hôtel se nommèrent huissiers-sergents, comme on le voit notamment dans un acte du 4 janvier 1485 conservé aux Archives Nationales. Sur la plainte des huissiers en titre, une nouvelle interdiction fut prononcée le 30 mars 1444 à peine d'amende, mais ne fut pas suivie d'effet. Un autre arrêt du 1er juin 1495 défendit enfin à tous ceux qui n'avaient pas le titre d'huissier du Parlement, de porter leurs verges dans la salle du Palais et à l'auditoire des Requêtes du Palais, à peine de prison.

A fortiori, les serviteurs des autres juridictions ne pouvaient pas porter le titre d'huissier. Aussi, ceux des Requêtes de l'Hôtel prenaient le titre d'huissier sergent. Mais au regard du droit, ce titre bâtard n'existait pas : on était soit huissier, soit sergent. Aussi, pour éviter toute usurpation, les huissiers du Parlement entamèrent une procédure le 30 mars 1444. Reprochant aux sergents des Requêtes de l'Hôtel de s'intituler huissiers, ils invoquèrent notamment un arrêt de 1406 qui est certainement celui de 1405 : le 3 avril 1444, le Parlement interdisait aux sergents de se dire aussi huissiers, à peine de cinq cents livres d'amende. Assez naturellement, les mêmes protestations se sont élevées à la fin du XVIème siècle, à la suite de la création du Sénat de Savoie, dont un arrêt du 14 janvier 1678 dut faire « tres expresses inhibitions et defences à tous Sergents de prendre le nom et qualité d'huissiers dans leurs exploits, et de se faire taxer ny payer leurs vacations comme huissier, à peine de cinq cents livres, des à present déclarées, et de punition corporelle s'il y échoit ».

Pour revenir à la France, les sergents des Requêtes de l'Hôtel continuèrent de s'appeler sergents huissiers en dépit de la décision du Parlement, comme en témoignent deux actes du 14 décembre 1484 et du 10 décembre 1498. Félix Aubert, qui s'y réfère dans son Histoire du Parlement de Paris de l'origine à François Ier (12), assure qu'ils ne furent jamais inquiétés. Par un arrêt du 5 mai 1544, le Parlement de Paris permit même aux sergents à cheval du Châtelet, auxquels des lettres patentes du Roi avaient donné les nom et qualité d'huissier, de s'intituler dans leurs exploits « huissiers sergents à cheval du Roi en son Châtelet de Paris ». En revanche, il leur était formellement interdit de se dire simplement huissiers, à peine d'amende arbitraire et de privation de l'honneur que le Roi leur avait accordé.

Toujours est-il que le titre d'huissier désignait légalement un officier chargé à la fois d'exploiter et d'assurer le service intérieur des tribunaux. (13)

Ce cumul de fonctions connaissait pourtant quelques exceptions. Il faut, d'abord, observer que certains officiers qualifiés d'huissiers n'étaient en réalité que des sergents. C'était le cas notamment des huissiers-visiteurs des juridictions maritimes chargés de visiter les navires marchands et des huissiers-priseurs créés en 1691, qui n'étaient autres que des sergents ayant obtenu le droit exclusif de procéder aux ventes mobilières.

Ensuite, la catégorie des huissiers au sens judiciaire du terme, ne comprenait pas les officiers affectés au service de certaines communautés et qui avaient conservé la fonction exclusivement domestique de l'ostiarius romain. On pense notamment aux huissiers d'armes (hostiarii armorum) signalés dans les comptes de l'Hôtel du Roi en 1317) affectés à la garde de la chambre à coucher du Roi et remplissant aussi des fonctions de messagers, ainsi qu'à l'huissier de l'ordre du Saint-Esprit créé au mois de décembre 1578 pour garder la porte des chapitres et assister aux cérémonies avec une masse. Ce dernier, qui trouvait outre manche son équivalent en la personne du Gentleman usher of the black rod (gentilhomme huissier à la verge noire) affecté au chapitre de la Jarretière en Angleterre ou de l'huissier à la verge verte servant l'ordre du Chardon ou de Saint-André en Ecosse, s'apparentait certainement plus aux bedeaux qu'aux huissiers de l'époque. Enfin, les huissiers des juridictions laïques se distinguaient de ceux des juridictions ecclésiastiques : curseurs (cursores) chargés des significations et appariteurs (apparitores) chargés d'exécuter les décisions de justice mais aussi, à l'intérieur du prétoire, de faire comparaître les plaideurs devant le juge. (14)

Qu'en est-il de nos jours ? Pour faire le point, trois remarques s'imposent :

Premièrement, le cumul des fonctions existe toujours, mais leur importance a changé. En effet, depuis maintenant près de deux siècles, l'huissier exploite à titre principal et assure occasionnellement le service des juridictions, lorsqu'il est choisi comme huissier-audiencier.

Deuxièmement, certains personnages, qui ne font pas partie du personnel judiciaire et n'ont pas qualité d'officier public, ont continué de porter le titre d'huissier. Il s'agit des huissiers des ministères, du Sénat, de l'Institut, etc. On en trouve d'ailleurs dans d'autre pays, comme au Canada où les députés sont conviés à la chambre des Communes pour entendre le discours du trône par l'huissier du bâton noir , qui a remplacé en 1997 l'ancien Gentilhomme huissier à la verge noire ; les britanniques, dont les canadiens ont hérité, connaissent eux aussi ce type d'officier depuis le XIVème siècle, notamment en la personne du Black rod (abréviation d'usage du Gentleman usher of the black rod) qui précède désormais la Reine dans la Chambre des Lords et convoque les députés en frappant sur la porte.

Nos officiers ministériels se distinguent donc de ces huissiers de par la nature de leurs fonctions. Mais ils ont aussi été particularisés par leur appellation, lorsque le décret de 1955 leur a donné le titre d'huissier de justice. Au plan sociologique, la nouvelle dénomination a incontestablement contribué à redorer le blason d'une profession longtemps mal considérée par le public. Mais, et ce sera là notre dernière observation, elle traduit aussi l'évolution de la profession qui a fait du vieil huissier, serviteur et vil exécuteur, un juriste à part entière.

_______

(1) Certains ont fait dériver le mot bedeau du latin pedellus issu de pes, pedis (pied) en considérant qu'il s'agissait d'un homme à pied, d'autres de pedo (bâton, verge), ou encore de l'anglais bid, biden (avertir).

(2) Première partie, sect. 1, chap. 11.

(3) Un rattachement aux caesariani du droit romain est incertain et une prétendue contraction de serre gens est absolument fantaisiste.

(4) Le droit de danger était un droit royal de dix sols par livre sur le produit des ventes de bois.

(5) Comme les fiefs étaient généralement situés hors de la ville, « fors la ville », on avait donné auparavant aux sergents fieffés le nom de « sergents forains ».

(6) Ord. 1535, chap. 6, art. 1.

(7) Félix Aubert, dans son Histoire du Parlement de Paris de l'origine à François Ier (Paris, 1894), rapportait plusieurs de ces missions relatées dans les registres du Parlement conservés aux Archives Nationales.

(8) Déclaration du 27 sept. 1723.

(9) Edit du 2 janvier 1691.

(10) Lettres-Patentes du 15 mars 1576.

(11) Denisart, v° Huissier, doutait qu'il eût jamais signifié d'autres exploits que ceux pour lesquels il avait reçu une mission expresse de la cour, c'est-à-dire dans des occasions très exceptionnelles telles que l'ajournement du chancelier Poyer vers 1545 ou celui de l'empereur Charles Quint.

(12) Paris, 1894, p. 251.

(13) Le langage populaire, en revanche, était bien moins certain. Racine, par exemple, ne faisait aucune différence entre l'huissier et le sergent dans Les Plaideurs. Mais dans les justices ecclésiastiques (officialités), les huissiers prenaient le titre d'appariteurs. Il s'agissait le plus souvent d'huissiers royaux de la ville du siège épisopal auxquels l'évêque accordait une commission. Comme les huissiers des juridictions laïques, les appariteurs remplissaient les fonctions d'audienciers et effectuaient les significations de tous les actes relatifs à cette la juridiction épiscopale.

(14) Les attributions de ces huissiers ont été réglementées par les conciles avant que leur statut soit encadré par le Code de droit canonique en 1917 : aux termes des canons 1591 à 1593, ils étaient nommés par l'évêque, en principe parmi les laïcs, pouvaient cumuler les fonctions de signification et d'exécution, étaient assermentés, leurs actes faisant pleine foi. Il n'en est plus question dans le code de 1983.

Dernière mise à jour le 14 décembre 2016

© Reproduction interdite sans autorisation

Retour au sommaire