VIII - LE SERGENT ET LE LABYRINTHE, ANECDOTE
Quelques années après la mort du valeureux maréchal de La Palisse, sa veuve affrontait en justice un marchand de la ville de Vandenesse en Nivernais, qui lui devait de l'argent. Conformément aux règles de procédure, la Maréchale avait chargé un sergent de faire commandement de payer à son débiteur. Trouvant celui-ci sur le chemin d'un étang où il voulait allait pêcher, le sergent le somma de lui remettre l'argent qu'il devait. Le marchand, qui n'avait certainement pas la somme sur lui (ce qui était somme toute prudent), invita le sergent à se rendre à sa maison, où il satisferait. Le sergent répondit qu'il ignorait où se trouvait sa maison et le constitua aussitôt prisonnier. Le marchand en appela et obtint gain de cause aux Grands-Jours tenus à Moulins le mardi 6 octobre 1534 au matin. Le juges estimèrent en effet qu'il avait été mal procédé et condamnèrent la Maréchale de La Palisse aux dépens de la cause d'appel ainsi qu'aux dommages et intérêts de l'emprisonnement.
Le sergent, en refusant de laisser le débiteur regagner son domicile, aurait été trop rigoureux. Mais n'était-ce pas faire montre de prudence que d'empêcher le débiteur de lui échapper ? C'est le sentiment que l'on a, en tout cas, au regard de la mésaventure que vécut un autre sergent, moins avisé ou moins sûr de lui.
Colineau, bourgeois bordelais décrété de prise de corps, avait été trouvé en sa maison de campagne de Livrac par un sergent venu le constituer prisonnier.
Le sergent s'apprêtait à l'emmener, mais le bourgeois parvint à le convaincre qu'il fallait dîner avant partir, parce qu'il était tard et parce que le chemin était long. Ayant commandé de préparer le repas, il invita le sergent et ses records à faire le tour du verger en attendant de passer à table. Le sergent accepta et bien mal lui en prit. Après l'avoir fait se promener dans les allées de ce verger, Colineau le mena dans un labyrinthe établi dans un pré et entouré de grands et profonds fossés remplis d'eau.
Ce genre d'aménagement était très à la mode dans la décoration des jardins et constituait aussi un jeu fort prisé à cette époque. Mais cette fois, l'invité ne s'amusa pas : après l'avoir assez longuement entraîné par tous les détours et dans tous les recoins, Colineau parvint à sortir du labyrinthe et retira la planche qui servait à y entrer, par-dessus le fossé. Le pauvre sergent fut d'autant plus surpris, qu'il n'avait aucun moyen d'en sortir sans courir quelque danger. Il fut alors contraint de jeter sa commission à Colineau à travers le fossé, restant bien marri d'avoir cru trop légèrement son prisonnier et de s'être aussi facilement laissé duper.
Cette mésaventure a été rapportée par l'avocat Automne dans ses commentaires sur la Practique Judiciaire de Jean Imbert (Paris, Buon 1615).
Elle aurait sans doute mérité d'être mise en vers par Jean de La Fontaine. La moralité qui s'en dégageait, à l'usage des huissiers de l'époque, était évidente :
Notre pauvre sergent se fit une raison,
Que l'on ne doit jamais avoir de confiance,
Mais qu'il faut être de très grande vigilance
Envers ceux que l'on doit emmener en prison.
Dernière mise à jour le 7 février 2009
© Reproduction interdite sans autorisation