Un amour de bureau

Julie est temple, Julie est ciel, Julie est nymphe, Julie est tout ce que je ne suis pas. Julie est ombre, Julie est étincelle, Julie est appontement pour des voyages imprévus. Elle est sève des racines et liqueur dans les feuilles, elle est rivière, elle est ruisseau. Elle glisse entre les choses, y laisse partout sa trace. On la respire et on la suit pour trouver un estuaire, mais voulant la saisir, on la perd. Je suis pierre, je suis marbre, je suis le mutisme immuable. Je me terre comme un ours derrière l'ordinateur portable. Je suis silence, je suis [regard]. J'épie ses mouvements au détour des couloirs. Je suis le stagiaire taciturne, le secret, l'immobile. On pourrait croire que je guette Julie ; moi je dis que je veille sur elle. Sur ses méandres et sur ses vagues. Sur les requins qui sont en elle, les aquilons, les courants chauds. Julie ne me voit pas. Julie n'entend personne, employés et patron, plantes vertes, bureaux et machine à café, Julie noie et enfouit, tait tous les bruits. Elle est calme, nuage, et puis parfois tempête. Passant parfois dans son sillage j'en saisis la rosée, ma chair s'irrigue et se délie. Des fleurs, peut-être, ont poussé à mes doigts. Des fragments de mousse verte, des feuilles aux longues veines. J'étais pierre et je deviens bois. Derrière l'ordinateur j'ai laissé la porte entrouverte. Je vois Julie. Elle est assise, elle est de dos. Julie écrit et son bras coule sur le papier. Julie est fleuve, Julie est mer, elle est torrent. Mes doigts tapotent sur le clavier. Je suis devenu bois et, si le vent se lève et que j'ose grandir, je me ferai bateau.