Le néant face à face
Ce vaste trou où les affres s’entassent
il en remonte toujours comme une longue chaîne
de mots et de pénombre
tirant depuis le fond du puits vers la lumière
le frémissement toujours plus dur d’une pierre frappant le vide
des visages en prière
et l'arc tendu de nos doigts dans l’espace
agrippant d'immatérielles poignées
J'ai forcé une porte au fond de ma mémoire
Les draps se lisent à l'envers
et des bouts d'univers
crèvent de froid dans une baignoire
quelque part sous la terre
On a fini de rire
Je ne sais plus vraiment ce que mon corps veut dire
ni ce que je voyais
quand j'effleurais du bout des ongles
cet embryon d'amour cette fausse-couche
Et cette main sur mon cou qui me tire
des lèvres dénouées qui ne veulent rien dire
À tâtons des enfants recherchent la sortie
la cendre étouffe les clôtures
Mieux vaut ne pas savoir ce que l’ombre murmure
La nuit
quand il n'y aura que quelques moignons de lumière
et puis le bruit des trains sur les charpentes secouées
J'aurai la gueule de je ne sais quel paysage
avec une route barrée
on y aura dressé vingt ou trente pièges à loups
et des brasiers épars
pour que les fous me voient
de loin
balancer mes grimaces comme un enfant qui joue
à poil sous les arcs-en-ciel cacochymes
Je me cache
Je suis ce chien perclus et veule
embusqué
enterré
tapi dans les tunnels mouvants de la mélancolie
pétrifié dans la honte de son propre enlisement
ou plutôt
dans l’attente
d’on ne sait quoi d’on ne sait qui
venu d’en haut
ou bien de quelque chose semblable à la lumière
C’est la nuit
rouge
et sale
comme la dent qui défend la gueule de la panthère
c’est l’éveil
Le soir j'ai sur la peau collés des chats-huants
des lézards
oiseaux verts qui dérobent leur lenteur aux fusées
Et qui me mènent
fumants, nus, crevants de nirvanas jaunes ou noirs
partout où l’air s’infiltre encore
Tièdes profondeurs rampantes des puits claquant des dents
tièdes profondeurs vibrant d’un halètement nouveau
au fond desquelles je funambule
le visage ondulant de processions silencieuses et rouges
c’est l’éveil
et vers la mer
lardée d'hameçons rêvant aux lunes prisonnières
on sent battre ces mains amputées des ténèbres
qui m’appartiennent
L'immense et l'infini
là-haut
se défenestrent
c’est l’éveil
lucide
mais funèbre
qu’on entend
c’est la chute ...
… je ne peux plus passer
comme un iris crevé au travers du black-out
je ne peux plus passer
ma vie
à respirer des lézards par la bouche
la tronche enfouie dans une mare de lucioles
c’est fini
maintenant que les câbles se touchent
c’est en moi que je puiserai la force de faire enfin s’écrouler l’aurore
et d’embrasser
dans l’insomnie les fantômes et les corps.